Publicité au FFM

Comme si de rien n’était

l’image d’une institution culturelle

Le dernier FFM a fait couler beaucoup d’encre dans la presse montréalaise lors de son déroulement en août dernier. Cinq mois plus tard, Hors Champ propose de revenir sur l’événement cinématographique le plus publicisé à Montréal et sur la polémique qui a entouré sa dernière édition. Il ne s’agit toutefois pas d’une critique de l’événement en soi mais plutôt d’un point de vue sur le système qui le supporte. Ce système est celui qui gère les politiques en matière de culture, et qui est donc responsable de celle-ci. Pour cette raison, un retour sur un tel événement pourrait nous aider à mieux comprendre le profil de nos politiques culturelles actuelles, et a donc encore une certaine valeur d’actualité.

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Dans l’hebdomadaire Ici de la semaine du 21 août 2003 (vol.6, no 46, p.21), Robert Lévesque signait un papier intitulé « Losique est mort ». Cette chronique donnait suite à celle de Denis Côté de la semaine précédente (vol.6, no 45), « Dos large », qui, s’insurgeant contre tout ce qui cloche au Festival des Films du Monde (FFM), et en particulier sa couverture médiatique, demandait aux journalistes : « Où êtes-vous donc, bande de câlisses? ». Lévesque, après être littéralement passé sur le « corps » responsable de la gestion du FFM, Serge Losique, répondait : « Au FFM, comme si de rien n’était ».

Il me semble inutile de renfoncer le clou, déjà bien martelé par Lévesque et Côté, dans le cercueil du FFM. Un festival est avant tout un « bazar 1 » à films, ou plus poliment une vitrine pour des artistes honnêtes et une fenêtre pour le public ordinaire. Malgré la machine qui les porte, ce sont ces films qui comptent. Certes, sur la moyenne des quatre cents films présentés dans une année, on peut se demander combien méritent véritablement cette fenêtre au FFM. Certes, le rituel de ce festival est mortifère. Certes, il survit, et nous, public, critiques, ou travailleurs du cinéma, y assistons, pour la seule opportunité des quelques « vrais » films qui y passent.

Mais la question a été lancée : le FFM va-t-il mourir? Le déclencheur de ce grand doute, faut-il le rappeler, a été la dévaluation du festival de la part des distributeurs. Pour ceux-ci, le FFM a perdu cette année la « cote A » du marché parce qu’il a tenu à maintenir sa programmation dans les mêmes dates que le Festival International du Film de Toronto 2 . Évidemment, les distributeurs iront plutôt à Toronto, tournée vers l’Amérique anglophone, qu’à Montréal, dédiée au marché québécois, il s’agit là d’une logique naturelle et compréhensible du marché. Le second facteur de ce scepticisme envers le FFM, plus relatif, a été le contenu de sa programmation. Ce facteur est en ce moment trop généralisable pour ne s’appliquer qu’au FFM : les critiques ont noté partout ailleurs pour l’année 2003, à Cannes, à Venise et à Berlin par exemple, que le cru était moyen. Il semble partiellement injuste d’appliquer la question du contenu à un festival en particulier : chaque festival dépend de la production courante et en donne un certain reflet. C’est plutôt la formule d’un festival qu’il faut critiquer. Et les autres facteurs de dévaluation du FFM ont été justement tournés vers cette formule (sections douteuses, ambiance terne, conférences ennuyantes, invités bidons, etc.)

Ces facteurs (le premier en tête) viennent jouer dans la balance de l’importance du FFM sur la scène nationale, mais il est douteux qu’ils viennent changer celle qu’il a sur la scène strictement montréalaise, du moins pas au point d’en déclarer sa « mort ». Le poids du FFM est celui d’un événement culturel de masse, comparable à n’importe quel autre festival public – et dieu seul sait qu’ils sont monnaies courantes à Montréal. Tous ces festivals, avant de participer au marché de la culture, sont des vitrines pour les commanditaires. Ils permettent à certaines compagnies de manifester leur volonté de participer au développement culturel auprès de la classe moyenne et d’apparaître ainsi comme de véritables agents distributeurs de richesse. Ce qui étonne, c’est que la critique s’en est prise au FFM et à son directeur, mais personne n’est venu remettre en question le soutien que ce festival obtient, année après année, de la part des institutions culturelles, privées et publiques.
Or, en se demandant ce qui permet à ce festival de tenir la route au-delà de son administration, on verrait avec netteté se profiler les erreurs de formules, mais aussi les problèmes d’un système culturel plus grand qui le supporte et qui, lui, ne tient pas encore à voir le FFM disparaître.

