Brèves éditoriales

Le monde des médias


>>>>> décembre 2002 :

« Contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, le narcissisme ne s’identifie pas au désengagement politique du moment, plus généralement il correspond à la décrispation des enjeux politiques et idéologiques et au surinvestissement concomitant des questions subjectives. Windsurf, skate, deltaplane, la société post-moderne est l’âge de la glisse, image sportive qui illustre au plus près un temps où la res publica n’a plus d’attache solide, plus d’ancrage émotionnel stable. Aujourd’hui, les questions cruciales de la vie collective connaissent le même destin que les « tubes » des hit-parades, toutes les hauteurs fléchissent, tout glisse dans une indifférence décontractée. »

– Gilles Lipovetsky, L’ère du vide.

Publicité : le modèle égoïste

Il y a des courants qui traversent la publicité, des types de mise en scène et des modèles de personnages qui apparaissent simultanément dans une variété de commerciaux. Il peut tout de même être utile de se demander, dans certains cas, ce qui pousse les publicistes à la conviction que tel type d’individu devrait nous intéresser. Ces temps-ci, nous voyons entre autres la prolifération du modèle égoïste : des pères qui enlèvent leurs céréales préférées des mains de leur petite fille, qui vont en vacance pour s’isoler de la famille dans leur véhicule utilitaire et y lire des bandes dessinées, qui ne veulent pas déverrouiller les portières de l’auto pour le reste de la famille, par peur d’avoir à partager leur boîte de beignes, un homme qui prétend offrir la dernière bouteille de Heineken à une jeune femme seulement parce qu’il a vu qu’on en apportait une autre caisse, des gens qui s’évadent dans la nature avec leur camionnette afin d’échapper aux amis qui demandent leur aide pour transporter quelque chose, des enfants qui se font la guerre pour ne pas avoir à partager leurs jouets ou leurs pizzas pockets, etc., etc. (N.R.)


L’information mérite son week-end

L’information vous fatigue toute la semaine? Tous ces enjeux lourds, ces événements dramatiques, les tracas du monde… C’est comme le travail, le week-end on veut s’en reposer, mais l’information continue, alors sur les ondes de Radio-Canada on vous offre « une émission d’information qui ne se prend pas au sérieux », pas tellement au sens d’une tournure à l’humour, car ce qui compte c’est que l’information s’écoule « en douceur ».
Nous avons connu l’information comme règne du spectaculaire, de la propagande et de la peur, il s’y joindra une nouvelle tendance où le bruit du monde doit se diffuser comme un disque de détente. (N.R.)


Les intellectuels qui profitent de la guerre

Lorsqu’il y a des tensions entre des États, ou que la guerre fait rage, les médias d’information aiment inviter des « experts », des spécialistes des études stratégiques, de certaines régions du monde, de la diplomatie, des opérations militaires, etc. La canadienne Janice Stein, figure académique reconnue dans l’étude des conflits, semble être littéralement abonnée au réseau CBC. Que ce soit pour le Kosovo, l’Afghanistan, l’Iraq ou le conflit israélo-palestinien, elle ne fait pourtant que reprendre les discours officiels des gouvernements canadien et surtout américain. En quoi avons-nous besoin d’une « spécialiste » pour nous dire la même chose que Bush ou Sharon, que « Saddam Hussein est un dictateur cruel qui doit être défait », que « c’est un test pour l’ONU », que les États-Unis doivent jouer à la police du monde, que les Afgans seront libres quand on les aura débarrasés des Talibans, qu’Israël ne fait que se défendre… Ceci n’ouvre aucune autre perspective que les courts flash des nouvelles, mais elle est tellement une « habituée » qu’elle ne cesse d’appeler le présentateur des nouvelles par son prénom avant chaque phrase qu’elle prononce, « well Peter… », « you see Peter… », « what people must know Peter… ». Jamais n’a-t-elle soulevé la moindre réserve critique sur une quelconque offensive des États-Unis, elles sont toutes nécessaires et vertueuses, même si son travail est sensé être de comprendre la diplomatie. Mais après tout, n’est-ce pas parce qu’il y a des guerres que Janice Stein est toujours invitée à parler dans les médias? Il est donc normal qu’elle s’assure qu’aucune guerre ne soit évitée. La paix mettrait fin à sa carrière médiatique. (N.R.)


Les pouvoirs du journaliste

Un automobiliste fauche à mort deux travailleurs de la route. Il dit avoir été aveuglé par le soleil. Un témoin atteste de ces conditions difficiles lors de l’accident. Sur LCN, chaîne de nouvelles continues du réseau TVA, on se rend chez l’automobiliste. L’homme (un homme bien sûr « ordinaire », sans histoire, simple travailleur, interviewé en camisole dans sa cuisine) se confie donc au journaliste. Aux familles des victimes, il dit regretter, qu’il n’y pouvait rien, il ne roulait pas vite et le soleil l’aveuglait. Que ce soit vrai ou non, que l’automobiliste soit sincère ou tente seulement de sauver sa peau n’est pas la question ici, car le fait amusant, c’est que le journaliste conclut ainsi son reportage : « Qu’il ait accepté de parler à la télévision prouve qu’il a de la compassion ». Le témoignage est-il honnête? Nous n’en savons rien, éprouve-t-il vraiment de la compassion? Sans doute, mais l’écran de télévision ne nous permet pas de lire dans les coeurs. Mais le journaliste lui, prend la peine de nous aviser que nous avons une preuve. Sur quel critère? Seulement sur le fait que c’est à lui que l’homme s’est confié, lui, un journaliste de la télévision, le prêtre du confessional publique, un juge au grand tribunal instantané, car en tant que journaliste, sa conscience lui dit qu’il est destiné à ne recueillir que la vérité. (N.R.)


