Motif pour une étude visuelle : l’exemple de Psycho
Qu’est-ce qu’une étude visuelle au cinéma (à ne pas confondre avec une étude visuelle du cinéma) ? De quelle façon un cinéaste peut-il se faire lui-même analyste d’images, cinématographiques, picturales ou autres, tout en intégrant cette analyse à sa pratique de cinéma ? Pour Nicole Brenez, qui s’est penchée sur la question dans un chapitre de son ouvrage De la figure en général et du corps en particulier, une étude visuelle, c’est un « face à face entre une image déjà faite et un projet figuratif qui se consacre à l’observer, autrement dit, d’une étude d’image par les moyens de l’image elle-même » 1 . On pense bien entendu ici à Godard qui, d’À bout de souffle à Notre musique, en passant par ses flamboyantes explorations vidéographiques (Soft and Hard, Histoire(s) du cinéma, The Old Place notamment), a ouvert, plus que quiconque, le champ de l’étude visuelle au sein d’une poétique de cinéma personnelle et constamment réinventée. On pense également aux travaux du cinéaste expérimental Ken Jacobs, en particulier Tom, Tom the Piper’s Son, aux oeuvres d’Angela Ricci-Lucchi et Yervant Gianikian, Alain Fleischer, Al Razutis, Gustav Deutsch, Mathias Müller, Chris Marker, Guy Debord ou Harun Farocki, dont les oeuvres sont, à un degré ou un autre, des laboratoires qui explorent – souvent avant et mieux que les meilleurs théoriciens – les possibilités d’une pensée qui se déploierait en images et en sons.
Mais il ne s’agira pas, dans le cadre de cette analyse modeste, des œuvres de ces cinéastes, mais plutôt d’une œuvre qu’on a eu tendance, et à tort, à rejeter comme relevant d’une entreprise bassement mercantile et racoleuse, un avatar du recyclage post-moderne : Psycho de Gus Van Sant 2 http://www.horschamp.qc.ca/new_offscreen/psycho_van.html ]][/url].
Le projet de Gus Van Sant fut, comme l’écrivait Jean-Marc Lalanne, critique des Cahiers, non de faire un « nouveau Psycho », mais de faire Psycho « à nouveau » : en d’autres termes, de refaire le film à l’identique, en conservant les dialogues, les échelles de plans, en reconstruisant les mêmes décors et en suivant à la trace la mise en scène de Hitchcock. De plus – fait rarement noté – le tournage allait suivre le plan de tournage du film original et allait durer exactement 37 jours, comme celui du maître. Van Sant alla même jusqu’à interdire les projections de presse (comme l’avait fait Hitchcock) et le film sera produit par le même studio (Universal). Le Psycho nouveau est néanmoins campé en 1998, filmé en couleurs, et inscrit un certain nombre de mises à jour scénaristiques (le montant du vol, par exemple, qui passe de 40,000$ à 400,000$) et technologique (le début du film, que Hitchcock avait dû découper en plans fondus, a pu être réalisé en continu grâce aux nouvelles technologies). Bien que le film soit au présent, la mode vestimentaire s’apparente plutôt, par endroits, à celle des années 60, et le détective (Arbogast) est tout droit sorti d’un film noir des années 50. Le film est donc, sur bien des plans, temporellement indécidable, oscillant, à l’image de notre propre oscillation mentale, entre l’ancien et le nouveau.
