Il y a presque quarante ans qu’une nouvelle caste, dans sa stratégie de prédation, tente d’imposer un nouveau capitalisme, un capitalisme hédoniste. Cette formule est du cinéaste et écrivain Pier Paolo Pasolini qui avait compris, dès les années 60 et 70, que le néo-libéralisme devait évoluer sur la “gauche”, devenir « progressiste » et « humaniste », « tolérant », « communicant », histoire de décloisonner et de s’étendre au monde entier pour créer un individu totalement « émancipé », « élastique », ayant perdu tous ses repères familiaux, sexuels, culturels et autres, et ce afin d’être plus facilement soumis au despotisme de la marchandise.
Depuis une dizaine d’années au moins, l’idée de fiction à la télévision semble traverser une crise, dont la multiplication des concepts de téléréalité apparaît comme un symptôme parmi d’autres. Non pas que les émissions de fiction soient appelées à disparaître du petit écran – elles sont encore très présentes, et le resteront – mais quelque chose se passe qui concerne en substance le statut attribué au processus de fictionalisation lui-même, affectant profondément au passage le nature des liens qui se tissent dans une partie de la programmation entre le réel et l’imaginaire.
Jean Baudrillard est décédé le 6 mars 2007, à l’âge de 77 ans. Sociologue, philosophe, photographe, mais surtout écrivain génial, penseur inclassable, célébré et dénigré, il a porté à travers ses nombreux écrits un regard pénétrant sur les phénomènes culturels, les convulsions de l’Histoire, les fondements psychiques et sociaux d’un monde en profonde mutation.
De son rôle de médiatrice entre le public et un monde qui existerait sans elle, la télévision s’est trouvée peu à peu à usurper la fonction même du réel, à recomposer selon ses propres schémas une certaine idée du monde qui désormais se trouve toute entière surdéterminée par le traitement qu’en propose le médium.
Voilà en fait ce que captent les caméras : des individualités choisies au départ pour leurs egos sur-dimensionnés, et que la promiscuité forcée du Loft amènera peu à peu à s’exhiber, offrant le spectacle bien contemporain d’une multitude de Narcisses luttant pour le pactole suprême – bien plus que de l’argent – la popularité, la reconnaisance, une célébrité instantanée.
Une nouvelle forme d’intolérance déguisée derrière un humanisme de façade s’installe, nouvelle étape historique, d’autant plus difficile à démasquer qu’elle n’annonce plus aussi ouvertement sa barbarie. Faut-il craindre comme Charles Melman un fascisme volontaire, « non pas un fascisme imposé par quelque leader et quelque doctrine, mais une aspiration collective à l’établissement d’une autorité qui soulagerait de l’angoisse, qui viendrait enfin dire à nouveau ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, alors qu’aujourd’hui on est dans la confusion.
Un dialogue, qui est moins une explication des choses qu’une sorte de fictivisation, une mise en récit du monde à l’intérieur de laquelle le téléspectateur pourra se projeter comme au milieu d’une fable exemplaire, dont la morale est toujours que son opinion vaut celles des autres.
C’est tout l’espace public représenté qui est en train de verser dans le second degré, ce niveau Méta qui fait instantanément du spectateur un complice dans l’éradication du sens et son remplacement par une sorte de cynisme branché, sans portée critique véritable mais porteur de tous les signes d’un détachement de bon ton qui en mime les effets.
Brèves éditoriales sur les médias, de 2001 à 2004. Observation des faits significatifs, absurdes ou inquiétants qui se manifestent dans la culture des médias de masse. 1ÈRE PARTIE (2003-2004).
Hors Champ s’associe de nouveau à la Cinémathèque québécoise pour présenter un programme composé de trois documents exceptionnels, dans lesquels des penseurs parmi les plus importants de notre temps précisent et élaborent leurs idées.