Le sourire de la Reine

Chaque fois que le Reine d’Angleterre est apparue aux nouvelles, si souvent au cours de la dernière année, jamais je ne l’ai vue sourire? Peut-être ne lui reprocherons-nous pas de refuser la comédie, de s’en tenir à sa simple présence et l’importance qui lui est conférée. Elle n’a pas besoin de donner ce sourire aux caméras qui immortaliseront son image. Que ce soit devant toutes les pops stars d’Angleterre, devant les Inuits du Grand-Nord canadien, une sculpture en son honneur ou le Cirque du Soleil, pas la moindre esquisse d’un sourire ne perturbe ses traits. C’est que normalement, à la télévision, le commentaire interprète l’image, crée la nouvelle et l’événement par-dessus et à partir de l’image. Dans le cas de la Reine, le commentaire fait tout, il crée lui-même l’image dont il a besoin, à partir de rien. Même si le sourire demeure absent, émission spéciale après émission spéciale, manchettes des nouvelles (d’innombrables heures, lors des célébrations à Londres et de son passage au Canada), le commentaire est là pour dire que tout est merveilleux, tout est grandiose, la reine aime tout le monde, tout le monde l’aime, elle est toujours charmée par tout ce qu’on lui présente, par tout ce qu’on organise en son honneur. Les vrais fans, les enthousiastes, s’efforcent d’y croire, même si le visage de leur reine reste vacant et impassible. Le commentaire télévisé joue bien son rôle, quand on voit une spectatrice émue quelque part dans l’Ouest canadien, venant de voir la reine à moins d’un mètre, s’exclamer à la caméra : « elle est tellement belle, je ne croyais pas qu’elle pouvait être aussi belle! » (N.R.)


Canada-US : harmonisation des politiques et des discours

Lorsque deux pays partagent des idéologies politiques à peu près identiques, on ne s’étonnera pas qu’ils adoptent en maintes circonstances des lois et politiques très semblables. On admettra cependant que le Canada et les États-Unis avaient leurs différences d’attitudes et de discours sur bien des enjeux. Mais puisque ces dernières années et tout particulièrement depuis septembre 2001, nous voyons poindre dans un bouleversement rapide une « harmonisation » des politiques canadiennes avec celles des États-Unis, c’est le mouvement contraire qui se produira, il faut s’inquiéter des discours qu’entraîneront les nouvelles politiques (sur des enjeux comme les campagnes militaires, le libre-échange, les services publiques, la drogue, l’immigration, le contrôle des frontières, la politique étrangère, etc.). « C’est ainsi que nous parlons maintenant », devra-t-on lire entre les lignes des nouveaux discours. (N.R.)


Le Canada, cible du terrorisme

En octobre dernier, le ministre John Manley expliquant pourquoi le Canada est nommé comme l’une des cibles du terrorisme : « C’est parce que nous défendons la liberté et la démocratie », dit-il, « et c’est pourquoi nous nous sommes engagés dans la guerre en Afghanistan », etc. Même discours simpliste, avec les mêmes mots qu’emploie la politique américaine. Il y a pourtant bien des pays qui « défendent la liberté » et qui ne sont pas en cause dans la dernière menace hautement médiatisée de Ben Laden (cassette dernièrement jugée comme imposture par des experts suisses, et jugée authentique par des experts américains, mais c’est une autre histoire). En plus, ces propos incarnent parfaitement le mensonge canadien sous la pression américaine. N’est-ce pas plutôt seulement pour être perçu comme un allié des États-Unis que le Canada a envoyé ses troupes non nécessaires et mal équipées en Afghanistan (« you are either with us or against us »)? Et n’est-ce pas justement parce qu’il se rallie partout aux positions américaines qu’il devient au même titre une cible désignée par Al Quaïda? (N.R.)


Extreme Ops

Le film d’action Extreme Ops met aux prises une bande d’amateurs de sport extrême avec des « terroristes serbes ». D’où vient cette idée, sinon de la tête des scribes d’Hollywood qui parcourent leur liste des potentiels méchants. Avez-vous déjà entendu parler de « terroristes serbes »?

La même semaine que la sortie du film, un haut comité de la CEE déclare que 70% de la drogue qui circule en Europe provient du crime organisé albanais, d’Albanie et du Kosovo. Pourtant, le temps de bien saupoudrer la Serbie de bombes à l’uranium appauvri, il fallait que l’Otan fasse oublier que l’Armée de libération du Kosovo était encore la veille reconnue comme une organisation terroriste financée par le traffic d’héroïne, surtout que les médias ramenaient des images où l’on pouvait lire sur des banderoles au Kosovo : « KLA is Nato ». (N.R.)


La parenté de l’art et de l’esprit marchand

L’art et le commerce ont en commun de pouvoir s’approprier n’importe quoi, de « capitaliser » sur tout. À notre époque, tout peut être défini (ou « défendu ») comme étant de l’art, et tout peut être acheté et vendu. Ce sont les deux grands créateurs de valeurs ajoutées et artificielles. Un singe fait de la peinture, ça se vend bien en tant qu’art. Aux États-Unis, une femme crée des oeuvres visuelles avec les cendres de votre défunt mari, c’est de l’art, et elle gagne bien sa vie. 9/11 est marchandable sous tous ses aspects, des t-shirts aux documentaires à grande écoute, en passant par les affiches de pompiers torse nu. 9/11 a aussi suscité quantité de « manifestations artistiques », à New York et ailleurs. Au Québec, on a même publié un recueil de poèmes intitulé Les poètes québécois du 11 septembre, pour partager des émotions et « aider » les autres à réfléchir. La poésie locale fait alors la une des chroniques culturelles. On mentionne de certains auteurs du recueil « qu’ils ne sont habituellement pas des poètes ». C’est donc grâce à 9/11 qu’ils deviennent poètes? Luc Courschêne, artiste de Montréal qui capitalisait déjà sur l’enthousiasme technologique pour justifier ses « dispositifs » high tech en tant qu’art, présente à New York une « oeuvre » faite d’une prise de vue à 360° de Battery Park « sans les tours », aussi pour permettre aux gens de réfléchir.

