Archives des brèves éditoriales, 2e partie (2002).
De toutes les réactions que peuvent susciter les films de Michael Snow, le rire semble à première vue la plus incongrue. Mais n’est-elle seulement que la plus inavouable ? Mais manifester à haute voix une réaction d’hilarité devant ses films nous range immédiatement, aux yeux du vulgaire, dans une catégorie d’irrécupérables hurluberlus atteints d’une maladie cinéphilique dégénérative, mais fort heureusement inoffensive.
Le médium possède des caractéristiques propres toujours susceptibles d’influer sur le type d’images qu’il engendre, l’intérêt et la valeur de ces images. C’était le sujet central du premier texte de ce dossier, analysé plus en détail par la comparaison entre les films amateurs tournés sur pellicule 8mm et ceux tournés en vidéo. La proposition étant que les particularités techniques du médium induisent certains gestes dans la manière de tourner les images et affectent le choix de filmer telle ou telle chose.
La vidéo est de toute évidence le médium de notre époque et celui de notre culture. Au cours des trente dernières années elle a proliféré comme aucun autre médium dans le monde des arts (diffusion élargie dans les musées, galeries d’art et festivals de cinéma, intégration à tous les arts de la scène, à la culture techno, enseignements spécifiques dans les écoles d’art…), en plus d’être le support du média de masse qu’est la télévision. En tant que technologie de l’image, dans toutes ses variantes, son étendue est encore plus vaste ; caméras amateures, cinémas maison, documents corporatifs, Internet, surveillance… L’omniprésente possibilité de tout capter en images.
“ […] plus le cinéma de Polanski est “réel”, plus il est étrangement inquiétant (ce qui ne veut pas dire qu’il débouche obligatoirement sur le fantastique ou l’irréel) ; plus il est palpable, plus il vise l’impalpable en cela qu’il veut nous faire saisir la vérité, le versant métaphysique des choses et des êtres. “
La grande force du film n’est donc pas de jouer dans la reconstitution grandiose, éblouissante et démonstrative, mais de procéder par allusions sobres et significatives. Plutôt que les grands événements historiques rabâchés, on filme les petits faits quotidiens méconnus ou mésestimés.
Regard critique sur le rôle des médias à l’égard de la situation en Irak. “Le processus de paix n’est pas compatible avec la forme actuelle des médias”.
“C’est peut-être ça qui fait que c’est du réel : ça résiste. C’est ce que l’on ne traverse pas facilement. Quand nous choisissons les angles de caméra, les mouvements des corps de nos personnages ou de la caméra, nous essayons toujours qu’il y ait quelque chose qui résiste au regard. Nous cachons une partie, nous en cachons plus que ce que nous en montrons. “
Mais le paysage n’est pas qu’une vue, c’est aussi une vue de l’esprit, un rapport au monde, un point de vue sur le pays. Comme l’écrivait Eisenstein : « Le paysage peut incarner dans une image concrète des conceptions cosmiques entières, des systèmes philosophiques entiers. […] Tout plan est un paysage.» Sokourov, certainement, connaissait cette phrase, pour l’avoir retranscrite à la lettre à chaque plan des Voix spirituelles .
Sokourov, avec l’Arche russe, aura inventé un nouveau genre, non pas le film-fleuve, mais le film-radeau, le film-arche. Ce n’est pas un film historique où il s’agit de remonter à peu près adéquatement le fleuve de l’histoire, c’est plutôt le film qui est devenu le radeau, le véhicule scripturaire de l’histoire, descendant son fleuve mouvant avec lequel il se confond, suivant une lame continue, emportant dans son cours, indistinctement, le passé et le présent.