De toutes les réactions que peuvent susciter les films de Michael Snow, le rire semble à première vue la plus incongrue. Mais n’est-elle seulement que la plus inavouable ? Mais manifester à haute voix une réaction d’hilarité devant ses films nous range immédiatement, aux yeux du vulgaire, dans une catégorie d’irrécupérables hurluberlus atteints d’une maladie cinéphilique dégénérative, mais fort heureusement inoffensive.
Mais le paysage n’est pas qu’une vue, c’est aussi une vue de l’esprit, un rapport au monde, un point de vue sur le pays. Comme l’écrivait Eisenstein : « Le paysage peut incarner dans une image concrète des conceptions cosmiques entières, des systèmes philosophiques entiers. […] Tout plan est un paysage.» Sokourov, certainement, connaissait cette phrase, pour l’avoir retranscrite à la lettre à chaque plan des Voix spirituelles .
Sokourov, avec l’Arche russe, aura inventé un nouveau genre, non pas le film-fleuve, mais le film-radeau, le film-arche. Ce n’est pas un film historique où il s’agit de remonter à peu près adéquatement le fleuve de l’histoire, c’est plutôt le film qui est devenu le radeau, le véhicule scripturaire de l’histoire, descendant son fleuve mouvant avec lequel il se confond, suivant une lame continue, emportant dans son cours, indistinctement, le passé et le présent.
Qu’en est-il de la mort actuelle ? Celle, accidentelle ou non, que le direct télévisuel ou cinématographique capte au moment où elle passe. Nous savons que c’est cette mort actuelle que le spectateur de fiction, même s’il la recherche, ne pourrait jamais accepter dans les cadres de la fiction.
“Pourquoi au cinéma montre-t-on toujours les victimes de face et les bourreaux de dos ? (…) Parce que si on filme les bourreaux de face, c’est contre le spectateur qu’ils tirent”. (Serge Daney, La rampe)
La dialectique nous a appris, écoliers, que le vrai est toujours un moment du faux, et le faux, non moins, un moment du vrai. Cette dialectique, à la fois se vérifie et se contredit, chaque jour, suivant l’angle d’attaque et la lucidité de l’observateur, depuis que le “monde-vérité” a migré vers un autre système solaire, depuis, aussi, que la vérité est passée du discours (écrit, parlé) aux images mécaniques.
“…Au terme de ces soirées denses, l’artiste viennois a cependant semé dans la tête des spectateurs – ainsi qu’à la rédaction d’Hors Champ – de nombreuses questions qui n’ont pas manqué de soulever des discussions et des prises de positions aussi radicales (et opposées) que celles proposées par Kubelka. Il nous semblait donc nécessaire de revenir clarifier certaines des affirmations de ce théoricien iconoclaste, mais aussi de prendre avis de l’état du cinéma, un art toujours “inachevé”. Nous avons rencontré Peter Kubelka à son hôtel où, bien calé dans son fauteuil au retour d’une brève excursion ethnologique chez les amérindiens Mohawk, il a poursuivit sur la même lancée qui l’avait animé pendant deux heures chaque soir…”
“…Ce ne serait pas couper court de dire que le “vrai” devient, dans ce film, le contre-champ du faux. Mais puisqu’il arrive que le champ devienne, à son tour, contre-champ, le vrai pivote sur lui-même et devient une partie du faux. Le film nous présente une version mensongère du réel : stylisée, idéalisée visuellement. C’est précisément le réel des salles obscures, à l’âge d’or du Silver Screen. Il y aurait donc une constante suppléance, affichée, entre le vrai et le faux, entre le réel et la factice, dans un monde où le plus farfelu devient le plus vraisemblable…”
“…Quelle heure est-il là-bas ?, du réalisateur taiwanais Tsai Ming-Liang, s’affiche comme un film sur la mort du père. Le père du réalisateur est mort en 1992, et la mort du père de son acteur fétiche, Lee Keng-Shen, est survenue au cours du tournage de The Hole (1999). Son dernier film interroge et tente de surmonter la douleur que les deux hommes ont vécue, en proposant la chronique détournée d’une disparition par le biais d’une lente – bien que par moments hilarante – méditation sur le temps et la mort, sur le dépaysement et le retour, sur l’incommunicabilité et le hasard ?…”
DEUXIÈME PARTIE
PREMIÈRE PARTIE “…Cette popularité-là n’a rien à voir avec l’étrange mystique, curieuse, qui entoure les deux frères, et dont raffole, certes, un certain public qui, enfin, allait pouvoir découvrir les “individus biscornus” qui avaient mis au monde de tels mondes. Au fond, en les rencontrant, par un matin clair, nous avons pu constater qu’il n’y avait rien de plus erroné. Au lieu des “jumeaux-névrosés à la sexualité vacillante”, qu’une certaine presse tente à grands renforts de mystification de nous vendre, ce sont deux artistes d’une générosité rare, attentionnés et précieux, que nous avons rencontrés, et qui nous ont accordé une séance d’interview qui dépassait toutes nos attentes…”