Il y eu peut-être des époques où l’on se demandait si l’art pouvait changer la réalité, aujourd’hui les artistes ont compris qu’il est plus profitable de la récupérer. (N.R.)


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Août 2002:

Le “contenu” selon Radio-Canada

Magnifique mise en abîme de la profession de journaliste à la télévision, lors du sommet du G8 cet été à Kananaskis, en Alberta. En studio, l’hôte de l’émission spéciale sur les ondes de Radio-Canada, Bernard Derome, s’entretient avec l’un des journalistes sur place. Après avoir parlé des manifestants, des dirigeants qui sont arrivés ou non, en hélicoptère privé ou en avion, de la sécurité, de la beauté des montagnes, etc., Derome dit : “alors il faudrait maintenant parler de contenu”. “Bien sûr”, répond le journaliste, qui enchaîne en nous informant que Jean Chrétien devrait tenter, dans la soirée, de s’entendre avec Georges Bush pour déclarer le lendemain aux médias que le plan pour l’Afrique sera une priorité dans les discussions. Stupéfiante révélation de ce que signifie “parler de contenu” pour ce journaliste. Il ne s’agit donc pas d’informer les citoyens des enjeux réels qui seront discutés, mais plutôt de la formule que les politiciens entendent servir aux médias pour gérer ce que nous devrons croire être leur intention. (N.R.)


Autre péripétie radio-canadienne du “contenu” à Kananaskis. Le ministre fédéral des Affaires étrangères, Bill Graham, daigne, de façon tout à fait louable, rencontrer un auditoire de manifestants pour répondre à leurs questions. En tant que citoyens et téléspectateurs de cet émission spéciale sur le G8, nous aimerions bien savoir les points soulevés par le public et les réponses du ministre. Loin de l’intérêt de la journaliste toutefois de se soucier de pareilles questions complexes. Elle se contente de rapporter avec ferveur le courage dont a fait preuve le ministre en affrontant une foule hostile. (N.R.)


FFM

Le Festival des Films du Monde de Montréal, considérant qu’il prétend nous offrir “le cinéma du monde”, n’en est pas à sa première démonstration de cynisme promotionel (rappellons-nous le tirage d’un voyage à Hollywood, les hommages à Sandra Bullock et Roger Moore, l’écran digital extérieur de Famous Player…). Cette année on remet un prix, pour l’ensemble de son oeuvre, à Luc Besson, dont la seule marque d’auteur qui permettrait qu’on parle d’une “oeuvre” se limite en fait à son film Le Grand Bleu, kitsh français par excellence des années 80. Sinon on le connaît pour le film d’action branché Nikita et la piètre science-fiction Le cinquième élément, ainsi que comme producteur de Taxi, film pour ados Français qui jubilent devant des cascades automobiles. Besson peut bien faire ce qu’il veut, mais il est difficile de ne pas ressentir une petite démangeaison quand le festival qui se vante de nous ouvrir à la culture mondiale amène en ville le plus américain des cinéastes français, qui rasssure tout le monde en conférence de presse lorsqu’il déclare vouloir faire un “cinéma différent”. (N.R.)


Le “Bouclier Humain”

Lorsque, en juillet, l’armée israélienne a tiré un missile sur un édifice habité en Palestine, afin d’éliminer un membre du Hamas, et fit périr 15 civils en plus de l’homme ciblé, Ariel Sharon s’est excusé du massacre en affirmant que c’était la faute du militant en question qui utilisait ses voisins comme bouclier humain. La plupart des médias ont rapporté ses propos pour conclure leur reportage sur la tragédie, sans autre commentaire, comme si l’excuse avait du sens. C’est justement seulement dans le monde médiatique et à une telle échelle des discours politiques officiels qui s’y diffusent que le non-sens peut se faire valoir sans aucune conséquence. Car en fait, Sharon nous disait lui-même être un criminel de guerre. Parlant de bouclier humain, il révèle alors que les autorités d’Israël étaient bien au courant de la présence des civils dans l’édifice, qu’il ne peut donc s’agir de “dommages collatéraux”, mais bien de l’assassinat conscient de civils. Il dit donc, pour lire un peu entre les lignes : “il utilisait des civils comme bouclier humain, alors nous avons tiré dans le bouclier”. Si un automobiliste écrase un piéton mais dit à la caméra : “j’ai bien vu la personne devant ma voiture, mais le feu était vert, alors j’ai foncé”, rapportera-t-on ses propos aux nouvelles sans la moindre distance critique, comme s’il s’agissait d’un argument valide ? Bien sûr que non, l’automobiliste serait le fou meurtrier de la semaine. Et si un attentat palestinien vise un politicien en Israël, mais tue plusieurs personnes innocentes, avec quelle largesse ou indifférence les médias accepteront-ils tout type d’excuse ? Et serait-il probable que l’on termine alors le reportage sur des images des corps, et non sur les excuses ? Le bouclier, il est dans la tête de certains journalistes ; entre la raison et le discours officiel. (N.R.)


)))) (((( Au 24 juin 2002 : “Hédonisme, culte obsédant du corps, événements sportifs hissés au rang d’épiphanies pour les masses, paganisme obscène d’une humanité décidée à ne jouir que d’elle-même, juvénilisme et éphébisme hissés au rang de bien suprême, jargon technocratique destiné à entretenir l’imposture intellectuelle et le mensonge, principe de plaisir systématiquement substitué au principe de réalité, invocation d’une mystérieuse Modernité adorée chaque jour, chaque heure et en toute circonstance, mythe d’une vie qui atteindrait cent ou mille ans, voire enfin délivrée de la mort, eugénisme enfin de plus en plus ouvertement revendiqué par les scientifiques ne sont que quelques-uns des traits qui semblent démontrer que les idéaux totalitaires, qui ne prisaient rien tant que les jeunes, le jargon, la modernité, les festivités païennes, le millénarisme et le mépris des “vies qui ne valent pas d’être vécues”, ont sournoisement triomphé…” – Jean Clair, La Barbarie ordinaire (Gallimard, 2000, pp.113-114)

Enough

Il n’y a pas que dans les films de guerre et de super héros que Hollywood doit remplir ses devoirs de propagande. Le film Enough, avec Jennifer Lopez, est l’histoire d’un mari obsessif qui poursuit sa femme. Même sa bande-annonce illustre que toute dramaturgie populaire est desormais susceptible de piger dans le scénario du traumatisme des attentats et d’appuyer le discours officiel post-9/11. Ainsi, en 30 secondes, le trailer laisse entendre ces lignes : “C’est l’âge de l’information, tout le monde laisse des traces” et à la fin, la sex symbol avec l’arme au poing déclare : “On a le droit de tuer quand il s’agit de légitime défense”. (N.R.)

