Burn After Reading

BURLESQUE À L’ANCIENNE

Fargo et The Big Lebowski auront été longtemps les deux titres les plus appréciés des frères Coen et il suffit de mettre en perspective le cinéma américain des années 90 pour voir qu’ils avaient, plus vite et plus efficacement qu’aucun autre film d’auteur, totalement assimilé l’influence considérable de Pulp Fiction. D’abord à travers cette façon de filmer longuement la méthode employée pour violenter tel ou tel personnage, plutôt que la destruction physique et psychologique qu’elle engendre. Avec toujours le souci de lui trouver un rebondissement drôle et/ou inédit qui vienne frapper l’attention du spectateur – il faudrait d’ailleurs réfléchir à cette rapidité avec laquelle le spectateur réduit alors le film qu’il a vu à une ou deux séquences, comme si un marteau et des clous suffisaient à faire voir la maison. Ensuite, et c’est inévitable, en donnant à l’humour son caractère mémorable via le climat de violence fun dans lequel il baigne. Enfin, puisque la figure même du tueur est réduite à une dimension de pied-nickelé, en filmant les actes les plus régressifs comme une forme de nouvel héroïsme social ou, si l’on veut, la manifestation d’un anticonformisme salutaire. Ce sadisme débonnaire est devenu la mine d’or d’Hollywood et une bonne partie du public en raffole. De son côté, Tarantino aura levé toute ambigüité sur sa vision du cinéma, du spectacle et du profit en produisant coup sur coup les deux Hostel et en abandonnant l’une des quatre filles de Death Proof dans l’un des pires hors-champ de cinéma que l’on puisse imaginer : quand vers la fin du film, ses copines la troquent contre une voiture et, dans une bonne humeur générale, la donnent en pâture au propriétaire (on se souvient que la séquence se termine par un fondu sur le visage rougeaud du type qui s’avance pour la violer – la salle rit et de cette fille, nous n’entendrons plus jamais parler).

Les Coen, eux, se sont surpassés avec No Country for Old Men, film d’une précision implacable, progressivement gagné par une dimension métaphysique, où la répétition même d’une trouvaille (le jeu de la mort à pile ou face) n’est plus un vulgaire ressort scénaristique mais devient, au sens strict, une pièce de résistance. Au fond, le film est un peu l’envers grave et lucide de Fargo, sa relecture langienne, exactement comme Zodiac, réalisé la même année par David Fincher, est l’envers adulte de Seven.

Burn After Reading (Joel et Ethan Coen, 2008)

Burn After Reading (Joel et Ethan Coen, 2008)

Avec Burn After Reading, les frères Coen continuent d’opérer – sur un mode plaisant, mais mineur – ce grand saut qualitatif de leur cinéma puisque cette fois, l’œuvre peut être regardée comme une version « détarantinoisée » de The Big Lebowski, tant au niveau de la mise en scène que du récit. Claire et concise, la mise en scène a cette lisibilité de l’image propre aux grandes comédies américaines d’avant la fin des années 50, quand le montage visait à dégrossir la séquence de ce qui pouvait nuire à son rythme (toute l’action semble alors contenue entre les seules entrées et sorties de personnages). S’y ajoute ici un surcroît de profondeur de champ, le fait que notre œil entre bien dans le cadre et a le loisir de s’y promener. On peut aussi s’amuser à chercher dans la lumière d’Emmanuel Lubezki ce qu’il reste de son passage chez Malick, peut-être justement cet excédent de clarté. Quant au récit, on y goûte à un type de loufoquerie typiquement hawksienne. Car pour entièrement benêts qu’ils soient, les personnages n’y sont jamais la cible que d’eux-mêmes : ils agissent à leur guise, affranchis de toute volonté de cinéaste qui viendrait en faire un exutoire facile pour le public et le cynisme fait place à la candeur. La performance de Brad Pitt est à ce titre exemplaire, rien dans son jeu qui ne vienne commenter d’en haut les actions maladroites de son personnage. L’acteur se glisse avec beaucoup d’humilité dans la peau de celui-ci, avec cette affection et cette absence d’ironie dont seuls les grands acteurs sont capables. Et même si le film reste une énorme farce, il n’empêche pas au détour de certains plans l’émotion de poindre, les personnages étant toujours filmés dans une forme de solitude affective, sinon dans le désir vague d’être aimés. Les cinéastes tiennent jusqu’au bout leur registre satirique doux-amer, discrètement sociologique et surtout, on les sent plus que jamais désireux de filmer les visages, souvent dans une certaine nudité, pour ne pas dire vérité, ce qui fait beaucoup espérer de leur prochain film, A Serious Man.

Burn After Reading (Joel et Ethan Coen, 2008)