Colin Low

DE FOGO ISLAND À FARMERSVILLE

Dans le cadre de l’hommage à Colin Low présenté par Hors Champ à la Cinémathèque québécoise du 12 au 14 avril (voir la programmation), l’un des films projetés est issu d’un chapitre peu connu de la carrière du cinéaste : l’expérience américaine à la fin des années 1960. Il réalisa alors les 36 courts films de la série Farmersville en Californie, un projet de cinéma documentaire à vocation sociale et participative. Ces films n’ont jamais été montrés au Canada. Parmi les quelques titres pouvant être retracés afin d’en inclure un dans cette programmation spéciale, Colin Low porta son choix sans hésiter sur Hector and Reuben pour offrir un aperçu représentatif de la série. Le film est présenté à la séance du 13 avril, avec The Children of Fogo Island et The Hutterites.

Farmersville, une initiative du Gouvernement américain, s’inspirait directement du modèle de Challenge for Change, un programme de l’Office national du film du Canada lancé en 1967 et marqué à ses débuts par la contribution féconde de Colin Low, avec ses 27 films de la série Fogo Island en 1967-68. C’est alors qu’il fut invité à reproduire une expérience semblable dans une communauté du sud de la Californie, pour se pencher entre autres sur la réalité et les préoccupations de la jeunesse de l’époque et l’intégration des immigrants mexicains.

Quant à la série Fogo Island, le film sélectionné dans le programme n’est pas nécessairement le plus représentatif du travail du cinéaste pour Challenge for Change. Car The Children of Fogo Island est un prélude poétique à la série, une ode aux jeux d’enfance sur les côtes rocailleuses de Terre-Neuve, plutôt que le véhicule d’une prise de parole par les habitants de la région, tels que le seront les films subséquents. Ironiquement, Colin Low a déclaré que The Children of Fogo Island était peut-être en fait le film le plus « utile » de la série, que ce tableau mélancolique de l’enfance dans ces villages de pêcheurs du Golfe de l’Atlantique trouvait une forte résonance dans les communautés où les films de la série étaient projetés. En revanche, Hector and Reuben reflète directement le mode participatif et l’objectif de changement social de la série Farmersville. Ce film de 17 minutes est constitué d’une simple entrevue avec deux jeunes immigrants mexicains dans la vingtaine, à leur retour d’un service dans l’armée des États-Unis, l’un d’eux ayant combattu au Vietnam. Il est question de racisme avant tout, de ses différentes formes entre la société américaine et l’armée, puis des perspectives d’emploi dans le retour à la vie civile. Les deux hommes sont éloquents – leurs idées, leurs expériences, leur total engagement dans l’exercice pour formuler la réponse juste à chacune des questions de Colin Low, donnent au document son air d’authenticité, de nécessité, et laissent entrevoir l’importance que ce projet documentaire revêt aux yeux des participants. Malgré le dépouillement du dispositif, il profite peut-être aussi du charme nostalgique de la texture du son dans ces tournages légers des années 1960, et du grain du 16mm noir et blanc sans cesse enfumé par trois cigarettes.

Les quelques propos qui suivent ont été recueillis le 5 avril 2012 à la Cinémathèque, alors que Colin Low revoyait un fragment de Farmersville pour la première fois en plus de quarante ans.

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Hors Champ : Au-delà de l’inspiration de Challenge for Change, pourquoi les responsables du projet aux Etats-Unis sont-ils venus littéralement chercher un cinéaste de l’ONF ? Comment vous êtes-vous retrouvé en Californie dès votre retour de Fogo?

Colin Low : Ils ont vu des films, puis deux représentants du gouvernement américain sont venus directement à Fogo Island pendant qu’on tournait. Ils voulaient voir de plus près la façon dont le projet se déroulait. Puis après les 27 films que j’ai faits pour la série Fogo Island, ils ont pensé que je pourrais contribuer à leur projet et je fus très intéressé par l’invitation.

HC : Quelle est votre première impression en revoyant aujourd’hui Hector and Reuben ?

CL : D’abord j’aime beaucoup ces deux jeunes hommes. Je crois qu’ils sont toujours vivants, et j’avais entendu dire que l’un deux s’est lancé dans le cinéma documentaire par la suite. Ce qui me vient surtout à l’esprit, c’est que le propos demeure toujours pertinent. Je crois que c’est encore un regard instructif sur les Etats-Unis, des témoignages d’expériences personnelles qui touchent aux enjeux du racisme, de l’immigration, de l’intégration.

HC : Vous avez tourné 36 films en moins de deux ans pour cette série, qu’en fut-il ensuite ? Le contrat était terminé ? Quelles étaient les conclusions ?

CL : C’était concluant pour tout le monde. Avec le principe du « playback », on invitait les participants et toute la communauté à voir les films et en débattre. Les gens venaient et il y avait d’excellentes discussions. Alors nous avons poursuivi en lançant deux autres programmes, cette fois dans des communautés noires, l’un à Hartford au Connecticut et l’autre en Géorgie. Il y eut des suites plus tard, mais quand j’y étais ça n’a pas marché tout de suite comme pour Farmersville, il y eut aussi un changement à la présidence et le contexte devenait moins favorable. Ces projets ont alors avorté.

HC : Hector et Reuben paraissent véritablement intéressés à se livrer à l’entrevue. Parlant des divisions idéologiques dans la société américaine – des problèmes de racisme mais aussi de l’attitude ambivalente des deux hommes face au mouvement anti-guerre et des droits civils – vous leur demandez ce qui peut être fait, ce qui peut permettre d’instituer un dialogue et de résorber les divisions. L’un d’eux répond : ce que vous faites avec ces films par exemple, c’est déjà un début. Donc ils sont entièrement au courant du projet et partie prenante. De quelle façon avez-vous fait connaître vos intentions ? Comment cette participation a-t-elle été obtenue ?

CL : Simplement en parlant aux gens, en faisant les premiers films, en invitant tout le monde aux projections, ça a vite grandi. Une chose que nous avons faite aussi fut d’installer la Moviola (table de montage) dans une vitrine sur la rue principale. Les passants pouvaient nous voir travailler, et s’ils montraient de l’intérêt, ils étaient invités à entrer pour regarder le matériel et en discuter.

Nous remercions Fabrice Montal, directeur de la programmation à la Cinémathèque, d’avoir rendu possible cette projection en compagnie de Colin Low. Nous remercions également le personnel de Bibliothèque et Archives du Canada pour leur collaboration, rendant disponible une copie du film que le cinéaste y avait déposé à son retour des Etats-Unis.

Image d’en-tête : The Children of Fogo Island (1967), © ONF.