PROPOS AU SUJET DE BERLIN-JÉRUSALEM
Historienne et écrivaine, sociologue et traductrice, spécialiste renommée de l’analyse des discours idéologiques et de la sociologie de la littérature, Régine Robin a accepté de regarder avec nous Berlin-Jérusalem. L’intrigue de cette fiction historique datant de 1989 a pour héroïnes deux femmes juives, Else Lasker-Schüler (1869-1945) une poétesse expressionniste allemande et Mania Shohat (1880-1961) appelée Tania dans le film, une révolutionnaire russe qui a eu un rôle important dans les débuts du mouvement kibboutznik. Au départ, les deux femmes sont à Berlin, puis très vite Tania part s’installer dans une communauté juive en Palestine, alors qu’Else assiste à la montée en puissance du nazisme. Elle part ensuite pour Jaffa en Palestine où elle s’installe. Les modes de vie des deux femmes, et à travers elles, ceux du Berlin expressionniste et des pionniers juifs en Palestine, sont mis en regard tout au long du film. La narration qui se déroule avant 1939 se termine par une évocation des violences actuelles entre Israéliens et Palestiniens. Ce film a été choisi car Régine Robin connaît très bien le passé et le présent de la capitale allemande. Par ailleurs, cette relation que l’écrivaine entretient depuis longtemps avec l’Allemagne fait l’objet de son dernier ouvrage à paraître en 2016.
Précisons que l’on a choisi de garder au texte son allure d’entretien oral.
Vous me demandez mes premières impressions après avoir visionné ce film. Je trouve qu’il est extrêmement puissant, plein d’énigmes. Je n’ai rien lu sur celui-ci avant aujourd’hui [lundi 14 décembre 2015]. La seule chose que je sais, c’est qu’il est de 1989. Il m’apparaît très riche dans ses multiples facettes. Je vois tout d’abord des contrastes comme toujours chez Amos Gitai. Il joue ici avec un Berlin de studio [le film a, en effet, été tourné à Paris]. Berlin-Jérusalem, c’est le titre, mais on ne voit rien non plus de Jérusalem. À peine, la pierre de la ville et des environs, disons, le désert. Cela lui permet de jouer aussi sur les lumières. D’un côté, tout se déroule dans des clairs-obscurs et la grisaille alors que de l’autre côté, la lumière aveuglante du désert est omniprésente. Les contrastes d’époques sont aussi très marqués. Il y a le Berlin d’avant le nazisme et celui d’après 1933. Dans le désert et proche de Jérusalem c’est la même chose. Il y a dans un premier temps la coexistence avec des Arabes (je vais y revenir), puis les premiers bruits de guerre qui doivent certainement renvoyer à 1936, parce qu’Else n’a pas véritablement vu les luttes pour l’indépendance (Else Lasker-Schüler est morte en 1945). Et puis, à la fin du film, le contemporain avec la présence de la première Intifada, qui obsède Amos Gitai, ce que son pays devient aujourd’hui. J’ai été frappée par ces va-et-vient de lumière, de lieux, de temps, avec toutes sortes de réflexions sur l’utopie les accompagnant.
L’utopie est particulièrement présente chez ces prékibboutzniks qui arrivent en Palestine afin de s’installer dans de petites coopératives. Il y a là des Russes prérévolutionnaires comme Tania [pseudonyme pour Mania Shohat] et puis d’autres qui arrivent de Lituanie, puis celui qui arrive d’un village en Pologne. Tous ces gens qui veulent labourer la terre en commun discutent des divisions du mouvement ouvrier entre la gauche sioniste et ceux qui sont plus proches de Rosa Luxembourg. Ainsi, Amos Gitai donne à voir et à entendre un ensemble de discours qui renvoient effectivement aux discussions propres au mouvement ouvrier de cette période. Cela se déroule dans l’utopie la plus totale, qu’on retrouve aussi au début, du côté de Berlin puisqu’on est dans le théâtre expressionniste avec, par exemple, ce grand drapeau rouge. Il y a aussi ces visages de femmes maquillées qui, pour moi, sortent tout droit de tableaux expressionnistes.