Lors de la projection du film d’ouverture Gaz Bar Blues (Québec, 2003) de Louis Bélanger, ce système est venu montrer ses couleurs, de façon claire et imposante, lors du défilement, coup sur coup, de la nouvelle bande-annonce de ce festival mondial, de la liste des commanditaires qui le soutiennent (seize au total, plus l’appui du Québec et du Canada, ce qui est conventionnel compte tenu de l’ampleur du festival) et de publicités de deux de ceux-ci, Astral Média et la Société de Radio-Canada 3 . Considérons un moment tout ce prologue comme un véritable exergue de ce système culturel, comme un discours de l’institution à ses destinataires (au parterre).

La nouvelle bande-annonce indique la direction du festival pour le futur, et prend son sens lorsqu’on la compare à l’ancienne. Depuis une décennie, le FFM présentait avant chaque projection une petite animation guindée de couleurs bleu et jaune accompagnée d’une musique classique insipide. Sauf erreur, cette bande-annonce n’a jamais été changée depuis dix ans. Voilà qu’aujourd’hui elle a été revampée d’une musique électro tout aussi insipide et d’un style cool avec des effets infographiques à la mode mais dans les mêmes couleurs bleu et jaune. Ainsi, on tient à souligner symboliquement qu’une page est tournée dans l’histoire de ce festival mais que, concrètement, ce changement n’est qu’un renforcement de la formule précédente : la bande-annonce demeure dans le même mauvais goût et participe de la même tiédeur de ton qu’auparavant, tout comme le FFM qui répète et gonfle sa formule d’années en années malgré les critiques.

La publicité d’Astral Média montrait Juliette dans sa chambre accueillant son Roméo au balcon et qui découvre, horrifiée, plutôt que son doux amant, un représentant d’Astral Média (à l’accent english) venu lui parler des bénéfices de sa compagnie. À part le clinquant de la représentation, la figure est nette et clairvoyante : la commandite publicitaire est derrière chaque image que nous voyons à l’écran et tôt ou tard elle peut se permettre de nous rappeler qu’elle est au balcon de nos divertissements, prête à jaillir pour se faire valoir. Cette commandite était d’ailleurs bien présente et bien représentée au festival dans cette liste interminable défilant avant chaque projection du FFM, signe que l’humour de la publicité d’Astral Média était aussi cynique que lucide.

Mais les compagnies privées ne sont pas les seules à quémander une visibilité dans un festival : l’état et ses diverses sociétés, qui jouent un rôle dominant dans le financement et le déroulement de ces événements, montrent bien qu’ils ne perdent pas de vue le marchandage de la machine culturelle. En fait, il fait partie du mandat des sociétés d’état que de participer au développement culturel au-delà du simple mécénat. Donc, il ne s’agit par pour eux a priori de marchander simplement la culture, mais de veiller au bon fonctionnement de la machine qui, elle, repose sur le libre marché.

La seconde publicité se déroulait dans une salle noire où, devant un écran blanc, se trouve tout d’abord un lapin qui grignote, puis deux, puis trois, puis douze, puis un troupeau d’oreilles compactes tournées vers un sigle de Radio-Canada, avec en voix-off quelque chose comme « parce que le goût de notre cinéma se multiplie, la Société de Radio-Canada est là pour le faire croître ». Lévesque, dans sa critique contre Serge Losique, replaçait avec justesse le FFM dans son contexte historique pour démontrer comment il avait failli à devenir ce qu’il aurait pu être (un lieu d’accès critique à la culture plutôt qu’un événement culturel de masse) et comment le directeur, qu’il comparait à un dictateur (sic), se moquait depuis longtemps de son public. Même sans le recul historique de Lévesque, il est utile de remarquer que Losique sert aussi de pantin à un système plus gros, qui, lui, se défend et s’impose très bien de lui-même. Ce système, c’est celui de la mulitplication des lapins devant un écran et du drainage de la masse sur les lieux du marché. Il suffit d’un regard dans la foule à la première de Gaz Bar Blues pour voir les oreilles de lapins alignées une à une dans la salle et pour se sentir soi-même pris au piège de la carotte 4 .