Gus Van Sant a également tourné des scènes qui étaient dans le scénario original (Sam et Bates se battent à la fin du film), et qui avait été coupées, revenant ainsi au « plan » original. L’exposé du psychiatre – souvent reproché au film de Hitchcock pour sa longueur – a été sensiblement raccourci. À cela allait s’ajouter une série de micro ajouts, tant sur la bande son que le bande image, qui venait confirmer plutôt qu’infirmer l’exercice auquel le cinéaste s’est appliqué, mettant quelques grains de sable dans le rouage bien huilé de la mécanique hitchcockienne 3 . Plus près en cela d’une pratique d’artiste comme Pierre Huyghe (on pense à son film Remake, reprise plan par plan de Rear Window), Douglas Gordon (24 Hour Psycho) ou Mathias Müller et Christophe Girardet (Phoenix Tapes), que de la pratique conventionnelle et convenue du remake qui fait florès depuis les années 80 à Hollywood, le Psycho de Gus Van Sant s’offrait comme une expérience schizophrénique, dans lequel la « schize » du personnage principal rejoignait celle d’un film, constamment scindé entre soi-même et son double fantomatique qui l’habitait et le débordait de toutes parts. Ce sont bel et bien deux films que nous voyons en même temps, l’un réfléchissant constamment l’autre. Psycho de GVS « revoit » Psycho Hitchcock : et nous force à le revoir, sous lui, comme si les deux pellicules se trouvaient superposées dans notre mémoire, sautant constamment du film que nous voyons défiler au film mental que nous conservons en souvenir, donnant lieu à une expérience esthétique absolument saisissante.
Pourquoi, de tout le corpus hitchcockien, avoir choisi ce film-ci ? Il faut douter des intentions « pédagogiques » du cinéaste sur ce point : amener une nouvelle génération de spectateurs – rebutés par le noir et blanc – à découvrir un film important ; ou encore, dans un geste bizarrement sacrificiel, « j’ai fait ce remake pour que d’autres n’aient pas à le faire ». Un nombre incalculable d’autres films de Hitchcock, moins connus (de The Farmer’s Wife à Jamaica Inn) auraient pu donner lieu à une adaptation contemporaine plus « utile ». Mais ce serait rater l’essentiel de l’entreprise. C’est précisément parce que Psycho, film archi-culte, dont la trame et les scènes clés font désormais parti d’un vocabulaire immédiatement reconnaissable (il suffit de penser à toutes les reprises de la scène de la douche, que ce soit chez De Palma, Les Simpsons et dans Les invincibles), fait partie de notre mémoire collective, de notre « musée imaginaire 4 », que Gus Van Sant s’y est intéressé : il reparcourt un lieu de mémoire.
Peu de critiques qui se sont penchés sur ce bien étrange remake ont souligné le fait que les deux « surprises » sur lesquelles une bonne part de l’efficacité dramatique de ce film se fondait, sont pour la majorité des spectateurs d’ores et déjà connues d’avance : la protagoniste principale sera tuée à la fin de la deuxième bobine ; Norman et sa mère sont une seule et même personne. À quelle nécessité dramatique, dès lors, répond ce film ?
On ne se surprendra pas que le film, malgré une campagne promotionnelle bien huilée, ait aussi mal marché. Les cinéphiles-puristes l’ont, il fallait s’y attendre, rejeté du revers de la main ; le public moyen le trouva trop lent par rapport au rythme standard contemporain : le pari était raté, et plusieurs y ont vu un suicide « autorial ». Pourquoi pas. Car la force du film est peut-être là. Elle concerne au plus près le statut de l’auteur hollywoodien, dans la mesure où il s’agit, tout en s’effaçant, d’affirmer un geste d’auteur.
Gus Van Sant transforme et transpose le suspense du film (« que va-t-il se passer ? ») vers un « suspense » stylistique, vers un suspense du détail, qui s’adresse à notre mémoire : « comment va-t-il tourner telle ou telle scène ? » « Tel plan se trouvait-il dans le premier ? » ou encore : « pourquoi ce tableau ? Était-il dans le film de Hitchcock ? » La marque de Gus Van Sant est non seulement dans sa réappropriation « totale » d’un original, elle est inscrite dans la présence de « corps étrangers » qui s’immiscent dans l’organisme du film et qui s’attaquent – pour rester dans la métaphore médicale – à ses organes vitaux.