De plus ce Berlin d’avant 1933 est totalement mythique. Il en va de même de cette représentation de la Palestine pré-Israël. Le metteur en scène joue avec ces suggestions et ces mythes. Dans le film, l’exil est très bien évoqué. Else ne s’y retrouve pas, absolument pas. Cet aspect entre en écho avec le fait que le film est parsemé de ses poèmes, ce qui lui confère une dimension très poétique. Il y a des vers qui reviennent sans cesse, instituant une forme de prosodie, presque comme une litanie. Mais même au milieu de sa poésie, elle ne s’y retrouve pas.
Il y a, en plus de cela, des scènes historiques, enfin des scènes qui renvoient à l’histoire, comme l’autodafé de 1933, c’est très bien montré. Par ailleurs, quand les SA arrivent dans le café, on entend des bruits de pierre, c’est l’évocation de la Nuit de cristal. Ce n’est pas tout à fait la Nuit de cristal qui a eu lieu en novembre 1938, puisqu’à cette période elle est déjà partie de Berlin. Mais, encore une fois, peu importe, car il s’agit d’une évocation du nazisme. Ainsi, il y a énormément d’éléments poétiques, historiques, de renvois, de peintures … et puis, finalement tout s’écroule car, encore une fois, elle ne s’y retrouve pas. Elle tourne en rond. A un moment donné, il y a le premier mort du côté des prékibboutzniques quand ils décident de labourer sans se poser la question de la propriété… et puis on sait très bien tout ce qu’il en est advenu. Le Berlin d’après le nazisme ne sera plus jamais celui d’avant et la Palestine de ces gens dans l’utopie ne se retrouvera pas (un peu dans les Kibboutzim au départ, mais ça n’a eu qu’un temps).
Enfin, il y a dans les dernières minutes du film cette intrusion du temps présent, à laquelle je m’attendais, car chez Gitai elle était possible. Je me disais, il ne va pas en rester aux années 1930 ! Elle est la marque d’un pessimisme énorme. On entend des voix en hébreux, qui disent d’une certaine manière qu’il n’y a pas de solution (de toute façon on ne demande pas à un cinéaste des solutions). Le film se clôt ainsi.
La première chose à laquelle nous pensons, en écho à vos propos, c’est finalement : pourquoi ce titre Berlin-Jérusalem ?
Oui, ça pourrait être l’Allemagne, car il y a des éléments historiques et ça pourrait être la Palestine car il y a le désert et comme une vague idée de murailles mêmes si ce ne sont pas celles de Jérusalem. Je crois que c’est pour inscrire des éléments biographiques, même si Gitai a grandi à Haïfa. La référence au nom Weintraub, qui est le patronyme de son père, à plusieurs reprises dans le film renvoie à cela. Je crois aussi que d’une certaine manière c’est pour encoder des mythes. Berlin années 20. Jérusalem années 30. Je pensais, avant de voir le film avec vous, qu’il serait avant tout urbain, que nous allions voir le Berlin d’avant et puis à quoi cela ressemblait Jérusalem dans les années 1930… Je m’attendais à une forme d’urbanité dans le contraste entre les deux villes et dans la vie de la poétesse que je connaissais un peu. Finalement il n’y a absolument rien d’urbain dans le film, sauf dans les dernières images où on est dans les rues de Jérusalem. Mais en dehors de la fin on est soit dans le désert, soit dans un Jaffa qui ne ressemble pas à Jaffa, ou dans un Berlin qui a été filmé dans des cafés. En fait ce n’est pas la valeur documentaire ou topographique qui intéresse Gitai, mais la dimension mythique et poétique des deux villes.
Il y a dans le film quelque chose qui est de l’ordre de l’esprit de ces lieux plus que d’une représentation réaliste.
