FNC 2019

Le retour du mort-vivant

Zombi Child (Bertrand Bonelllo, 2019)

Avant même que cette 49ème édition du Festival du nouveau cinéma ne commence, j’avais déjà quelques idées pour le présent compte-rendu. J’envisageais, par exemple, différents points de départ et réfléchissais à quelques axes qui me semblaient pertinents. Il faut dire qu’après avoir fréquenté cet événement pendant plus de quinze ans, j’avais des attentes spécifiques sur lesquelles je souhaitais écrire. Aller au FNC, après tout, constitue toujours un éternel retour cinéphilique des plus agréables. J’avais bon espoir de renouer avec mes vieilles habitudes comme l’euphorie des fêtes et l’émoi d’une découverte inattendue.

Peut-être aurais-je pu faire preuve de mauvaise foi en couvrant le FNC sans me déplacer. Il m’aurait suffi de regarder des liens privés bien peinard chez moi et ensuite pondre une chronique basée sur les souvenirs d’années antérieures pour créer l’illusion d’y avoir assisté. J’aurais fait un Pierre Bayard de moi-même en « parlant d’un festival où je ne suis pas allé. » L’enjeu aurait alors de ne pas se faire prendre, ce qui aurait été tristement le cas tellement cette récente édition n’était pas à la hauteur de sa réputation. Lectrices et lecteurs m’auraient probablement trouvé surenthousiaste, au point de spéculer que j’aurais pu faire preuve de bienveillance en échange d’un quelconque pot de vin.

Allons droit au but : le FNC en 2019 n’était que l’ombre de lui-même. En me trimballant entre les différentes salles louées pour l’occasion, je n’ai jamais renoué avec l’atmosphère festif propre à cette célébration annuelle du cinéma que pourtant je chéris. La première du délirant Zombi Child de Bonello au Cinéma du Musée, par exemple, n’avait rien d’événementiel. Aucune différence avec une séance lors de son éventuelle exploitation régulière. Difficile ici de ne pas établir un parallèle peu flatteur entre la créature de ce film et le FNC lui-même. Dans les deux cas, une entité atteinte d’une immense fatigue répète par automatisme des actions qui autrefois lui étaient fructueuses. Elle ne cherche plus à se dépasser, elle se livre uniquement à un travail dépourvu de passion.

Mon acharnement sur ce rendez-vous d’octobre pourrait paraître disproportionné. Le FNC, me dira-t-on, n’est pas Locarno, encore moins Sundance ou TIFF. Il s’agit d’un simple festival généraliste, comme on en retrouve dans la plupart des métropoles canadiennes. Son comité de sélection a cependant profité d’un cocktail de lancement (plutôt une conférence de presse ouverte au public) pour proclamer haut et fort le rôle de leur manifestation à l’échelle internationale. Concrètement pour le public, celui transparaissait à travers des activités peu conviviales – jamais les spectateurs n’étaient formellement invités aux soirées à l’Agora – ainsi qu’une poignée de premières attendues. Rien qui donnait l’impression d’assister à l’événement de grande envergure annoncé.

Il faut dire que cette 49ème édition a commencé du mauvais pied, avec un article incendiaire ayant, je le confesse, largement marqué ma perspective. Le 10 octobre, soit trois jours après une ouverture peu stimulante avec Guest of Honour d’Atom Egoyan, l’ami Mathieu-Li Goyette publie dans les pages de Panorama-Cinéma un éditorial perçu par certains comme une authentique déclaration de guerre. Il y a mis la gomme, en revenant point par point sur les nouvelles directions que le FNC gagnerait à suivre, sur ce qu’il conviendrait d’appeler « l’affaire Chamberlan » et sur des choix de programmation jugés paresseux. La chronique de Li-Goyette, tout comme la mienne dois-je préciser, n’était pas tant une attaque qu’un appel à l’amélioration. Elle exprimait un amour sincère pour un festival qui, pour cesser de battre de l’aile, gagnerait à réviser sa ligne éditoriale.

Des critiques aussi sévères, le Festival de Cannes y a droit à chaque année. Le FNC, quant à lui, a longtemps été épargné par les médias culturels montréalais. Rien ne pouvait le préparer à une riposte pareille. En témoigne son silence par rapport à cette lettre ouverte. Outre un commentaire émis publiquement par une programmatrice sur Facebook, Li-Goyette n’a eu droit à aucune réponse officielle de la part de l’équipe. Espérait-elle que les jours à venir allaient prouver sa mauvaise foi? Si tel est le cas, le journaliste aura eu le dernier mot.