Ceci est particulièrement vrai des deux scènes d’anthologie que sont la scène de la douche et le meurtre d’Arbogast, dans lesquelles Gus Van Sant est venu inscrire, entre deux coupes, dans la chair des plans, des plans de coupes rapides qui « tranchent » avec la scène (comme le couteau dans la chair). Ils sont d’autant plus « tranchants » et étranges qu’ils évoquent irrésistiblement l’univers filmique de Van Sant lui-même. Plans de ciel vus en accélérés (comme ceux que l’on retrouve dans son premier film, Mala Noche, dans My Own Private Idaho et que l’on retrouvera dans Elephant), visions fantasmatiques qui s’apparentent aux « flashs » de Drugstore cowboys et deMy Own Private Idaho, etc. Cette « violence » faite au film fait corps, littéralement, avec la violence des meurtres : en transgressant l’obéissance que le film s’était fixée, ces plans brefs génèrent une vive surprise, un sursaut, là où on ne s’y attendait pas, c’est-à-dire au lieu précis où elle se donnait dans le film original. Gus Van Sant imprime ainsi son nom là où Hitchcock avait signé le sien 5
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Mais toute répétition, fut-elle à l’identique, on le sait, génère un écart et produit de la différence. Ce qui est vrai du Quichotte de Pierre Ménard dans la nouvelle de Borges, l’est encore plus au cinéma, où l’indicialité de l’enregistrement empêche toute re-prise à l’identique. Rien ne peut y faire, et c’est une banalité de le dire, mais Anne Heche n’est pas Janet Leigh ; Vince Vaughn n’est pas Anthony Perkins. La reprise identique n’existe pas. Un film tourné en 1998 ne peut être la « reproduction à l’identique » d’un film de 1960, pour la même raison que deux prises du même plan ne pourront jamais être tout à fait identiques. Psycho 98 est, en quelque sorte, un faux-semblant, un spectre en couleurs (celles criardes de Chris Doyle, opérateur génial de Wong Kar Wai).
À cela s’ajoute le fait tout bête que, l’horizon de réception ayant changé de 60 à 98, nous ne voyons plus les mêmes choses dans les mêmes scènes : certaines remarques de Marion Crane résonnent désormais avec une ironie délectable (toute la conversation avec Sam au début du film), le thème de la « femme pécheresse » et de la « condamnation morale » est balayé, etc. Cette re-vision s’offre également comme une seconde lecture, qui anticipe par clins d’œil le destin des personnages, des détails du récit, ou encore des éléments qui participent des obsessions hitchckockiennes, repérables dans les nombreux petits ajouts qui émaillent le film. C’est le cas par exemple de ce moineau qui vient se poser à la fenêtre de l’appartement de Marion pendant qu’elle fait ses valises, et des pépiements des oiseaux qui ont été rajoutés sur la bande-son, que nous lions au sous-texte « ornithologique » de Psycho (les oiseaux empaillés, les tableaux accrochés au mur, l’association de « Crane » à un petit oiseau) et du corpus hitchockien en général.
De la même manière le brusque insert, dans la première séquence, d’un plan de mouche posé sur le sandwich fait écho à la dernière phrase du film : « She wouldn’t hurt a fly ». Ces ajouts subtils sont autant de façon de souligner la « matrice interprétationnelle » qu’a été Psycho dans les études cinématographiques, où chaque détail a été scruté, analysé et interprété à la loupe. La re-vision s’offre donc comme une réinterprétation : une étude visuelle.
L’exemple le plus criant et le plus riche dans Psycho se situe dans la scène du parloir, juste avant le meurtre de Marion. Norman Bates épie la jeune femme prenant sa douche en déplaçant un tableau derrière lequel se trouve une œillère. Hitchcock avait placé devant l’œillère une des nombreuses versions de Suzanne et les vieillards, d’après une scène biblique abondamment reprise par les peintres dans l’art chrétien depuis le Moyen Âge, avec des variations importantes à partir du XVIe siècle.