Oui et en même temps [Régine Robin demeure un instant silencieuse], il y a quelque chose qui m’est complètement étranger dans ce film, mais que je reconnais et que j’apprécie, c’est cette espèce de candeur à évoquer les débuts du sionisme. Il y a une espèce de mythologie du début alors que moi je n’ai jamais été sioniste et que je viens d’une famille juive de Pologne, qui a été communiste pure et dure et qui ne portait pas dans son cœur les sionistes. Nous pensions que c’était une solution complètement aberrante. J’apprécie notamment la référence dans le film à Ben Yehuda qui est l’inventeur de l’hébreu moderne. Tout cela est présent dans le film où fourmillent de nombreuses allusions aux débuts du sionisme, au début du mouvement ouvrier juif en Palestine. C’est très riche, mais complètement éclaté comme tout ce que fait Amos Gitai, c’est d’ailleurs peut-être cela qui fait la richesse de ses créations.
Nous vous proposons de regarder à nouveau une scène tournée à Berlin. Elle est typique de cet esprit de café que vous avez évoqué. En même temps, il semble qu’Amos Gitai interroge aussi le statut du film comme représentation avec ce personnage qui s’adresse presque à la caméra.
« Un café enfumé.
On entend le son d’un piano. Paul et sa mère sont avec leurs amis, l’éditeur d’Else, Ludwig…
Non loin d’eux un homme lit le Daily Express. Comme toujours, Else porte de bijoux voyants et elle est très maquillée.
Else : Regarde, « l’Armée britannique saisit un cache d’armes en Palestine… » Ludwig : « Des membres de la résistance juives arrêtés ». Else : Des armes en Terre sainte.
Le lecteur du Daily Express replie son journal.
Else : Le roi David se soulève… Absalon à la chasse… La reine Sulamite se refugie dans son temple…
Client : Ça, c’est dans le journal ?
La femme qui l’accompagne : Ça ne peut pas être si excitant…
Client : Est-ce vrai, cette vie de café, ou est-ce notre imagination ? C’est ça, le monde que nous contemplons fascinés tous les soirs, de 6 à 8 ? Qu’est-ce qui nous poursuit tous ainsi ? »
Oui, je me suis interrogée sur cette phrase en particulier : est-elle de la poétesse ? Le café sert de dernier refuge. Je n’arrive pas exactement à situer la scène dans le temps. La vie de bohème comme cela c’est, de mon point de vue, une représentation un peu facile de Berlin. L’expressionnisme, les cafés, l’arrivée du nazisme là-dedans… il y a un tout autre Berlin à cette même période, celui de l’après Rosa Luxembourg notamment, le Berlin de la vie ouvrière, des arrière-cours et de la pauvreté… On sent qu’on est dans le film dans un monde mythologique de bohème. L’évocation du Romanisches Café où Walter Benjamin … pourquoi pas ? On est de toute façon happé par le film dont on accepte les codes esthétiques. Une fois qu’Else est déracinée de la capitale allemande, qu’elle est partie s’installer en Palestine, c’est de ce Berlin-là qu’elle va se rappeler, d’une ville mythique, toute faite de la vie de bohème et de poésie, son monde de l’époque, monde de privilégiés qui n’ont rien vu venir.
Oui, c’est un Berlin bien plus mythique que réaliste qui nous est donné à voir.
En effet, mais cela n’aurait peut-être eu aucun intérêt de nous le montrer de manière réaliste. C’aurait été un tout autre film. De même, la vie du petit groupe en Palestine au milieu du désert n’aurait peut-être pas eu un très grand intérêt s’il s’était agi de reconstituer leurs conditions de vie qui devaient être très dures. C’est plus la rencontre ou tout du moins une sorte de frôlement, entre deux utopies qui intéresse le réalisateur. Il choisit du reste de représenter la manière dont celles-ci s’écroulent au final, l’une dans le nazisme et l’autre dans la non-cohabitation avec les Arabes ouvrant les affrontements de la période contemporaine.
Les deux arrivées en Palestine sont également très différentes.
« Nuit. À nouveau le son plaintif de la trompette. On distingue la proue d’un canot, ou d’une barque de pêche pleine de passagers. Sur la jetée, des Européens en costume de ville, et des Arabes en keffieh attendent les passagers.
Else sort de la barque et regarde les vieilles maison arabes du port de Jaffa. Une vieille connaissance de Berlin, Zins, l’accueille en allemand.
Zins : Votre Altesse, le prince Youssuf ! C’est un grand honneur pour moi de vous accueillir sur la terre du roi David !