Les “porcs” de Betléhem selon CTV

À la fin du siège de l’Église de la Nativité à Betléhem, le réseau canadien anglophone CTV a consacré à l’état des lieux, à l’intérieur de l’église, son plus long reportage de toute la durée du siège. Sur d’autres chaînes on mentionnait aussi la dégradation des lieux et la volonté de les restaurer, au sein de reportages traitant de la situation politique en général et du drame humain qui s’y est déroulé . Mais à CTV, on semble avoir concentré tout ce qui était disponible sur la saleté à l’intérieur, avec des prises de vue et un commentaire moussant l’indignation que doit provoquer la façon dont les gens y ont vécu (les trous faits par les balles israéliennes à l’extérieur n’étaient pas en cause). Le tout appuyé par une entrevue avec un prêtre revenu après le siège et outré que les activistes qui ont rejoint les Palestiniens auraient même “fumé des cigarettes à l’intérieur”. Bref, à en croire le ton alarmant de CTV, il y a matière à s’indigner bien plus des déchets laissés par des Palestiniens sur le plancher d’une église encerclée par l’armée, que des décombres et des cadavres palestiniens à Jénine ou ailleurs.(N.R.)


McBach

Pour sa promotion des McCroquettes à 1,99$, McDonald a utilisé un extrait du magnifique Concerto Brandenburgh de J.S. Bach. Des millions de téléspectateurs ne sauront jamais qu’il s’agit d’une pièce de Bach, mais un jour, l’entendant de nouveau, ils se diront : “Ah! C’est la tune des McCroquettes !”. (N.R.)


“Patriotisme émouvant” Il est aberrant de voir à quelle vitesse, dans les médias, un mot peut changer de signification, se revêtir d’une toute autre connotation que celle qu’il arborait la veille. Hier encore, du moins ici à Montréal, et sans doute en Europe, une production hollywoodienne qualifiée de hautement “patriotique” pouvait, même dans le langage courant et les propos des critiques grand public, appeler une certaine réserve, une distance critique, une pointe d’ironie. On entendait : “ce film, bien que patriotique…”, ou bien “un autre film patriotique…”, etc. La marque d’un résidu de lucidité qui tient au droit de dire qu’on nous prend pour des cons. Mais l’autre jour, aux nouvelles télévisées de Radio-Canada, la chroniqueuse culturelle a ainsi ponctué son commentaire sur le film de guerre Windtalkers : “un film patriotique émouvant”. Et ce, sur le même ton qu’on emploie pour dire un “film romantique touchant”, “un suspense enlevant”, “une étude de moeurs fascinante”, etc. En 2002, le film patriotique états-unien est donc, sans distance critique, une catégorie légitime au cinéma, et non le cinéma au service de la propagande politique, et ce, sur les ondes de la chaîne d’état canadienne. (N.R.)

Le montage des informations télévisées et la schizophrénie amenée par le flot d’images crée de drôles de télescopages et peut nous donner l’impression d’une structure hiérarchique et cohérente de l’information. Trois moments simultanés sur trois chaînes anglophones et assemblés par un zapping aussi rapide qu’aléatoire : -La séquence commence avec le Secrétaire américain à la défense : “je regrette profondément ces 9 morts (d’américains), dit-il avant d’ajouter, plein d’orgueil ; “mais je peux vous assurer qu’il y en a beaucoup plus de l’autre côté !”. -À l’autre poste, un homme en uniforme dit, avec le même orgueil galonné : “Ils (les 5000, 200 600 – on ne sait plus très bien – membres d’Al-Quaïda) ont décidé de se battre jusqu’au dernier et je puis vous assurer que nous leur donneront satisfaction !” -L’escalade de la bêtise et des “one liners” se poursuit jusqu’au sommet alors que W Bush lui-même conclu en disant, sous un tonnerre d’applaudissements : “…et ça ne fait que commencer !” (F.P.)


L’intronisation de la publicité comme forme légitime de manifestation culturelle (voir notes sur le cinéma et la publicité) est peut-être l’un des symptômes les plus pernicieux de l’esprit marchand de notre époque. Au cours du gala des Lions d’ors “oscarisant” les publicistes de l’année, Diane Lemieux, Ministre de la Culture et des communications du Québec, est venue rappeler aux faiseurs d’images qu’ils pouvaient être fiers de leur contribution à la culture québécoise et que son ministère accompagnerait les publicistes qui percent le marché mondial. Mais vraiment, madame la Ministre, vend-t-on des voitures de façon distincte au Québec ? (F.P.)


Qui, de la fiction ou de la réalité, porte le plus grand préjudice à l’intelligence ? Spiderman, dont le leitmotiv est “With Great Power Came Great Responsability !” ou Georges W. Bush dont l’un des discours prenait en point d’orgue : “With Great Power Came Great Responsability !”. Un président qui grimpe aux gratte-ciel ; une araignée à la Maison blanche.(F.P.)