Le récit biblique qui se déroule à Babylone, met en scène Suzanne, femme de Joakim, qui se fait accoster par deux vieillards qui l’épiaient pendant qu’elle prenait son bain. Les deux vieillards, qui sont juges, menacent de l’accuser d’adultère si elle refuse de céder à leurs avances. Tenant à sa vertu, Suzanne se refuse aux hommes, qui la condamnent devant les tribunaux pour avoir folâtré avec un berger. C’est alors que Daniel, doutant du témoignage des juges, décide d’interroger chacun des vieillards séparément et, relevant des contradictions dans les versions des événements, acquitte la jeune femme et condamne les deux juges à la peine de mort.
Ce récit, censé illustrer le triomphe de la vertu, devient à partir du XVIe siècle un « prétexte pour montrer une jeune fille au bain 6 », souvent associée au voyeurisme et à la scopophilie de la peinture en général. Aussi, à mesure que le thème « s’autonomise » et se détache de son contexte biblique, la scène se transforme en une scène grivoise, s’apparentant à une scène de viol.
Dans un petit film promotionnel réalisé par Hitchcock pour Psycho, ce dernier se promenait dans le parloir de Bates et, s’arrêtant devant ce tableau, commençait à expliquer : « This picture, has great significance, because… », avant de s’interrompre et de continuer la visite. Et on ne peut que convenir avec Hitchcock (et Martin Lefebvre) sur l’importance de ce tableau, qui fait intervenir bon nombre des éléments qui nous permettent de lire « figuralement » la scène de la douche : le bain, le voyeurisme, l’adultère, la mise à mort, le viol, etc. 7 Suzanne et les vieillards non seulement met en abyme la scène de Psycho, elle annonce ce qui viendra : la scène de la douche étant lue bien souvent comme une scène où viol et meurtre sont confondus.
Que trouve-t-on dans le Psycho nouveau ? Gus Van Sant a remplacé Suzanne et les vieillards par un tableau de Fragonard, Le verrou, peint entre en 1776 et 1780. 8 .
Que nous raconte ce tableau : « un intérieur d’appartement dans lequel sont un jeune homme et une jeune fille : celui-ci fermant le verrou de la porte, l’autre s’efforçant de l’empêcher. La scène se passe auprès d’un lit, dont le désordre indique le reste du sujet[Description de 1785, citée dans P. Rosenberg, Fragonard, p. 481 et repris dans Daniel Arasse, Le détail, Paris, Champs/Flammarion, 1996 [1992], p. 374 ]] ». Ce « reste du sujet » – les ébats peu consentants de l’homme et de la jeune fille – on peut se demander, en regardant le tableau, s’il a déjà eu lieu, s’il est à venir, ou s’il est, comme le suggère la brillante lecture d’Arasse, « figuré », virtuellement, « dans le corps même de la peinture, qui a charge de lui donner figure ». En effet, Arasse lit dans l’entremêlement des draperies, des draps et des oreillers, une configuration de ce qui ne pouvait être représenté « décemment » : aussi, « les oreillers se dessinent peu à peu pour faire surgir le profil d’une poitrine féminine qui s’enfoncerait dans l’ouverture rougeoyante de la draperie du fond et, en s’entrouvrant, les plis de cette dernière font deviner une secrète intimité, augurer la figure du sexe féminin 9 » ; ailleurs, il écrit que « le grand morceau de velours rouge qui pend sur la gauche de façon tout à fait surréaliste sur une double boule très légère avec une grande tige de velours rouge qui monte [est] une métaphore du sexe masculin, cela ne fait aucun doute 10 ».