Else : C’est bon, cher pacha. Mes valises.
Zins : Le port de Jaffa peut donner une mauvaise impression de ce pays, surtout la nuit.
Else : J’attendais le pays où coulent le lait et le miel ».
Else, quand elle arrive à Jaffa dit, « je pensais arriver au pays de lait et de miel », la phrase biblique, or, le port assez misérable de Jaffa où elle débarque de nuit, ce n’est pas tout à fait ça. Si elle avait dû faire la traversée du désert à cheval comme Tania, elle ne l’aurait certainement pas supporté, même si les paysages sont grandioses. Ces deux arrivées sont un peu rocambolesques, car, à mon avis, on n’arrivait pas sur un petit bateau comme cela, mais sur un énorme bateau à Haïfa et non pas à Jaffa. Les deux sont intéressantes car elles installent, quelque part, le film dans le mythe.
Oui, il y a une arrivée, celle de Tania, où elle vit encore dans le mythe. Il y a juste après sont arrivées quelques scènes qui relèvent du Western, voire de Laurence d’Arabie (David Lean, 1963), alors que pour l’autre, il y a quelque chose de différent, avec un plan très long sur son visage, avec un regard choqué, comme vous venez de le dire, par l’écart entre le mythe et la réalité de la vie à Jaffa.
Oui, on pourrait ajouter qu’une des arrivées a lieu en pleine lumière alors que l’autre se déroule dans l’obscurité. Comme souvent chez Gitai, il y a là un contraste visuel. La trame sonore est également très riche. Il y a de très belles chansons russes et allemandes des années 1930 et aussi des musiques beaucoup plus contemporaines. Comme souvent chez ce réalisateur la trame sonore est très élaborée et importante. Elle participe aussi à ce rapport contrasté entre les deux espaces.
Le travail sur la langue également…
Oui bien sûr avec ces allers-retours entre l’hébreu, le russe et l’allemand.
Et le rôle de la poésie. On ressent, dans le film, quelque chose de l’ordre d’une lucidité de la langue poétique alors que la langue quotidienne peine à se confronter au réel.
Oui et en même temps le discours public des années 1930 est extrêmement riche. Sa poésie est très belle, mais je ne sais pas si seule la poésie peut dire quelque chose ou alors cela transcende le seul cas de Berlin et c’est plus un problème théorique général. Est-ce que la fiction peut dire quelque chose de plus vrai que le vrai ? C’est un problème qui n’a rien à voir directement avec Berlin dans les années 1930. C’est la question du statut du fictif vis-à-vis de la vérité et dans le fictif le statut particulier de la poésie…
Oui et en même temps dans une scène particulière du film, on sent une tension entre une poésie comme manière de fuir le réel, soit la montée du nazisme, vis-à-vis de sa poésie à elle qui constitue une façon de dévoiler le réel relevant presque de la clairvoyance.
Le monde se lamente
Comme si le bon Dieu était mort
Et l’ombre de plomb qui s’abat
Pèse du poids du tombeau.
La vie gît dans tous les cœurs
Comme dans des cercueils.
Je veux retourner dans l’infini
En moi-même.
Déjà fleurit le colchique d’automne de mon âme,
Peut-être est-il déjà trop tard.
Oh, je meurs parmi vous !
Vous m’étouffez avec vous tous.
Je voudrais tirer des fils autour de moi,
Qui pendent pêle-mêle !
Égarée
Vous égarant.
M’évader
En moi-même.
Tout à fait, mais il y a des tas de gens qui ont été clairvoyants à cette époque-là sans être poète. C’est, en effet, nettement souligné dans le film, lorsqu’elle dit à un autre poète « continue de rêver Ludwig ». C’est la scène où elle a décidé qu’il n’y avait plus rien à faire et qu’il fallait mieux partir. Pour ce qui est de la poésie comme mode privilégié de révélation de la montée du nazisme, je reste cependant assez réservée. Concernant le travail sur la langue, il y a aussi le rapport à l’allemand. En effet, nombreux ont été les poètes juifs qui ont refusé de l’utiliser après leur exil. En fait, il y a ceux qui ont dit, il nous reste la langue, la langue a été sauvée, comme le dit Elias Canetti et il y a ceux qui à un moment donné ont dit nous ne voulons plus jamais parler ou écrire en allemand, comme Hannah Arendt ou Siegfried Kracauer. Le rapport à l’allemand est aussi inscrit dans le film, ce qui fait une partie de sa richesse.
