Dans le cadre d'une réflexion rétroactive, Hors champ, à la fois revue numérique et organisme de programmation, souhaite interroger la programmation de films. Afin d'alimenter cette réflexion, quatre séances sont prévues à travers desquelles des organismes et des programmateur·rice·s externes viendront discuter de leur démarche, à partir de films proposés.
Comment la programmation peut-elle étendre l'écriture des images et des films ? Quelles actions implique et suppose-t-elle ? Peut-on la comparer à un travail d'édition ou à un geste de création ? Comment concevoir le temps d'un programme, travailler en amont le désir des spectateur·rice·s, étendre la problématique à l'œuvre, inclure les discours des artistes, réfléchir le public contextuel auquel elle s'adresse et penser en fonction du canal de diffusion mobilisé ?
Cette initiative vise à travailler et à rendre visibles, au fil des séances, différentes dimensions éthiques, esthétiques, politiques et médiales qu'interpelle la programmation de films, et du même élan, à déplier les gestes impliqués.
Expérimenter
Avec la lumière collective
3 mai, 14 h – 17 h
Au Cinéma public, Casa Italia
Programmateurs invités : Benjamin R. Taylor et Noa Blanche de la lumière collective.
Médiatrice : Nour Ouayda, membre de Hors champ, cinéaste et programmatrice.
Discutante : Mathilde Fauteux, programmatrice et coordonnatrice de la distribution chez Vidéographe.
Le cinéma expérimental présente la particularité de se déployer en-dehors des circuits commerciaux et du grand public. À la fois très présent et discret à l’échelle de la scène montréalaise, ce cinéma, qui entretient des connivences avec les arts visuels, la performance et le cinéma d’animation, présente aussi cette autre particularité de faire dévier la narrativité du cinéma traditionnel vers des façons de faire davantage liées à la processualité, à la matérialité, à la perception et de la sorte convient des formes d’opacité qui réfléchissent la création et interrogent les positions conventionnelles de spectature.
En vertu de l’exigence que pose cette plus grande opacité, le cinéma expérimental nécessite un accompagnement que l’on dirait plus soutenu, ce que déploie depuis 2015 la lumière collective, organisme qui se définit comme un collectif d’artistes et de commissaires, un micro-cinéma présentant les films sur leur support d’origine et un espace de pratique et de résidences. Depuis sa création, l’organisme chapeaute une programmation en séries (VISIONS, IN SITU) et cherche à faciliter la diffusion de formes expérimentales. Selon un esprit qui se veut ouvertement collaboratif et horizontal, la lumière collective organise des séances de projection en présence des artistes et entend, selon les mots de Benjamin R. Taylor, co-fondateur du lieu, de « décortiquer les films ensemble dans un espace commun ».
Quels sont les petits et grands principes qu’observe la lumière collective en rapport avec cet esprit de collaboration ? Comment le geste de diffuser le cinéma expérimental s’enrichit de la salle de la lumière collective et comment la salle, son identité, sa taille, son emplacement, influencent la réception des films ? Qu’est-ce que la programmation de cinéma expérimental fait au cinéma et à l’art ? En quoi la discussion avec les artistes et cinéastes enrichit les programmes, au-delà des évidences ?
Films présentés :
ALIKI
Richard Wiebe | 2010 | numérique | 6 min;
SPACY
Takashi Ito | 1980-81 | 16mm vers numérique | 10 min ;
SHAPE SHIFT
Scott Stark | 2004 | numérique | 3 min;
WILD FILLY STORY
Josefin Arnell | 2020 | numérique | 20 min
Ce programme, réalisé dans le cadre du projet Cadavre exquis, propose cinq films scientifiques issus de la collection de films en 16 mm de l’Université de Montréal récemment numérisés par le Laboratoire CinéMédias, avec la collaboration de Louis Pelletier et Liam Schell. S’ajoute également un film expérimental de Michaela Grill et Roger Tellier-Craig, créé à partir d’images et de sons issus de six films de la collection.
Les cinq films rassemblés dans cette escale consacrée à l’art du cinéma scientifique sont de natures diverses : un film d’animation par ordinateur réalisé par l’équipe du Centre de calcul de l’Université de Montréal (Jekyllum), une exploration des propriétés chimiques du cyclohexane (La stéréochimie dynamique), une étude microcinématographique se penchant sur la formation de la cellule LE (Formation de la cellule LE), une expérience en vue subjective de la phobie d’impulsion (Phobie d’impulsion) ou encore une oeuvre en couleur de 1953, conçue par le père Venance, pionnier du cinéma scientifique au Québec, nous invitant à découvrir « les sources de la vie » (Aux sources de la vie).
