Depuis une dizaine d’années au moins, l’idée de fiction à la télévision semble traverser une crise, dont la multiplication des concepts de téléréalité apparaît comme un symptôme parmi d’autres. Non pas que les émissions de fiction soient appelées à disparaître du petit écran – elles sont encore très présentes, et le resteront – mais quelque chose se passe qui concerne en substance le statut attribué au processus de fictionalisation lui-même, affectant profondément au passage le nature des liens qui se tissent dans une partie de la programmation entre le réel et l’imaginaire.
De son rôle de médiatrice entre le public et un monde qui existerait sans elle, la télévision s’est trouvée peu à peu à usurper la fonction même du réel, à recomposer selon ses propres schémas une certaine idée du monde qui désormais se trouve toute entière surdéterminée par le traitement qu’en propose le médium.
Voilà en fait ce que captent les caméras : des individualités choisies au départ pour leurs egos sur-dimensionnés, et que la promiscuité forcée du Loft amènera peu à peu à s’exhiber, offrant le spectacle bien contemporain d’une multitude de Narcisses luttant pour le pactole suprême – bien plus que de l’argent – la popularité, la reconnaisance, une célébrité instantanée.
Un dialogue, qui est moins une explication des choses qu’une sorte de fictivisation, une mise en récit du monde à l’intérieur de laquelle le téléspectateur pourra se projeter comme au milieu d’une fable exemplaire, dont la morale est toujours que son opinion vaut celles des autres.
C’est tout l’espace public représenté qui est en train de verser dans le second degré, ce niveau Méta qui fait instantanément du spectateur un complice dans l’éradication du sens et son remplacement par une sorte de cynisme branché, sans portée critique véritable mais porteur de tous les signes d’un détachement de bon ton qui en mime les effets.