Mettre ses comptes à jours

Fond de solidarité envers les 3000 victimes du 11 septembre : 1,2 milliard de dollars US, soit 400 000 $ par victime. Fond de solidarité du peuple de W. Bush aux 7 millions d’Afghans sous les “bombardements humanitaires” : 320 millions de dollars US, soit 46$ par victime. Coûts de ces mêmes “bombardements humanitaires” : 12 milliards de dollars. Il reste impossible de répartir cette somme per capita puisque personne a ce jour n’a cru bon de dénombrer les victimes afghanes. (F.P.)

Nouvel humanisme publicitaire : les grands magasins La Baie nous disent que quand “J’aime : j’achète” alors que la publicité de Mcdonald’s nous parle de “McValeur”. (F.P.)


)))) (((( Au 19 avril 2002 : “C’était le troisième jour de l’occupation. J’étais dans ma voiture entre Prague et Budejovice (la ville où Camus a situé son Malentendu). Sur les routes, dans les champs, dans les forêts, partout campaient des fantassins russes. Puis, on a arrêté ma voiture. Trois soldats se sont mis à la fouiller. L’opération terminée, l’officier qui l’avait ordonnée m’a demandé en russe : “Kak tchouvstvouyetyece ?”, c’est-à-dire : “Comment vous sentez-vous ? Quels sont vos sentiments ?” La question n’était ni méchante ni ironique. Au contraire : l’officier a continué : “Tout cela est un grand malentendu. Mais cela va se régler. Vous devez savoir que nous aimons les Tchèques. Nous vous aimons !”.” “Le paysage dévasté par des milliers de chars, l’avenir du pays compromis pour des siècles, les hommes d’État tchèques arrêtés et enlevés, et l’officier de l’armée d’occupation vous fait une déclaration d’amour. Comprenez-moi bien, il n’a pas voulu exprimer un désaccord avec l’invasion, pas du tout. Ils parlaients tous à peu près comme lui : leur attitude était fondée non pas sur le plaisir sadique des violeurs, mais sur un autre archétype : celui de l’amour blessé : Pourquoi ces Tchèques (que nous aimons tellement !) ne veulent-ils pas vivre avec nous et de la même façon que nous ? Quel dommage qu’il ait fallu utiliser des chars pour leur apprendre ce qu’est l’amour !” – Milan Kundera (Paris, juillet 1981), “Jacques et son maître, hommage à Denis Diderot en trois actes” (Folio, pp.10-11)

Entendu en soir d’oscarisations, sur CNN. Un journaliste se tient, micro en main, dans le hall d’entrée de l’amphithéâtre où se déroule LIVE le 74e gala des Oscars, vidé de son peuple de paillettes et de tuxedi. Le Show se déroule “en ce moment”. Je traduis, en substance, le propos du Monsieur:” Le monde entier est en ce moment rivé devant leur téléviseurs. Dans toute la ville, des hotels ont organisé des fêtes et tout le monde regarde cette nuit des Oscars. C’est comme en 1945, durant la seconde guerre mondiale, quand tout le monde était regroupé autour de leur poste de radio. Enfin, presque… Back to you…” La fébrilité d’un journaliste peut-elle servir de caution à un tel charmant raccourci historique? C’était, peut-être, juste pour rire. (A.H.)


Le Bosniaque “No Man’s Land” remporte le prix pour le meilleur film étranger. Malgré les mérites du film, faisons preuve d’un peu de mauvaise foi. Aurait-on pu rêver d’un meilleur moment pour élire un film qui descrédite – avec raison, mais quand même – et rend inane l’intervention de l’ONU en Yougoslavie. Qu’est-ce donc que le conseil de sécurité de l’ONU, semble-t-on nous dire, sinon de gras européens se tartinant de bonnes intentions. Ah! OTAN des cerises, que ne fus-tu pas là pour nous délivrer ? OTAN-US qui nous délivre, aujourd’hui, de toute arrière-pensée. Le temps n’est plus à la distraction (ma petite Amélie) mais à l’action concrète… Qui ? Kosovo qui ? (A.H.)


Journée internationale de la femme. À la radio on fait le portrait de femmes de tous âges, connues ou non, dont les réalisations et les difficultés surmontées témoignent des développements du statut des femmes dans la société québécoise. Finalement, quelques unes d’entre-elles témoignent en fait très bien de notre société en général. On nous dit même que les femmes « sont plus portées à avoir une conscience sociale », telle cette jeune publiciste qui a vite grimpé les plus hauts échelons du marketing pour la marque de vêtements Diesel, et dont la “personnalité” préférée est José Bové. Photographier des poitrines huilées et des jeans, se dire féministe et mettre sur son mur une photo d’un activiste anti-néo-libéral ; voilà au 21e siècle l’image de la réussite avec une conscience. (N.R.)


Le réseau de télévision TQS songe à produire un bulletin de nouvelles “devant public”, comme pour les jeux télévisés, les émissions d’humour, les talk-shows, peut-être avec participation du public, rires, applaudissements, etc. Sans commentaire. (N.R.)


Le film “We were soldiers” est un parfait prototype de la propagande de l’ère Bush, une des productions sorties de la filière post-9-11 dans un bureau de Hollywood. Avant de partir au combat, Mel Gibson prie dans une chapelle. “Mon Dieu, je sais que nos ennemis aussi prierons leur Dieu, quelque soit son nom, pour qu’il les protège et les soutienne vers la victoire, mais faites que je puisse ramener ces hommes qui sont de bons soldats et de bons pères de famille…” Etc. Puis à la fin le héros ajoute : “Et à propos de ce que j’ai dit de nos ennemis, s’il vous plaît Mon Dieu n’écoutez pas leurs prières et aidez-nous à les pulvériser en enfer.” (un rire d’esprit d’équipe gloutonne dans la salle). Bref, la morale de ce film : les États-Unis croient en Dieu parce que Dieu croient aux États-Unis. Ou peut-être même, plus simplement : Dieu est américain. Et bien sûr, Dieu châtie seulement ceux qui le méritent.(N.R.)