Else a d’ailleurs déclaré une fois en Palestine qu’elle ne voulait pas que ses poèmes soient traduits en hébreu, car « ils sont assez juifs en alleman » [[ Gil Pressnitzer, Else Lasker-Shuler. La clocharde céleste : « Cette étrange étoile fit le passage de Berlin à Jérusalem où elle finit sa vie, refusant toute traduction de ses textes en hébreu : « Mes poèmes sont assez juifs en allemand ! » et ayant une attitude très libre envers la religion, scandalisant ainsi jusqu’à son dernier souffle. Elle ne parlait ni le yiddish, ni l’hébreu car pour elle le sens des prières n’avait pas besoin de compréhension ». [url=http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/laskerschuler/Lasker-Schuler.pdf]http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/laskerschuler/Lasker-Schuler.pdf[/url].
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Cet aspect est tout à fait passionnant, mais ça il ne le met pas dans le film. On aurait pu l’entendre le dire et cela aurait donné une nouvelle dimension au film.
Ce qui est intéressant dans la suite de la séquence où elle quitte son ami poète, c’est la contamination sonore de la scène de l’autodafé par le bruit des trains.
Oui, je croyais d’ailleurs qu’on la verrait dans le train partir pour Zurich. En fait, le train peut avoir plusieurs connotations. Cela peut signifier le départ, car avant la Nuit de cristal en 1938 les Juifs pouvaient partir, mais, comme vous le savez, il y a aussi d’autres trains qui sont plus douloureux à évoquer. Il y a cette thématique du sifflet, du train, qui dure assez longtemps. Il insiste. Mais pour elle il s’agit d’un départ, d’une fuite. Il y a aussi cette scène où elle est d’ailleurs assez imprudente, quand elle demande un aller simple en disant que personne ne voudrait revenir à Berlin. Cela aurait pu très mal se terminer. On est à ce moment-là complètement avec elle. On la suit. On veut qu’elle s’en tire.
Après cette séquence, il y a une profonde transformation de son apparence physique. En effet, au début du film à Berlin, elle paraît assez heureuse, voire extravagante avec tous ses bijoux assez tape-à-l’œil, puis à la fin en Palestine, son apparence est beaucoup plus terne, son visage en particulier est comme défiguré.
Oui, elle n’est d’ailleurs plus maquillée. C’est sans doute lié à une perte du contexte. Elle était maquillée dans un contexte expressionniste, avec toutes ces figures qui semblent directement sorties d’un tableau. Quand elle arrive en Palestine, cela ne rime plus à rien. Il y a autre chose qui se met en place.
Et à la fin, elle change encore une fois, puisque le film la projette dans le contemporain.
Oui, à la fin, le contemporain arrive, ce que l’on entend par la trame sonore, ce que l’on voit découvrant les voitures de notre temps et l’événement dont il est question aux actualités à la radio. Ils parlent de l’Intifada, ce dont je me souviens très bien.
C’est comme si en marchant elle faisant passer le temps.
Oui, en fait, elle est morte depuis longtemps. Dans le film, il y a en même temps des phrases qui sont contemporaines de la vie du spectateur (1989) et le retour des phrases prononcées au début du film dans le Berlin expressionniste des années 1920. Il y avait la même chose dans Carmel (Amos Gitai, 2009), à la fin, les anciennes victimes sont devenues des bourreaux. Dans Berlin Jérusalem, Gitaï établit un parallèle entre le temps du théâtre expressionniste juif à Berlin et la vie des arabes… cela n’a pas dû plaire en Israël. Il y a comme une boucle, mais ce ne sont plus les mêmes victimes.
Vraiment, je trouve que c’est un très beau film, qui n’a certainement pas suffisamment été diffusé. On y décèle une très grande richesse à la fois dans les thèmes abordés et dans la manière dont ils sont abordés.