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Innover pour préserver : les outils et les techniques des archivistes

Dans un domaine où les méthodes et outils traditionnels peuvent s’avérer insuffisants, les archivistes se retrouvent souvent devant la nécessité d’innover et de s’adapter. Ces dernières et ces derniers demeurent aussi à l’affût d'objets et d'équipements parfois obsolètes et manifestent une curiosité insatiable envers les petits trésors cachés au fond des armoires. Lorsque le bon outil n’existe pas, vient le temps d’inventer de nouvelles solutions. Et lorsque les outils sont présents mais en mauvais état, il s'agit de preuve d’un peu d’amour et d’ingéniosité pour les réparer.

Pour mettre en lumière la créativité qui caractérise cette profession, nous avons contacté certains de nos collègues archivistes afin de les inviter à partager leurs outils et techniques préférés. Ces contributions révèlent non seulement la diversité des approches adoptées pour assurer la préservation du patrimoine cinématographique, mais encore, la passion de l’archiviste pour l’objet, quel qu’il soit, et tel que cet objet a le pouvoir de raconter une histoire.

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L’écailleur d’huîtres

Ana Levisky, membre de l'équipe des collections de films (IFI Irish Film Archive, Irlande)

L'idée est la suivante : se servir de quelque chose de conçu pour une activité spécifique, soit la séparation de deux coques, dans un contexte nouveau où l'action impliquée se trouve à être tout de même parfaitement exécutée. En ce cas, l'ouverture d'une boîte de film. Simple et efficace. Cela me fait penser au fait de trouver quelque chose de précieux dans une vieille boîte de métal rouillée, des images comme des perles.

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Le morceau de film polyester et l’outil grossissant

Tania L. Espinal, restauratrice et conservatrice de films petit format small gauge (Mexico)

Mon outil préféré pour l’intervention sur un matériau filmique est le morceau de film polyester, lequel s’avère essentiel pour réparer les déchirures, les lacunes, les collures, et aussi pour ajouter des queues, entre autres tâches. Je trouve très poétique que ce même matériau utilisé dans et sur le film puisse également devenir un outil de dextérité et aider à restaurer et stabiliser des objets physiquement dégradés.

Tout aussi important est l’outil grossissant, qui nous permet d’identifier les éléments clés de la bobine, tels que le code de bord (indiquant la date de production du film), les signes de pourriture et les micro-organismes. Je trouve cet outil fascinant : il nous invite à imaginer les récits des films au fur et à mesure que nous les inspectons. Il fournit de précieux indices permettant d’établir un dialogue avec les matériaux, d’approfondir la compréhension de leurs textures et de leurs couleurs puis de jouer également avec la lumière réfléchie à travers la loupe.

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Un petit ciseau étrange

Eva Létourneau, archiviste et cinéaste (Québec)

Mon outil préféré est un petit ciseau étrange trouvé par hasard dans une vieille armoire remplie à craquer. Les deux petites tiges permettent de positionner parfaitement la pellicule 16 mm, pour être en mesure de couper exactement sur la ligne de cadre. Je l’utilise constamment pour couper mes amorces, mais aussi pour faire mes films (quand j’ai la patience d’aligner la pellicule sur les tiges, ce qui n’est vraiment pas toujours le cas…). Alors, il sert tout de même de simple ciseau.

Dans mon métier, j’ai souvent l’impression qu’il me manque des outils pour faire des tâches courantes peu complexes, mais cet outil prouve que des solutions inventives parfois existent. Simple et ingénieux, je m’étonne de n’avoir jamais croisé cet outil avant ou depuis.

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La loupe

Fidel Gonzalez Armatta, réparateur de films analogiques (German Federal Archives, Allemagne)

Cette loupe de base est mon outil préféré au travail. Grâce à elle, je peux voir les moindres détails du film, mais améliorer également les photographies que je prends pour les documentations. La lentille sphérique de la loupe corrige les aberrations de couleur et la déformation ; elle permet ainsi de voir plus précisément que la loupe normale. C’est un cadeau d’un ami rencontré il y a quelques années lors de nos études en restauration de films et de photos, et je l’utilise encore quotidiennement.

