Quand un film passe de 107 à 43 minutes, puis à 30 minutes…

Récit d’une aventure radio-canadienne

Histoire d’être humain (2005), long-métrage documentaire, est le fruit de toute une année d’observation à l’intérieur d’une école publique montréalaise. C’est avec la permission du cinéaste Denys Desjardins que nous publions ce compte-rendu des péripéties du film dans la mécanique de la télédiffusion.

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Comme vous le savez tous, depuis plusieurs années la Société Radio-Canada
n’offre plus de créneaux spécifiques pour la diffusion du documentaire d’auteur. Seules demeurent les émissions d’affaires publiques telles que ENJEUX et ZONE LIBRE.

Cependant, ces émissions possèdent leurs propres formules, reposant sur un animateur vedette (Alain Gravel ou Jean-François Lépine) qui présente le sujet du jour en y ajoutant le ton inquiétant et alarmant qui s’impose pour que le téléspectateur demeure rivé à son petit écran.

Comment exploiter un film à la minute

J’ai récemment goûté à cette expérience Radio-Canadienne lorsque la chaîne RDI s’est montrée intéressée à acheter 43 minutes de mon dernier long-métrage de 107 minutes, tourné sur une année entière dans une école publique. J’étais sous le choc d’autant plus que le film a été produit par l’ONF (ce qui implique que l’ONF possède tous les droits sur ce film) et que le « dégraissage » du film s’effectue généralement par l’acheteur lui-même, soit RDI dans ce cas-ci.

Bref, j’ai exercé des pressions pour que je puisse moi-même superviser les coupures quand, tout à coup, j’ai reçu l’information que le film était maintenant pressenti pour l’émission ENJEUX, qui voulait en utiliser uniquement 30 minutes. Au début, on croit sincèrement que cette attitude traduit l’arrogance du télédiffuseur qui « monnaye » une œuvre à la minute, comme on vend des images d’archive à la seconde…

En réalité, ce que j’ai découvert, c’est que le diffuseur désirait conserver quelques séquences chocs de mon film et ne pas s’embarrasser du reste… Le reste étant ma vision d’auteur ! Prises hors contexte, ces séquences d’élèves turbulents et de professeurs en colère risquaient de dire le contraire de ce que
j’avais observé pendant mon année de tournage.

Comment passer du grand au petit écran

Coincé entre le respect de l’œuvre et mon désir de servir la cause de l’éducation, je suis parvenu à forcer les réalisateurs de l’émission ENJEUX à m’accorder le droit de coupe intégral sur les 30 minutes que j’allais leur livrer,
de manière à protéger mes personnages et à préserver le contexte à l’intérieur duquel ils interviennent.

Dès lors, je me suis retrouvé devant l’évidence que l’approche que j’avais privilégiée pour le grand écran, soit un cinéma d’observation qui s’attarde à certains personnages de manière à les suivre pendant toute une année, ne se transposait pas aussi facilement au petit écran. Autrement dit, le cinéma direct n’a pas sa place dans le cadre d’une émission d’affaires publiques qui a besoin de « témoignages » et d’entrevues pour que le téléspectateur se sente interpellé.

D’autre part, les entrevues servent à réintroduire le contexte qui, dans un film, demande souvent plusieurs scènes et séquences avant de bien s’installer. J’ai donc puisé dans mon matériel de tournage pour y retrouver certaines entrevues clé qui permettaient à mes personnages d’exister en tant qu’intervenants.

Le triomphe du spectacle de l’information

Enfin, je vous épargne tous les autres efforts qu’il a fallu faire pour « formater » mon film afin qu’il puisse cadrer à l’intérieur d’une émission d’affaires publiques, car bien que nous puissions obtenir le droit de coupe à la télévision, il demeure que c’est à l’animateur vedette (Alain Gravel dans mon cas) que revient le droit de présenter le « sujet » dans un ton et un vocabulaire qui correspondent à la formule de l’émission.

Tout le monde sait que le ton et les mots que l’on emploie pour présenter un sujet suffisent à en installer le contexte. Or, comme vous pourrez en juger par vous-même, la classe d’élèves que j’ai suivie durant toute une année n’était pas pire que les autres. Pourtant, dans la bouche de l’animateur, ces élèves sont devenus la « pire classe » dans la « pire école » du réseau de l’éducation.

La mise en spectacle de l’information conduit souvent à la désinformation… C’est aux animateurs d’émissions d’affaires publiques que revient la responsabilité de respecter les sujets dont ils traitent sans chercher à dramatiser à outrance l’information dont ils sont les détenteurs.

À suivre, le mardi 3 janvier prochain à 21h00 dans le cadre de l’émission ENJEUX, à l’antenne de Radio-Canada.

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Histoire d’être humain fut présenté pendant deux semaines au Cinéma Beaubien.

La version intégrale est disponible sur DVD à la boutique ONF Montréal.

Pour plus d’informations, voir le site de l’Office national du film du Canada : [www.onf.ca-> [url=http://www.onf.ca/ ]]http://www.onf.ca/][/url]

Dans nos archives : Entretien avec Denys Desjardins, en 2002 lors de la sortie de son film Mon oeil pour une caméra. 1ère partie-La vision est une aventure personnelle / [2e partie-Le documentaire sous l’influence de la télévision->54]