Entretien avec Pedro Costa

“C’EST LÀ QU’ON VIT”

Cet entretien avec Pedro Costa réalisé dans le cadre de l’édition 2014 du Festival du nouveau cinéma fait également l’objet d’une émission Hors champ à écouter sur [GlobeSonore.org-> [url=http://GlobeSonore.org ]]http://GlobeSonore.org][/url].

Cavalo Dinheiro (2014)

Hors champ [HC] : D’abord, je tiens à mentionner que le visionnement de Cavalo Dinheiro a eu un effet choc pour moi et quelques-uns de mes collègues cinéastes. Et parce que nous croyons que le film a en lui-même le pouvoir de créer du possible et d’alimenter l’urgence d’agir, il a quelque peu rendu étrange ce désir de vous rencontrer… d’autant plus que nous venons d’apprendre que le temps de l’entretien sera limité à un maigre 15 minutes. M’étant donc un peu trop préparé pour cette rencontre, j’ai envie de tout laisser de côté et de simplement vous demander ce que vous pensez du fait de parler de vos films…

[Pedro Costa [PC] : Vous savez, je suis un peu comme vous, je ne sais pas trop quoi dire. J’ai dit des choses ici… n’importe quoi. C’est un peu une blague mais je sais répondre à Dinheiro, mais pas à Cavalo. C’est d’ailleurs ce que je réponds depuis des années… c’est-à-dire que je peux expliquer techniquement comment j’arrive ou non à faire certaines choses en fonction des moyens limités que j’ai. Mais pour ce film-là, je sais pas encore ce que c’est. Je peux dire des choses autour ou encore des choses très précises, mais c’est toujours au risque de tomber dans l’anecdotique… Autrement, je préfère dire que c’est un film qu’on a fait parce qu’on ne pouvait pas faire autre chose, vu le piètre état de santé des choses financières et mentales… ça ne nous laisse pas d’autres marches. Et aussi, c’est un projet que j’avais depuis longtemps, d’aller un peu plus loin avec Ventura, dans des endroits, des mémoires, des choses qu’il m’avait raconté, des pistes qu’il m’avait donné. Et comme on vit un moment de perplexité chez nous, une énorme crise, et que les gens sont un peu en attente de quelque chose, nous nous sommes dit que c’était peut-être le bon moment de faire ce film qui peut-être a un côté un peu suspendu ou hors du temps.

HC : On pourrait aussi dire : « hors des murs ». Parce qu’il me semble qu’avec Cavalo Dinheiro, c’est comme s’il n’y avait plus de murs à filmer. Après ceux des baraques rasées de Dans la chambre de Vanda, humides et tâchés, presque spectraux, il y a eu ceux des nouveaux bâtiments de Casal Boba dans En avant, jeunesse !, blancs et sans histoire, presque sans vie et que l’on découvre d’ailleurs à la toute fin du film, noirs et calcinés, comme si leur mystère s’était déjà épuisé. Et pour ce film, c’est comme si vous étiez reparti de là, de ce noir à partir duquel il faudrait reconstruire, et on ne parvient plus très bien à définir ce que sont ces murs, si ce sont des décors, s’ils sont réels ou fictifs…

PC : Comme je le dis souvent, on fait plus avec ce qu’on nous enlève qu’avec ce qu’on nous donne. On préfère enlever ou déplacer certaines choses et s’installer là où on est plutôt qu’aller voir ailleurs… C’est comme les chats : on trouve une place, on s’accommode et c’est là qu’on choisit de vivre… c’est les limites de notre monde, ou de notre langage, comme disait l’autre. Je ne peux chercher que là où je vis, et aller voir ailleurs me paraît un peu faux, me laisse sans appétit. Alors si on choisit d’abandonner ce côté un peu large et excessif du cinéma ou de l’art, si en même temps on ne veut pas faire dans le genre documentaire comme on le fait partout aujourd’hui — sorte de croisement entre documentaire et feuilleton réaliste — et bien je crois qu’on doit se limiter à ça, au risque d’être un peu plus abstrait ou mental. Et pour ce film-là plus que pour les autres, je crois que nous avons fait avec les restes de cinéma. Parce que c’est le mieux qu’on peut faire avec la dévastation qui crasse au milieu de l’activité et de la profession des images et des sons. Et je crois que les habitants du quartier, eux aussi, parallèlement, font avec les restes de beaucoup de choses. Je ne dirais pas que c’est faire la manche, mais presque… On avait presque rien et maintenant on doit faire avec ce qu’on nous enlève, encore. On n’a plus de murs, plus de maisons à nous, plus de costumes, plus de sol, de toit, de ciel… on en est presque réduit à faire avec des cartons et des pieds nus. C’est sans doute en partie ce qui explique qu’on s’approche vite de quelque chose qui ressemble à une forme de théâtre : un type qui ouvre sa bouche et qui parle d’une certaine chose, c’est-à-dire de son monde, et il le fait avec les habits du sommeil, de la maladie ou du rêve. Ou plutôt avec des restes de rêve, parce que même le rêve n’est plus entier, n’est plus ce qu’il était avant…

