Croisement épistolaire autour de Karel Doing et ṚÖḊÄЇṠÜṄ
Le 7 septembre dernier, dans le cadre de sa campagne de sociofinancement, Hors champ a organisé un premier atelier d'écriture en collaboration avec VISIONS et la lumière collective. Lors de cet atelier qui s'est déroulé dans les locaux de la lumière collective, une sélection de films a été montrée parallèlement à l'exploration de quelques approches de l'image. Les participant·e·s y étaient invité·e·s à écrire un texte libre à partir de l'un des films ou programmes de VISIONS ou la lumière collective, appelé à être publié dans nos pages. L'autrice Alexandra Tremblay a répondu à l'appel et signe ici un texte inspiré par la soirée consacrée au cinéaste Karel Doing (VISIONS).
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Le 4 octobre dernier, à La Lumière Collective, VISIONS présentait une projection centrée sur les films Karel Doing. En plus des œuvres de l’artiste présent lors de cette soirée, le collectif montréalais ṚÖḊÄЇṠÜṄ a lu deux suites poétiques inspirées par les films présentés. Le texte qui suit est une réponse épistolaire à ces suites et au travail formel de Karel Doing sur le phytodéveloppement.
À l’intention du collectif ṚÖḊÄЇṠÜṄ,
Nous avons besoin de quelque chose d’émotif.
De s’incarner par des rituels, à la fois de chimistes et de magiciennes, accomplis dans le mystère avec seulement la foi. Nous portons en nous une genèse qui ne peut être communiquée que par nos sourires secrets. Nous savons les sacrements de la transsubstantiation du celluloïd en chair. Un pacte avec la matière pour créer de l’image en mouvement. Nous avons une pensée furtive pour le sacrifice des animaux qui a servi à créer la gélatine argentique. Nous mettons de la pellicule entre nos lèvres pour trouver le côté avec de l’émulsion, la matière filmique réclame des actes sensuels, comme si nous essayions de charger énergétiquement nos projets avec notre souffle et notre salive.
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Liquidator (2010).
Nous regardons les œuvres de Karel Doing comme nous filtrons un échantillon d’eau tourbeuse pour en isoler les strates : séparer les plantes momifiées et les particules de cornée flottantes de la moisissure de la lumière matérialisée en ectoplasmes-textures.
Les images peintes défilent en pulsant comme un organe. Dans la filmographie de Karel Doing, nous ne savons pas si le film pourrit sur lui-même ou perd ses eaux avant l’accouchement. Nous voyons du rouge. Une rivière rouge. Je confonds les veinures végétales projetées avec les capillaires dans mes yeux. Se mêlent le sang, la chair gélatine et les tissus filmiques. La fine peau de l’intérieur de mes paupières sont des toiles de projection qui s’emplissent de phosphènes et de persistances rétiniennes, de théâtre d’ombres chinoises, de fées de Cottingley en découpages de catalogue Sears.
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The Mulch Spider’s Dream (2018).
J’archive sous forme de mots cette curation d’œuvres-ruines construites pour avoir une fin de vie. Un peu comme une utopie d’architecte écoanxieux qui imagine des tours à condo, des églises et des musées des beaux-arts construits en sel himalayen rose. Une matière noire peinte sur la transparence me rappelle ainsi la fermentation, le processus du garum. Un ouroboros qui me rappelle que les films, les lieux culturels de Montréal et moi sommes soumis à la biodégradation.
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A perfect Storm (2022).
Peut-on archiver par les mots un lieu comme La Lumière Collective, avant que la ville la ravale comme bien d’autres lieux artistiques nécessaires ? En camping à Montréal depuis presque dix ans, parce que je ne vois mon appartement que comme un endroit pour dormir entre deux événements, je m’accroche à cette allumette qui représente bien la ville telle que je la rêvais. Ce que je venais y chercher. Le paquet commence à se vider alors que se multiplient dans nos rues les joggeurs annonçant la menace du conformisme bourgeois.
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Oxygen (2023).
Je termine cette lettre en vous posant cette question : Montréal brûle-t-elle (encore) ?