Dans les beaux draps de la Cinémathèque
La Cinémathèque québécoise fêtait son cinquantième anniversaire le 18 avril dernier 1 . Outre la qualité indéniable de la bande-annonce signée Diane Obomsawin (elle est [ici-> [url=http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=K9FgXUrczSw ]]http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=K9FgXUrczSw][/url]), puis la bonne idée d’avoir filmé une cinquantaine de capsules vidéo produites par l’INIS (disponibles en partie ici), la cérémonie en hommage au demi-siècle d’existence de l’institution a accumulé les grossièretés et les maladresses.
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À commencer par ce numéro d’introduction où des danseurs sont venus valser sur fond des Parapluies de Cherbourg. Derrière eux, l’image du film. Devant nous, une performance « multimédia » – au sens le plus archaïque du terme – où des artistes tentent de se synchroniser maladroitement avec les pas de l’image et les paroles chantées par Catherine Deneuve.
Et là, on se met à cogiter, à se demander pourquoi, de tous les films du cinéma, a-t-on pris ce Jacques Demy. Pourquoi ne pas entamer la soirée sur À tout prendre, joyau du cinéma québécois et réalisé précisément la même année que la fondation de l’institution ?
Non, car il fallait, faut-il croire, de la chaire de femme pour vendre la Cinémathèque. Il fallait du chant et du Demy comme il a fallu, durant les quatre ou cinq dernières années, dès que le musée faisait une promotion, la silhouette sensuelle d’Anouk Aimée dans Lola (un autre Demy!). C’est vrai qu’alors que la Cinémathèque peut se vanter d’avoir accompli des cycles prestigieux lors des dernières années (de Epstein à Depardon, de Klein à Mettler en passant par ses séances d’animation et de cinéma muet en musique), il va de soi qu’une pin-up saura tous nous aguicher.
Plus tard dans la soirée, pendant que les fondateurs présents Jacques Giraldeau et Rock Demers n’ont jamais été invité au micro, nous avons eu droit à des numéros tout aussi gênants sur Gone With the Wind et Séraphin : un homme et son pêché (unique performance « québécoise » de la soirée, c’est dire!). Caroline Dhavernas, porte-parole de l’anniversaire, est ensuite revenue sur scène; comme les dames de Demy, comme la Vivien Leigh de Fleming et la Karine Vanasse de Binamé, la présence de l’actrice a confirmé une certaine vision guindée du cinéma, mais aussi de la femme.
Elle nous a alors invité à regarder vers l’écran.
L’horreur. Un vidéo d’anniversaire où la silhouette de Marylin Monroe s’approche d’une dizaine de chandelles et se met à chanter de bon coeur « Happy Birthday Cinémathèque québécoise », vantant les mérites des ses archives, de sa collection de documentation et de sa programmation. Clou dans le cercueil : on nous invite à souffler sur l’écran pour éteindre les chandelles. Je me demande toujours si Jean-François Lisée, lui, a soufflé.
Aucune commémoration de la trace laissée par la cinémathèque, aucune référence à son inauguration, à ses premiers balbutiements, ses déménagements, ses luttes, ses victoires, ses premières grandes rétrospectives (l’arrivée de Langlois pour une semaine Renoir, le melting pot des grands noms de l’animation en 1967 qui allait de Chuck Jones à McLaren, la présence d’Arthur Penn, de Franju et de bien d’autres). Non. Rien de tout cela sinon des discours prémâchés maladroitement par des faiseurs de speech qui pratiquaient la langue de bois quand pour une fois, il n’y avait rien à cacher : au contraire, il y avait tout à montrer.
Si l’on a pu faire apparaître Marylin pour nous souhaiter joyeux anniversaire, l’on aurait pu organiser un montage photo, nous rappeler l’impact de l’organisme, la manière dont – j’imagine – c’est en formant rapidement des alliances avec les premières cinémathèques d’Amérique latine qu’on découvrit ici et avant même les Européens les œuvres de Rocha, Sanjines et Solanas. Louanger les fondateurs de l’institution est une chose, mais les remercier en approuvant leur flair et leurs réussites en est une autre. C’est à croire qu’en prenant le point de vue des bureaucrates, la soirée rendit hommage à des fonctionnaires, pas aux bâtisseurs de notre cinéphilie.
L’institution qui s’était baptisée Connaissance du cinéma en 1963 souffrait donc déjà d’amnésie 50 années plus tard… C’est que toute l’énergie mise en scène par les organisateurs de cette soirée rappelaient le thème de « l’histoire d’amour », celui de l’amour vieux jeu, du charme courtois où l’apparence fait pavaner, où le superfétatoire l’emporte. Que du contenant sans contenu, de l’emballage qui n’est pas sans rappeler le nombre de rénovations qu’a subi la cinémathèque lors des dernières années sans jamais qu’on daigne agrandir pro-activement ses collections; à voir la tenue de la soirée, on pouvait conclure sans trop d’efforts que le fond du problème se trouve autant dans les enveloppes budgétaires que dans l’image publiques projetée par le musée.
Pour quiconque a fréquenté l’institution, on aura compris que cette soirée n’avait absolument rien en commun avec l’excellent travail qui y est accompli chaque jour par l’équipe de programmation, mais aussi par les commis, archivistes, documentalistes, pianistes, projectionnistes, et divers assistants à l’étage qui, sous pression, exécutent les hautes directives des individus responsables de ces décisions.
Ces décisions, elles sont plus dommageables à la Cinémathèque qu’une programmation mal coordonnée, bien plus dommageable encore qu’une salle vide. Ces décisions, qui donnent l’impression que la Cinémathèque trouve son inspiration dans un catalogue Sears, sont attristantes et inquiétantes. Cette nouvelle image, celle du charme qui vend, est non seulement symptomatique d’une société de consommation envers laquelle la Cinémathèque québécoise se veut d’office un rempart, mais aussi d’une pensée rétrograde, simpliste et dangereusement tendancieuse qui aurait donné raison à la dépression de Marylin.
De grâce, preneurs de décisions, ouvrez les yeux, regardez ce que vos programmateurs projettent, regardez ce que vos voûtes abritent, car la force motrice de ce musée carbure à l’amour des foules, à une certaine préciosité du cinéma que vous pillez sans scrupules. Et si vous, vous faisiez honneur à vos employés, à votre public et au cinéma, peut-être qu’à notre tour, nous, spectateurs, nous pourrions apprécier de nouveau la Cinémathèque québécoise à la hauteur de ses ambitions.
On ne demande que ça… pour les cinquante années à venir.
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Notes
- À partir d’un article précédemment paru dans les pages de Panorama-cinéma. ↩