)))) (((( Au 26 février 2002 : “Une conspiration en plein jour – forme nouvelle et curieuse du groupement d’action, propre à l’époque démocratique, à l’époque de la civilisation de masses – (…) n’a pas besoin de se dissimuler ; bien au contraire, étant obligée d’agir sur les masses, de gagner les masses, d’englober et d’organiser les masses, elle a besoin de paraître à la lumière…” “Si rien n’est plus raffiné que la technique de la propagande moderne, rien n’est plus grossier que le contenu de ses assertions, qui révèle un mépris absolu et total de la vérité. Et même de la simple vraisemblance. Mépris qui n’est égalé que par celui – qu’il implique – des facultés mentales de ceux à qui elle s’adresse…” – Alexandre Koyré, Réflexions sur le mensonge (1943)

Les médias prétendent livrer un compte rendu “intelligible” des faits, c’est ce qu’ils répètent dans les bandes annonces de leurs émissions d’information. Il est alors intéressant de voir que lorsqu’ils sont sur “le pilote automatique du discours officiel”, ils peuvent afficher de flagrantes contradictions sans pour autant vouloir les questionner, les rendre intelligibles. C’est ainsi qu’à la télévision de Radio-Canada, on peut dire dans le même bulletin de nouvelles : « l’émissaire américain a tenté encore aujourd’hui de faire avancer le processus de paix au Moyen- Orient » et ensuite : “Les États-Unis ont utilisé leur droit de veto hier contre une résolution des Nations Unies visant à expédier des observateurs internationaux en territoire palestinien, 12 pays sur 14 avait voté en faveur de cette mesure”. (N.R.)


Le fameux message des réseaux de télévision :

“Les images qui suivent comportent certaines scènes de violence et de nudité, nous préférons vous en aviser.”

Comme c’est honnête, pourtant l’honnêteté véritable quant à leurs intentions serait simplement d’énoncer :

“Les images qui suivent comportent certaines scènes de violence et de nudité, c’est pourquoi nous les diffusons.” (N.R.)

“Comme vu à la télévision”, dit-on dans le marketing de certains produits. Ainsi le surplus de crédibilité d’un produit est qu’il ait d’abord été vu à la télévision, un esprit qui vient se matérialiser et ne saurait nous tromper.(N.R.)


À l’émission 5 sur 5, de la télévision de Radio-Canada, le “journaliste” (ce terme s’applique-t-il à quelqu’un ayant passé sa vie à lire ce qu’on lui donne sur un bout de papier ?) Bernard Derome nous “explique”, de son ton partenaliste, les vrais enjeux des événements du monde. Il “vulgarise” les nouvelles pour nous. Et ce n’est pas lui qui décide, mais les téléspectateurs qui envoient leurs questions, rendant son service définitivement essentiel et bienfaisant. Je l’ai surpris en train de répondre à la question “que ce passe-t-il maintenant au Kosovo?”. En parler deux ans plus tard ne fut pour Derome que l’occasion de répéter exactement une description de la situation qui avait jadis proliféré avec bien des distortions. Bref, il n’expliquait pas la situation réelle, il reprenait de manière plus simple ce qui a déjà été dit à la télévision, ou du moins, peu importe le degré d’égarement dans les discours officiels, sa recherche avait de toute évidence sondé uniquement les archives “en haut de liste” de la station. Et de nombreux autres sujets ont fait apparaître Derome tel un père qui s’assoit avec son adolescent et lui dit “bon, je vais maintenant t’expliquer les choses de la vie”, et puis il se met à déblatérer sur les choux et la cigogne. Sur la question du bouclier de défense anti-missile des États-Unis, l’ambition de Derome n’était pas de dépasser la langue de bois qui sévit sur cet enjeux, mais plutôt de tout ramener plus bas, même en-deçà du langage. Images d’infographie à l’appui, il nous faisait suivre du bout de sa baguette d’enseignant un missile nucléaire qui quitte la Corée du nord pour venir exploser en plein coeur du territoire… Canadien ! (N.R.)


)))) (((( Au 13 janvier 2002 : “La publicité qui interrompt les films à la télévision est certes un outrage aux bonnes moeurs, mais elle souligne judicieusement que la plupart des productions télévisuelles (…) sont du même ordre au fond que la publicité. La plupart des films, et non des moindres, sont faits de la même romance quotidienne : voitures, téléphone, psychologie, maquillage – pure et simple illustration du mode de vie. La publicité ne fait rien d’autre (…). Par sa nullité, elle rehausse plutôt le niveau culturel de ce qui l’entoure.” – Jean Baudrillard

Apprendre les nouvelles par coeur

Quelle fantastique vérité, cynisme inconscient de lui-même, que cette bande annonce de l’émission Tous contre un, jeux télévisé de Télé-Québec : “Vous aimez l’actualité ? Ça pourrait vous rapporter gros !”. L’important dans l’information n’est donc pas de comprendre, n’est pas de nous permettre d’avoir un point de vue sur des événements qui affectent réellement le monde et des gens, mais simplement d’avoir vu, entendu et de répéter. Un quiz sur l’actualité, quelle idée barbare ! Et qu’une information soit vraie ou non, propagandiste ou incomplète, qu’importe, elle a tout le poids de la vérité lorsque dans un quiz vous la régurgitez telle qu’elle fut émise par votre TV. Des gros sous pendent au bout de votre réponse, sur le nom de la ville bombardée hier soir. Cette émission insensée manifeste à la fois la nature de l’information, produit de consommation infini et volatile, et celle de Télé-Québec, qui, embarrassée par son mandat d’éducation et de culture, le détourne par tous les moyens absurdes pour en faire du commercial. (N.R.)