Ces œuvres ont en commun le fait d’avoir été produites par un service de recherche, un laboratoire ou une compagnie pharmaceutique, dans un horizon d’éducation, de divulgation scientifique, de promotion d’une nouvelle technique, d’un nouveau savoir ou d’une technologie innovante.
Ces œuvres pédagogiques, « platement » utilitaires – en apparence désuètes, surannées, peut-être obsolètes sur le plan de la science – racontent une autre histoire du cinéma, parallèle, marginale, mésestimée. Elles représentent pourtant des millions de kilomètres de pellicules imprimées au fil du temps, négligées par la plupart des institutions qui ont à charge la préservation de la « mémoire du cinéma », reléguées aux étagères des collectionneurs, dans les recoins d’archives qui les ont héritées sans toujours bien savoir quoi en faire (sans parler de tout ce qui a été élagué, détruit, brûlé). Ce cinéma, inclassable et étonnant, a pourtant fait l’objet d’une dévotion particulière de la part d’artistes (on pense à l’amour des surréalistes pour le cinéma de Painlevé, aux remontages fabuleux de Bruce Conner, Abigail Child, Gustav Deutsch, Bill Morrison), de chercheur·euse·s-collectionneur·euse·s passionné·e·s (on pense au travail de Rick Prelinger, Skip Elsheimer, Dan Streible), et, depuis plusieurs années, a donné lieu à un réel engouement de la part de chercheur·euse·s universitaires, d’historien·ne·s de la culture et des sciences, d’institutions muséales, etc.
Ces films ont aussi ceci en partage de faire partie de la collection de plus de 1 200 films en 16 mm de l’Université de Montréal, aujourd’hui encore accessible au Centre de conservation Lionel-Groulx des Bibliothèques de lettres et des sciences humaines ou encore à la Direction des archives et de la gestion des informations (DAGI). C’est afin de valoriser ces fonds et ces collections, de leur donner une visibilité plus large auprès de la communauté de chercheur·euse·s, de personnes curieuses, de cinéphiles, mais, aussi, afin de voir comment ils pouvaient être activés par des cinéastes, des musicien·ne·s, des écrivain·e·s, etc. que la revue électronique Hors champ a décidé, à l’été 2021, de lancer le projet Cadavre exquis : ouvroir de cinéma potentiel. En collaboration avec le partenariat CinEXmédia et le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal, Cadavre exquis a permis depuis de numériser une centaine de films de cette collection, de créer des dizaines d’événements, des performances, des cycles de conférences-projections, et la création d’un site Web, bientôt en accès libre.
Ce projet nous aura permis de faire la rencontre d’œuvres stupéfiantes, comme celle du cinéaste français Éric Duvivier (auteur de près de 700 films entre 1950 et 1990); de participer à la redécouverte d’un pionnier oublié du cinéma au Québec, le père Venance, un capucin et biologiste, contemporain du frère Marie-Victorin; de mener des recherches approfondies sur l’histoire du Centre audio-visuel de l’Université de Montréal; de découvrir les travaux avant-gardistes d’animation par ordinateur réalisés au début des années 1970 au Centre de calcul de l’UdeM; de travailler avec des spécialistes du sommeil, du bégaiement, de la vie monastique, etc. Il a été aussi l’occasion, depuis 2021, de collaborations fructueuses avec des artistes locaux (le Quatuor Bozzini, Anne-F Jacques, Samy Benammar), et tout récemment, Roger Tellier-Craig et Michaela Grill, qui ont retravaillé et remonté les sons et les images de plusieurs films de la collection dans le court métrage, Délire atta, inclus dans ce programme.
Cette escale de programmation se veut donc une vitrine sur le cinéma scientifique et éducatif et sur le projet Cadavre exquis. Ce dernier veut aussi, pour terminer, offrir une illustration éloquente de la phrase d’André Bazin : « C’est à l'extrême pointe de la recherche intéressée, utilitaire, dans la proscription la plus absolue des intentions esthétiques comme telles, que la beauté cinématographique se développe par surcroît comme une grâce surnaturelle » (Bazin, 1947).