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Le compteur de cadre super 8 mm et les outils de dissection

Chantal Partamian, archiviste-fondatrice de Katsakh : Mediterranean Archives (Liban/Québec)

Ma découverte préférée jusqu’à présent est un compteur de cadre Super 8. Il s’agit d’un dispositif mécanique qui permet de marquer le nombre de cadres pendant que le film est enfilé. Les compteurs de cadre sont essentiels pour moi, car ils me permettent de marquer des points spécifiques sur les bobines trouvées, et d’entrer les informations dans mon catalogage, facilitant ainsi la localisation des séquences spécifiques, des collures et des bris de perforations, notamment, au sein des bobines. Je crois qu’en étant archiviste, on a aussi de l’amour pour les petits objets bizarres et uniques, et c’est un peu cela qui m’attire vers ce petit gadget peu commun.

J’ai également un amour particulier pour les outils de dissection. Les lamelles et les pincettes, par exemple, sont essentielles dans la restauration de films anciens. Grâce à leur précision, il m’est possible de manipuler les pellicules fragiles sans causer de dommages. Je me sens, à leur contact, comme un Dr Frankenstein de la pellicule !

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Un accessoire low-tech

Sara Valle Rocha, technicienne en numérisation de films (Danish Film Institute, Danemark)

Parmi les nombreux outils analogiques et numériques avec lesquels je travaille, j’ai choisi de présenter un outil — ou plutôt un accessoire low-tech — qui me sert à la table de rembobinage horizontale KEM (ou, possiblement, à toute autre table horizontale). Lors du rembobinage de film sur des bobines, par opposition au film sur noyaux, la bande de film est normalement surélevée de 2 à 3 mm (ou de l’épaisseur de la bobine), par rapport à la plaque de la table de rembobinage. Le transport de la bande de film entrant dans le premier rouleau est donc décalé, ce qui produit une friction entre la bande de film et la plaque tournante de la table. L’« Élévateur de bande de film » est une solution simple et low-tech pour surélever la bande de film, et pour ainsi éviter la friction, l’usure et la détérioration des films enroulés sur des bobines.

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La New York City MetroCard

Oscar Becher, archiviste (Vinegar Syndrome, États-Unis)

Pour les matériaux extrêmement décomposés ou endommagés par l’eau, j’ai constaté que la combinaison de l’adhérence de l’émulsion aux couches de base et la déformation d’une bobine affectée par le rétrécissement peut entraîner un frottement important, ou pire, arracher de larges sections d’image. En effet, dérouler une bobine sur une rembobineuse à l’horizontale exerce une pression sur l’ensemble de la bobine en entraînant une force à partir de la couche externe jusqu’au centre de la bobine. J’ai découvert qu’en appliquant soigneusement une MetroCard de la ville de New York (faite de polyester de 10 millimètres d’épaisseur) pour séparer les couches au fur et à mesure qu’elles se déroulent — les décollant essentiellement de cette façon — tout en plaçant un ventilateur soufflant de l’air frais directement sur la couche d’émulsion, il est souvent possible de récupérer davantage d’images intactes, de dissiper l’humidité et les acides persistants, et de solidifier le matériau d’émulsion lubrifiant. Cette Metrocard agit comme une sorte de « force de séparation » pour disperser la tension dirigée vers les couches intérieures, tout en réduisant les effets de friction sur la couche de film externe qui est « décoincée ».

En somme, la MetroCard est un outil de calage efficace, souple et solide (elle est fabriquée en polyester, un plastique synthétique inerte), et elle offre un meilleur contrôle, voire une plus grande utilité que d’autres types de cartes en plastique synthétique telles que les cartes de crédit. Ces autres types de cartes sont généralement fabriqués en PVC (polychlorure de vinyle) épais ou même en métal, ce qui signifie qu’elles sont beaucoup plus rigides et moins flexibles. Bien que la MetroCard contienne une bande magnétique, la quantité de fer magnétisé y est minime, et elle est recouverte d’une couche de polyester synthétique qui ne devrait pas marquer la pellicule.

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