Rétrospective Kamal Aljafari

Lettre pour une entrevue avortée

Cher Kamal,

Novembre déjà. Ta rétrospective à la cinémathèque québécoise s’en vient. Cet été, en Juillet, dans un café à Beyrouth, tu me disais que tu ne voulais plus parler de tes films. Voulais plus ou pouvais plus ? Je ne sais plus. C’était cet été, en juillet, sur la plage à Sour. Tu me disais que tu n’avais plus rien d’intéressant à en dire. Tu notais aussi qu’on était à deux heures en voiture de Akka, qu’il suffisait juste de continuer tout droit, passé l’autoroute barrée. Et pendant un bref moment ça me semblait si facile.

J’aurais pu te faire répéter ce que tu dis déjà depuis plusieurs années, mais il y en a d’autres qui l’ont fait et peut-être mieux que moi. J’aurais pu te faire répéter ce que j’ai moi-même écrit et que je publie dans ce même dossier. Je crois qu’il est important à la lumière de cette rétrospective d’adresser la difficulté de la parole au lieu de la forcer. Est-ce une impossibilité ou une saturation ? Plutôt une impossibilité qui serait le résultat d’une saturation.

Tu me dis aussi que tu ne veux plus parler du passé. Mon projet d’entrevue tombe à l’eau et je pense à cette charnière où le geste de se retourner vers l’arrière commence à sembler malhonnête alors que celui d’aller vers l’avant est encore flou. Formules toutes faites. Cinéma du lieu sur le lieu. Cinéma du passé pour le futur. Identité et déplacement. Comment rester honnête dans tout cela ? Toi dont l’acte filmique est justement celui de regarder, de fixer le passé ?

Tu as filmé Jaffa tout en habitant à Berlin. Tu as parlé de Ramlet depuis Locarno, New York, Rio, Venise et Los Angeles. Et là on te propose d’en parler depuis Montréal. Voilà le cinéaste palestinien, qui est à la fois israélien, allemand, international (comme le dirait Limbrick) ; toujours déjà exilé.

À la fin de ce mois, à Montréal, tu vas nous amener vers Jaffa, Ramlet et Jérusalem alors que toi, tu es déjà ailleurs. Cet été tu étais à Beyrouth, cette ville dans laquelle habite ton ami dans The Roof, celui à qui tu téléphones, celui qui te laisse écouter le son des vagues déformé par la bande passante d’un téléphone portable du début des années 2000. D’ailleurs je ne t’ai pas demandé, l’as-tu revu au Liban ? Et la mer l’as-tu reconnue ?

2003. 2006. 2007. 2009. 2015. Peut-être faut-il que tu parles de tes films en assumant la distance temporelle qui te séparent d’eux aujourd’hui ? Diluant, adaptant, stratifiant le discours selon le décalage ? Parce qu’en fin de compte chaque film est le résultat de l’accumulation des films qui le précèdent. The Roof filme la famille pour permettre à Port of Memory de s’attarder sur le lieu, ce qui ouvre la porte à Recollection et à son entreprise de reconstruction d’une ville déjà disparue. Avec ce dernier film, c’est à partir du cinéma même que tu nous parles, ce paysage où passé, présent et futur se superposent et se confondent et où ce qui se reconstruit est aussi instantanément ruine. Et dans l’après de ces films, là où commencent ceux à venir, tu affirmes ton désir de continuer à construire des villes. Je te demande alors ce qui va suivre. Et à cette question tu réponds : « Une histoire d’amour en science fiction. Peut-être celle de mes grands-parents. »

à bientôt à Montréal donc,

Nour