Que l’on me permet maintenant de revenir sur l’une de ses réprimandes. Dans son survol des films sélectionnés, Mathieu Li-Goyette évoque les absents, soit ces titres que l’on espérait découvrir au FNC. Ayant moi-même été programmateur pour le Festival Fantasia pendant une décennie, je suis plus que familier avec ce type de reproches. Maintes fois ai-je été confronté à la rage d’un critique surpris de ne pas retrouver une première attendue dans un communiqué de presse. La qualité de mon travail a été remis en question et j’imagine sans mal la réaction de mes anciens collègues lisant Panorama. Si l’état d’une programmation découle évidemment des efforts d’un comité, ces derniers ne portent pas forcément fruit. Plusieurs facteurs expliquent la présence ou l’absence d’un long métrage à un festival. Il est possible qu’il ne soit pas prêt à temps, que son distributeur préfère le présenter ailleurs et j’en passe. Parfois, certaines raisons frisent le ridicule, mais se plier à la volonté des ayant-droits fait partie du jeu. Il y a aussi un facteur humain non-négligeable : personne ne peut avoir une connaissance exhaustive de la production internationale. Même la Quinzaine des réalisateurs admet découvrir régulièrement des perles au détour d’une soumission non-sollicitée. L’omission du récent Ferrara au FNC ne signifie donc pas que quiconque s’est assis sur ses lauriers. Malgré tout – et je dois insister sur ce point – le public a le droit d’être déçu. Et le festival, en retour, doit être à l’écoute de ses désirs, quitte à admettre ses échecs.

Tommaso (Abel Ferrara, 2019)

À sa décharge, il peut certes défendre une alternative aux valeurs sûres, ce que le FNC hésite toujours à faire. Pour s’y faire, il doit néanmoins éviter les pièges du remplissage de cases horaires. Prenons comme exemple la précieuse section Temps 0, dont les problèmes de structure en 2019 reflétaient ceux du Festival dans son ensemble. Le volet comptait un nombre record de 23 longs métrages. C’est énorme! En y regardant de plus près, les cinéphiles ont vite remarqué que plusieurs succès festivaliers manquaient tout de même à l’appel. Je pense ici à First Love de Takashi Miike, Thalasso de Guillaume Nicloux, The Long Walk de Mattie Do, Dogs Don’t Wear Pants de Jukka-Pekka Valkeapää et Honey Boy d’Alma Har’el, pour ne nommer que ceux-là. Encore un fois, ces défections n’ont rien d’anormal. Toujours est-il qu’en établir la liste provoque l’étonnement. Pour y remédier, le directeur de Temps 0 a tenté de combler ses lacunes en grattant les tiroirs d’agents de vente. Plusieurs de ses choix brillaient par leur inconsistance (le documentaire Hi, AI, l’ennuyeux Yves et les inexplicables copies restaurées) et auraient pu être éliminés sans que la section n’en souffre. La gloutonnerie n’est jamais au service d’un événement culturel. Au contraire, une offre concise, réfléchie plutôt qu’éparpillée aurait été garante d’une qualité guidant mieux le public dans l’achat de ses billets. À l’avenir, un peu plus de rigueur serait de mise.

Le jeune Ahmed (Luc et Jean-Pierre Dardenne, 2019)

Le hasard a voulu que certains films visionnés proposaient à leur insu des solutions au Festival du nouveau cinéma. Depuis quelques années, les frères Dardenne semblent avoir perdu le cap avec des productions à vedettes taillées sur mesure pour la compétition cannoise. Avec Le jeune Ahmed, ils renouent enfin avec cette mise en scène épurée à laquelle ils doivent leur gloire. En opérant un impressionnant retour aux sources, ils ont réussi à confirmer leur pertinence. Certains préféreront peut-être que le FNC fasse du neuf avec du vieux. Dans ce cas, la relecture contemporaine d’Antigone de Sophie Deraspe pourrait l’inspirer. The Halt, quant à lui, démentit l’argument faussement infaillible du budget. Avec des bouts de ficelle et quelques drones probablement empruntés aux copains, il a transformé un quartier de Manille en étouffant univers apocalyptique. Les restrictions financières n’ont nullement nui à son inventivité, devenant plutôt une essence motrice pour dépeindre une saga crépusculaire de science-fiction.

Penser ces films comme des guides – une idée que Godard ne renierait pas – en vient à ouvrir la voie aux nombreuses directions que le FNC pourrait prendre. Son potentiel, il l’a toujours. Encore doit-il l’exploiter davantage au lieu de répéter une formule ayant perdu sa raison d’être. Son équipe doit comprendre qu’un festival, ce n’est pas que des films, mais aussi la folie entre chaque séance.

La scène cinématographique montréalaise est présentement en pleine transition. Alors que le Festival des films du monde semble avoir disparu pour de bon, un pari risqué comme le Cinéma Moderne connaît un succès retentissant. D’autres initiatives témoignent d’une réelle volonté à maintenir une communauté cinéphilique active. Le FNC a assurément son rôle à jouer dans cette vague de changements. À l’aube de son cinquantième anniversaire, l’heure de son renouvellement a sonné. Il ne lui suffit plus de s’adapter à l’avènement des plateformes de streaming. Désormais, il lui faut entièrement repenser aux films qu’il sélectionne, à la manière qu’il les montre et au contexte dans lequel ils sont présentés. Il doit s’octroyer une seconde mission pour permettre à son prochain chapitre de commencer. Autrement, le Festival du nouveau cinéma sera pareil aux protagonistes de The Halt. Condamné à demeurer plongé dans une obscurité opaque.

The Halt (Lav Diaz, 2019)