Pourquoi être passé de Suzanne au Verrou 11 ? Dans Psycho, la relation adultère entre Sam et Marion se présentait comme la motivation du vol (avec l’argent, il leur devenait possible de se marier) ; ce thème, évidemment, disparaît presque totalement de la version de 1998, dans laquelle le vol apparaît comme la conséquence d’un coup de tête impulsif. Le sous-texte « moral » encore présent dans le thème de Suzanne, et le film de Hitchcock, est absent dans Le verrou et dans le film de Gus Van Sant. Mais il y a plus. Le verrou ne rend-il pas explicite ce qui était encore implicite dans Suzanne et les vieillards (le viol de la jeune fille), de la même manière que les bruits de la masturbation de Bates rendent explicites ce qui n’était qu’implicite dans la première version. On peut dire que Le verrou interprète déjà Suzanne et les vieillards, et, partant, la scène de la douche elle-même, comme une métaphore déplacée du « viol ». Si le Verrou de Fragonard n’évoque pas directement le bain comme le faisait Suzanne, en revanche il substitue aux vieillards-voyeurs le spectateur-voyeur : ne sommes-nous pas, en quelque sorte, en train de regarder cette scène intime par le verrou 12 ?
Si, dans le premier Psycho, Suzanne mettait en abyme le voyeurisme de Bates tout en anticipant sur le viol/meurtre à venir, il est possible de dire que Le verrou met en abyme le voyeurisme du spectateur tout en anticipant, dans le tableau lui-même, ce qui adviendra dans le film (si nous adoptons l’hypothèse que le meurtre est aussi une scène de viol) : en effet, si l’on suit Arasse, la moitié gauche du tableau nous donne à voir, sans le nommer, ce qu’on ne peut montrer, mais aussi ce qui n’a pas encore eu lieu. Or, dans Psycho, cette moitié du tableau a été enlevée. Rien de bien anormal : cette moitié floue a été coupée dans bon nombre de reproductions, considérée comme un détail négligeable dans l’économie générale de la scène (et elle n’aurait pas « cadré » dans le plan du film, ou se serait perdue dans l’ombre… comme le baldaquin du tableau). Je risque alors une question et une hypothèse : où se trouve l’autre moitié du tableau ? Précisément dans l’autre moitié de la scène que nous nous apprêtons à voir, à peine une minute plus loin dans le film 13
Et si Le verrou, était, encore plus banalement, pour finir, un petit clin d’œil au verrou de la salle de bain de Marion ? L’aurait-elle mis que…
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On pourrait dire, pour conclure, que Psycho prolonge Psycho. Non qu’il lui donne une « seconde vie », mais qu’il dévoile, confirme et prolonge la multiplicité de vie dont le film procède, bien au-delà de lui-même : cette multiplicité, c’est en réalité l’horizon de réception du film de Hitchcock aujourd’hui, auquel le film de GVS est venu ajouter sa propre couche de sédiments… son paysage.Le dernier plan du film de Gus Van Sant prolongerait doublement l’expérience de Psycho, qui se terminait sur le remorquage de la voiture. La version de GVS étire cette scène pendant plus de 4 minutes, durant lesquelles on entend la guitare de Bill Frisell jouant une variation mélancolique du thème de Bernard Hermann. Un mouvement de grue arrière (qui inverse la mouvement de caméra initial du film) révèle l’équipe de policiers et de journalistes affairée autour de la lagune et continuera son mouvement vers le haut jusqu’à ce qu’il ne reste que le paysage. Le plan surprend (comme dans la scène de la douche, ou le meurtre d’Arbogast) car il bouscule l’image mentale du dernier plan du film : l’image du pare-choc boueux de la voiture. En se prolongeant ainsi, en élargissant le cadre, ne pourrait-on pas dire que l’attroupement ressemble à une équipe de tournage sur un plateau, comme si l’on débordait dans le hors-cadre du film ?
Le plan de GVS, conjugue l’anecdote individuelle avec un décor anonyme, ce qui, comme le note Donato Totaro, rappelle un thème important chez Hitchcock : la présence de l’horreur dans le décor le plus quotidien. On ne peut s’empêcher par ailleurs de voir dans ce désert qui s’étire à l’horizon, un paysage de prédilection de Gus Van Sant (Mala Noche, My Own Private Idaho) …
ni dans les voitures qui filent sur l’autoroute une préfiguration du tout premier plan de Gerry…
Psycho ne saurait, pour toutes ces raisons, être négligé dans la « déviation » de GVS, celle qui s’amorcera avec Gerry et se prolongera avec Elephant. Elle est déjà préfigurée dans le geste inédit, radical et souverainement casse-gueule de Psycho.