Les journalistes comme héros nationaux

Les previews des bulletins de nouvelles télévisés, surtout ceux des chaînes canadiennes anglophones, surexcitées en temps de guerre par le spectacle à l’américaine et le canado-centrisme comme unique perspective, ne s’attardent même plus au contenu des nouvelles, mais seulement à la fabrication d’un vedettariat pour leurs journalistes : “Des Canadiens qui risquent leur vie pour informer les Canadiens.”. En faire des héros nationaux, c’est aussi un moyen de passer outre la réserve qui doit être de mise quant à l’information en temps de guerre, arme principale, tout le monde en convient. Car le clou du spectacle n’est plus seulement l’amas de cadavres, mais aussi que le journaliste y était pour nous, bravoure qui devrait bientôt leur valoir des médailles et des statues à Ottawa. (N.R.)

Information : la bêtise du sérieux

Nous l’avons déjà dit, au niveau de l’information, il demeure à la radio de Radio-Canada, à l’occasion, une rigueur journalistique absolument étrangère au cirque minable de sa version télévisée. Lorsqu’on dit rigueur, on veut surtout dire intelligence, car rigueur rime peut-être trop avec “sérieux” et puisque l’information dans la forme qu’on lui connaît est d’avance une comédie, c’est dans le ton grave que la bêtise est souvent la plus grotesque. Sur les ondes radiophoniques de la SRC, on entendra parfois une touche d’ironie dans le ton, lorsqu’on rapporte par exemple les propos de Bush ou de Sharon (et l’ironie n’est-elle pas l’une des formes de subjectivité les plus sympathiques à la vérité ?), alors qu’à la télévision de cette même société d’État, on ne connaît que le spectacle du sérieux, conféré par la source des propos cités et non par leur substance. (N.R.)

Parti pris des faits

Les médias d’information ont la manie de se défendre d’émettre des opinions tendancieuses en prétendant ne rapporter que les faits. Premièrement ce sont “des” et non “les” faits qu’on rapporte, puis il faut voir lesquels. L’organisme FAIR aux États-Unis a compilé des statistiques sur le contenu des bulletins de nouvelles traitant du conflit israëlo-palestinien depuis le début de la dernière Intifada. Puisque l’opinion publique est si sensible aux “enfants”, un résultat significatif de cette enquête est qu’environ 20 % des enfants palestiniens tués ont fait partie des nouvelles contre 99 % du côté d’Israël. Il y eut au total plus de victimes du côté palestinien, et alors que ces victimes font bel et bien partie des faits, l’auditeur américain aura été informé 5 fois de la mort d’un enfant israélien avant d’en connaître une du coté palestinien. (N.R.)

Hollywood a exigé d’elle-même un arrêt sur histoire. Attendre pour voir quand il sera redevenu de bon goût de remettre en branle ses turbines, par acquis de décence. Un commentateur de CBS, relatant la sortie retardée du dernier film à tours détournées – un certain évocateur Colateral Damage – eut cette formule inépuisable : “Reality sometimes intrudes…”. (A.H.)


“Les événements” – catégorie historique réapparue depuis peu dans le lexique, et dont il faudra un jour repenser l’usage – n’ont pas seulement obligé Hollywood à retenir son souffle - question de décence -, ils auront révélé, dans l’instant même, l’indécence de sa production. Seule une culture ayant vécu à côté de l’histoire (de la sienne et de celle qui se jouait toujours ailleurs) aurait pu se permettre de s’en raconter de la sorte. L’Histoire a heurté son corps même, la projetant dans une histoire qu’elle n’avait cessé de refouler, de renvoyer à quelque périphérique contrée. Les États-Unis se seront peut-être dotés, à leurs propres yeux, et sans l’avoir demandé, d’une Histoire. (A.H.)


Le 11 septembre, pour ceux dotés de la télévision câblée (tout particulièrement), aura été la journée mondiale de la télécommande. RDI, CBS, CNN, RC, TQS, TVA, PBS, BBC, NBC, FOX, TV5. À s’en défaire le pouce, l’habile téléspectateur traque la dernière image, la dernière info. Au gré de ses multiples re-montages, n’avons-nous pas moulé l’événement, n’avons-nous pas, tous personnellement, façonné sa lecture selon nos propres intérêts ? “Change de poste, il n’y a rien qui se passe ! Mets CNN pour voir, les nouvelles y sont plus fraîches. Non, plutôt, TV5, je suis curieux de savoir ce que les Français pensent. Les pompiers encore, mais ils nous emmerdent, etc.” Entre le désir, noble, d’accumuler les perspectives et les lectures, et un désir insatiable, et un tantinet moins noble, d’événement-choc, il n’y a peut-être qu’un pas. (A.H.)


Deux journées entières sans contempler la moindre publicité, malgré des cotes d’écoute que n’aura connu aucune mémoire d’homme. Aussitôt que le robinet publicitaire s’est remis à couler, y avons-nous posé le même regard ? De la même façon que, au hasard d’un zapping malencontreux, nos yeux se posaient, horrifiés, sur Musique Plus (ou MTV), sur tel sitcom, tel soap. Ce n’est pas seulement le cheveu sur la soupe télévisuelle qui nous faisait sourciller, mais bien la révélation, décuplée par mille, d’une culture au temps statique, qui n’a, pour tout horizon historique, que la mode et l’humour du jour. Obscène, toujours relativement, mais obscène, elle l’aura toujours été. (A.H.)


Encore “la vie”

Les philosophes de la compagnie Ford continuent de diffuser leur traité de métaphysique dans la publicité. Après d’indéniables vérités dans le chapitre sur le temps – “il y a dans la vie deux sortes de temps, maintenant et toujours… Ford, pour le présent et pour toujours”- ils se penchent maintenant sur le sens de la vie : “tout ce que vous attendez de la vie, nous voulons vous l’offrir dans une voiture”. Puisque l’une des plus hautes espérances que beaucoup pourraient avoir de la vie, celle qui est impossible, c’est l’éternité, et que Ford c’est pour toujours, on peut constater la profonde cohérence de cette pensée. L’aube d’une révolution de l’interdisciplinarité ; philosophie-mécanique-publicité. (N.R.)
)))) (((( Au 20 novembre 2001 : “Voilà presque 50 ans que dans le noir le peuple des salles obscures brûle de l’imaginaire pour réchauffer du réel, maintenant celui-ci se venge et veut de vraies larmes et du vrai sang.” – Histoire(s) du cinéma, épisode 1(a), Jean-Luc Godard.