Soirée de projection au FFM

Qu’une société d’état offre une image aussi drastique d’elle-même dans une publicité ne relève d’aucune ironie. Elle cherche seulement à faire adhérer un public qu’elle perçoit comme une masse à motiver.

Nous aurons beau nous acharner sur ce festival et sur son directeur, force est de constater qu’il est resté, encore en 2003, l’événement cinématographique le plus couru à Montréal. Si Losique est à blâmer pour la qualité générale de l’événement, si les journalistes dont parlaient Lévesque et Côté ont tout de même réagi devant la situation, les commanditaires et l’institution culturelle montréalaise et nationale ne semblent pas prêts de laisser tomber le festival et le public qui l’accompagne en masse. Il y a même beaucoup à parier qu’on ne changera pas sa structure de sitôt et qu’il restera tel quel encore quelques années avant que le vent tourne. Quand bien même on virerait son directeur actuel et qu’on lui ferait perdre une autre cote de marché, on ne modifierait pas ou peu sa formule, ni l’importance qu’il a pour l’institution culturelle montréalaise.

Imaginons même que le vent tournerait et que le FFM venait à mourir, ce serait sans doute pour voir apparaître un FFM 2, aussi gros et aussi insipide mais plus adapté au niveau commercial d’aujourd’hui, plus « rentable ». Je ne vois pas pourquoi on chercherait à se mouiller dans un nouvel événement mettant de l’avant un accès diversifié et critique des films, outre ceux déjà présents sur la scène montréalaise (comme par exemple le FCMM, les RIDM et les RVCQ). Les récentes politiques nationales et provinciales en matière de culture (et donc de cinéma) entendent surtout offrir au public du pain et des jeux pour les prochaines années, des « produits » bons à faire rouler le marché, en laissant de côté ce qui est trop risqué, trop différent, trop « artistique » 5 . Le véritable problème est bien là, au niveau des impératifs commerciaux des politiques actuelles. Et il s’aggrave.

Notes

  1. Merci à André Habib pour la suggestion.
  2. Polémique assez complexe, rappelons-en un peu les détails : le FFM tombant dans les même dates que Toronto et Venise, on avait proposé à Losique de modifier les siennes pour un bénéfice commun. Celui-ci a tenu coûte que coûte à conserver les dates actuelles du FFM, espérant avoir accès à l’Impérial rénové à ce moment. Choux gras : le FFM ne fait évidemment pas le poids contre Venise et Toronto, beaucoup de films ne se sont donc pas rendus jusqu’à nous (ils étaient à Venise ou Toronto), et l’Impérial est encore en rénovation cinq mois plus tard. Merci encore une fois à André Habib pour la suggestion.
  3. Sauf erreur, ces deux publicités n’ont figuré qu’à la première du festival, les projections courantes ayant été présentées avec la bande-annonce et la liste de commanditaires.
  4. Voire à celui de l’hostie, comme le soulignait Nicolas Renaud en affirmant que dans la publicité, « ce qui compte, c’est un peu comme à la messe, quand avaler l’hostie signifie qu’on a déjà adhéré à un système de valeurs qui fonde l’Église chrétienne, qu’on en reconnaît les signes, on ne consomme pas que du pain » et que « généralement, quand on met la question de la publicité sur la place publique, c’est ainsi qu’on l’aborde, on argumente sur l’hostie tout en cautionnant l’Église comme institution et tenante de la morale. », Voir: Nicolas Renaud, “Publicité : Tendresse et dressage”, Hors Champ, Février 2001.
  5. Voir l’annulation récente du Festival International de la Nouvelle Danse (FIND), qui avait eu un succès inégalé l’année dernière (en 2003) mais qui a dû interrompre ses activités en raison de coupures importantes dans les subventions d’état.