Notes
- Nicole Brenez, De la figure en général et du corps en particulier, Paris, De Boeck, 1998, p. 313 ↩
- La lecture que nous proposerons ici n’est certes pas des plus originales. Elle est en grande partie inspirée des nombreux travaux qui ont été réalisés sur le film. Pour une lecture plus élaborée, on lira Marie-France Chambat-Houillon, « Entre le même et l’autre : la place de l’auteur », Cinéma et Cie., no. 6, printemps 2005, p. 17-32 ; Jean-Marc Lalanne, « Psycho 98 », Cahiers du cinéma, no. 532, février 1999, p. 45-46 ; Marc-André Noël, De Psycho 1960 à Psycho 1998 : de l’écriture à la critique écriture, Mémoire de maîtrise (Montréal, Université de Montréal, 2004), ainsi que Donato Totaro, « Psycho Redux », Offscreen, January 31 2004, [url=http://www.horschamp.qc.ca/new_offscreen/psycho_van.html] ↩
- Certains auteurs, dont Donato Totaro, ont noté le fait que le plan en plongée sur le corps de Marion Crane vers la fin de la scène de la douche, durait à peine une seconde dans le film original, et dure 4 secondes dans la nouvelle version, insistant sur le corps prostré, sur lequel – autre ajout – Van Sant est venu ajouté quelques plaies sanguinolentes. ↩
- Martin Lefebvre emprunte cette expression à André Malraux dans son étude majeure de Psycho et, en particulier, de la scène de la douche. Voir Martin lefebvre, Psycho : de la figure au musée imaginaire, Paris, L’Harmattan, 1997. ↩
- Jean-Marc Lalanne arrive à la même conclusion, mais négative, quand il écrit : « Tout à coup, dépassé par la démence de son projet, Gus Van Sant assène des coups de couteau dans le corps trop séduisant du film d’Hitchcock en même temps qu’il met en cause tout l’équilibre précaire de sa construction en brisant le principe de reconnaissance qui le fonde. » (Op. Cit., p. 46) ↩
- Louis Réau, L’iconographie de l’art chrétien, tome II, Paris, PUF, 1957, p. 396, cité dans Martin Lefebvre, Psycho, p. 133 ↩
- Pour une analyse détaillée de la question, voir Martin Lefebvre, Psycho, p. 130-136. ↩
- Il est dommage que l’analyse, pourtant riche et détaillée de cette scène du film, de Donato Totaro se soit butée sur l’identification du tableau, qu’il croit à tort être une Vénus au miroir de Titien, ce qui lui empêche de donner à cette substitution toute sa signification et son ampleur. ↩
- Ibid., p. 376. ↩
- Daniel Arasse, Histoire de peintures, Paris, Gallimard, « Folio/Essais », p. 318 ↩
- Il est à noter que ce qui semble une représentation de Suzanne et les vieillards se retrouve dans la version de Gus Van Sant. Elle est placée précisément à côté du tableau de Fragonard, soulignant encore plus le “déplacement” qu’opère Van Sant. ↩
- Le « peephole » est un des leitmotiv majeur du cinéma des premiers temps ; nombre d’études féministes ont tenté d’associer cette pratique « scopophilique » au cinéma en général. Peeping Tom de Michael Powell est souvent cité comme la parfaite convergence du cinéma, du voyeurisme et de l’objectification fatale du sujet féminin. ↩
- Il m’importe assez peu, pour tout dire, que cette lecture paraisse forcée. L’idée n’est évidemment pas faire de Gus Van Sant un lecteur de Daniel Arasse ni un iconologue chevronné ; il s’agit plutôt de faire travailler le film à partir de ce qu’il nous présente et que nous pouvons élargir par la suite. ↩