Les modes de participation du public se multiplient à la télévision : forums, courrier électronique, suggestions de reportages… L’idéologie de l’interactivité se répand. C’est parce que la machine est de nature froide et indifférente qu’elle se pare d’une oreille et d’un sourire, c’est parce que le contenu, sa valeur (et sa vérité), ont peu d’importance que les téléspectateurs peuvent bien en décider. Ce qui compte pour les médias est le consensus obtenu parmi ceux-là, le sentiment qu’ils sont participants, complices de ce qu’ils regardent, qu’ils y ont accès. Ce n’est pas une progression pour la valeur du contenu mais des techniques qui continuent de capitaliser sur l’attraction et l’effet surnaturel et idolâtrique que produit “le monde” de la télévision, la force du simple désir d’y toucher. (N.R.)


Attaquer les sens

Un reportage télévisuel présenté lors d’un bulletin de nouvelles faisait la visite d’un multiplex “cinéma” nouvellement construit. Outre les nombreuses salles, on y voyait défiler restaurants (où sont vendus bière, pizzas, hot-dogs, etc.) et salles de jeux d’arcade avec équipement dernier cri. Entre autres phallus hautement technologiques on nous montrait une salle 3D destinée à inviter, chaque jour de la semaine, des groupes étudiants à venir voir des images numériques relatant vaguement l’histoire de Vingt milles lieux sous les mers, évidemment présentée dans un contenu abrégé et bancal. Le représentant officiel, qui servait de guide avec un enthousiasme déroutant, eut une réplique charmante lorsque le journaliste lui demanda ce qu’il pensait de tous ces gadgets éducatifs : “Je suis ébloui et je suis persuadé que les visiteurs le seront aussi, car là, c’est vrai, nous avons vraiment décidé d’attaquer les sens”. (S.G.)


Depuis le 11 septembre, on peut noter l’utilisation du drapeau américain sous toutes ses formes et dans toutes ses fonctions. Ainsi en est-il d’un autocollant apposé aux bananes des supermarchés : réhabiliter par le patriotisme d’usage une denrée qui est en soit un symbole d’exploitation coloniale. (F.P.)


Sur les ondes de TQS au Québec, on diffuse l’émission Coroner, reconstitutions sensationnelles de scènes de crimes et d’enquêtes. On aime le sang mais on a une conscience à TQS. Pendant qu’on reconstitue une scène de meurtre ou de suicide, avec le plus de violence, de sang et de suspens possible, tous les détails de lame tranchante dans la chair de la victime, on indique au bas de l’écran : « Si vous êtes troublés par ce que vous voyez, contactez Tel-Aide ou Tel-Jeune au… ». (N.R.)


Les Fond de solidarité envers les 5 000 victimes du 11 septembre : 1 milliard de dollars US, soit 200 000$ par victime. Fond de solidarité du peuple de Bush aux 7 millions d’Afghans sous les “bombardements humanitaires” : 320 millions de dollars US, soit 46$ par victime. (F.P.)


Dans ses nouvelles publicités la pharmacie Jean Coutu nous dit qu’elle “nous aide à vivre”.(N.R.)


Questionnement des professionnels de la presse sur la problématique de “bien informer” les citoyens en temps de guerre : “L’armée nous dit seulement ce qu’elle veut bien nous dire”. C’est refuser d’admettre qu’il en fut toujours ainsi et accepter de s’engager sur la voie de contournement indiquée par une censure d’État puisque, ironiquement, questionner ces demi-vérités guerrières c’est quand même les diffuser. (F.P.)


Parallèle stratégique entre les “bombardements humanitaires” et les points de presse politiques : larguer des sacs de nourriture aux réfugiés comme on largue des “vérités” aux journalistes ; se draper dans la vertu humanitaire et la transparence pour mieux bombarder et mentir.(F.P.)


Selon Bush, les terroristes n’ont pas attaqué les États-Unis et leurs politiques, mais la liberté. Pourquoi les médias américains ont-ils reçu de l’anthrax, selon la reporter de Radio-Canada ? Parce que les terroristes s’en prennent à ce qu’ils voient comme un outil de propagande (comme le sont les grands médias des deux côtés) ? Non, selon elle, c’est parce que les médias “représentent la liberté”. (N.R.)


Un “spécialiste” de la publicité disait en entrevue que les messages commerciaux seraient sans doute moins tapageurs après le 11 septembre, qu’ils seraient plus softs, qu’on parlerait aux gens d’une voix plus douce. Dans la tête d’un publicitaire, il n’y a que des gestions différentes du capital humain, mais l’humain demeure toujours un capital. Il est toujours enclin à lui faire violence, la violence de l’atteindre avec ses messages, ses images, ses mondes artificiels, même lorsque cet être humain est le plus fortement ramené et attaché à la réalité, elle-même exploitable. La publicité ne peut s’empêcher d’exploiter. Ainsi, chaque fois qu’elle fait allégeance au “fait humain”, elle raffine son pouvoir d’exploitation en le faisant moins brutal, elle se veut plus compréhensive que demandante. (N.R.)


Figures antinomiques presque poétiques : l’idée d’une “guerre juste” menée à grands coups de “bombardements humanitaires”. (F.P.)


Comment, en quelques topos de deux minutes, raconter deux millénaires d’histoire orientale ?(F.P.)


C’est moins le sujet annoncé d’un reportage que sa forme implacable qui fait son véritable contenu. (F.P.)


“Le droit de supprimer tous ceux qui nous agacent devrait figurer en première place dans la constitution de la Cité idéale.” Aphorisme de Cioran et psychologie du peuple de Bush. (F.P.)


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