RIDM 2016: Sylvain L’Espérance

Dans les vagues d’un Combat au bout de la nuit


Un combat ?


Malgré ce qui chaque jour nous est donné à voir et à entendre, il semblerait que pour certains cette question se pose encore, se posera encore et toujours. Paradoxe d’un monde surmédiatisé où les possibilités de voir naître en soi-même un sentiment de révolte ou de honte pouvant mener au combat semblent tout aussi infinies que celles qui permettent d’en abolir les traces ou le germe.

Au cœur de ce paradoxe, des fluctuations incessantes où l’on pourrait se prêter au jeu d’imaginer que convergent, de manière instable et opposée, deux types de conscience, et au centre desquelles navigueraient ceux que l’on pourrait nommer les belles âmes, c’est-à-dire celles qui, partageant leurs confortables croisières entre ce qu’elles perçoivent comme deux rivages toujours abordables, en font leur cheval de bataille et leur miel avec un art consommé de l’accablement équilibré.

Parfois visibles à leurs horizons infinis surgissent à intermittence quelques plis de mer. Fruits d’un mouvement millénaire, on pourrait imaginer que ces îles donnent forme à ceux qui, guidés ou happés par la conscience tragique, tendent à divers degrés à éprouver leur être comme un tissu de liaisons avec le monde et l’histoire, une force irrésistible les inclinant à se reconnaître dans le visage du lointain comme dans celui du proche, parfois avec une violence et une nécessité telles que la reconnaissance de l’un, inextricable, ne peut s’affirmer qu’au détriment de l’autre. C’est que pour eux, le proche et le lointain perpétuellement se brouillent, s’inversent, s’éclaboussent et se renversent.

Sous les reflets mouvants de la mer, hors-champ lointain des âmes guerrières et tragiques, se dessine, sous l’effet d’une apnée forcée, la lueur spectrale d’une conscience que l’on pourrait qualifier d’individuelle – ce serait l’âme anonyme, celle qui, irradiée par tout ce qui cherche à dépeupler, disloquer, désaffecter et aveugler, court le risque que la part de l’Autre en elle-même, constamment réduite à sa plus pauvre et petite expression, franchisse le seuil de l’indifférence ou de l’invisibilité définitive – c’est l’autre en tant que simple bruit dans un système qui ne voit plus que son existence repose sur l’existence même de ce bruit. Âmes court-circuitées, non-réactions en chaîne, la décharge mortelle n’en finit plus de se répandre.

Pour apercevoir dans leur ensemble ces diverses fluctuations contradictoires et leurs déclinaisons infinies, il faudrait être en mesure d’imaginer celles-ci en tant qu’elles traversent des corps les traversant. Il faudrait imager un réseau de corps reliés par l’ensemble de ces mouvements conflictuels. Au confluent de ces mouvements, quelque part, un pays millénaire aux plis de mer multiples.

Il faudrait trouver le lieu de cette rencontre tectonique. Sismographier l’émergence de ces corps-îles, capter patiemment l’image de leurs contours naissants. Mettre en relation ces images de manière à apercevoir les courants invisibles qui les contournent et les lient souterrainement. Au coeur du chaos émergent les corps-îles-lié(e)s.

Îles-liées par une série de mouvements qui ne sauraient se produire sans les corps, ne sauraient êtres visibles sans les images. Incarnation de l’invisible par l’image. Il faudrait le cinéma.

Nécessité d’un Combat au bout de la nuit.