Cavalo Dinheiro (2014)

HC : Et pourtant, avec ce film plus que les autres peut-être, vous êtes parvenu à une puissance cinématographique qui à aucun moment apparaît entachée par la pauvreté des moyens. Et c’est peut-être là que réside la charge d’espoir du film : l’idée qu’un cinéma fort et fondé sur le travail, le temps et la solidarité plutôt que sur les systèmes hiérarchiques, la machinerie lourde et les rapports économiques est maintenant et plus que jamais possible. C’est un film qui pousse à envisager le cinéma autrement, à le prendre à contre-pied. Et à agir.

PC : Ça oui. Ça fait longtemps que je me retiens de le dire mais là, ça va, je peux le dire. Je crois que j’ai fait ce film aussi pour cette raison. C’est peut-être la seule vraie lumière du film de dire « voilà, c’est possible ». Et aussi : « ne faIîtes pas comme on le dit souvent dans les écoles de cinéma, c’est-à-dire avec 400 000 trucs, les projecteurs et toute la machinerie, parce que maintenant c’est possible en utilisant seulement deux ou trois sources de lumière, vraiment. Si vous savez regarder, si vous êtes patients, vous allez trouvez une source, une lumière plus un petit truc qui aide, très simple, et c’est suffisant. Non seulement c’est possible mais on doit le faire, on doit continuer. » Cette idée, je la gardais pour moi un peu plus confidentiellement avec les autres films… je me disais bien sûr qu’on n’a rien mais on va continuer, au début du cinéma c’était exactement comme ça, il faisait avec un pied et une caméra et c’est tout. Je le disais aussi aux habitants du quartier, à Vanda, et ils me disaient : « mais c’est pas du cinéma ça, c’est ridicule, c’est pathétique.. » et je leur répondais : « non-non, tu vas voir, c’est possible. Et même c’est tellement possible qu’on va être là-haut, avec les autres ». Et finalement ils ont vu que ça existait, qu’on était là avec les autres. Mais maintenant, je n’ai pas à les convaincre de cette deuxième mission. C’est pour ça que ce film, je crois qu’il dit surtout ça aux jeunes cinéastes qui veulent faire quelque chose ou qui ne trouvent pas comment faire parce que c’est une confusion… Il dit qu’on peut se disperser dans ce qu’on veut dire — pour ça il n’y a pas de danger —,mais qu’il faut se concentrer sur comment on y arrive, avec les machines, l’argent, tout ça. C’est par la concentration et la production, disons, qu’on va y arriver.

HC : Et dans votre cas, la concentration et la production sont corrélatifs à une suite de renoncements : l’argent, la pellicule, la machinerie lourde, les acteurs, les équipes de tournage, etc. Et d’un autre côté, vous investissez un élément qui de plus en plus semble échapper à l’industrie cinématographique : les tournages sur de longues durées. C’est peut-être un des grands défis à relever pour les cinéastes d’aujourd’hui ; trouver les moyens d’assurer pour eux-mêmes un temps considérable de travail en continu, mais aussi trouver des gens qui ont le courage et le temps d’approcher un peu leur propre secret.

PC : Dans mon cas, c’est d’abord lié aux gens avec qui je travaille, qui eux sont réellement handicapés par suite des nombreux accidents de travail, des maladies, des désespoirs et des pertes. Mais c’est également parce que le cinéma lui aussi est très handicapé, et à chaque jour un peu plus. Je pense entres autres à Rivette qui disait — je crois que c’est lui — qu’on a maintenant besoin de cinq mille fois plus de temps pour faire un film. Et il disait aussi, plus personnellement pour lui, que ce que John Ford, Howard Hawks ou Chaplin pouvaient réussir en 2 minutes 10 ou en 40 secondes, lui, il lui faut maintenant 40 minutes pour exprimer exactement la même chose. C’est dire à quel point le cinéma a été mutilé. Ou encore, d’une autre façon, les gens qui sont dans les salles sont complètement anéantis, ils n’ont plus cette vitesse, ce cœur, cette tête, cet agencement qui faisait qu’on arrivait à voir les films comme un ensemble. Non seulement les scènes étaient complexes sentimentalement, mais à tous les niveaux : elles étaient riches en images, en sons, en sentiments, en couleurs, etc. Aujourd’hui, il nous faut beaucoup plus de temps pour les imaginer, pour les penser, pour les chercher et pour les filmer, et ça explique peut-être pourquoi on se retrouve souvent avec des films trop longs, trop bizarres ou radicaux. On ne trouve plus ce centre, cette simplicité. L’effort à faire en est un non seulement de concentration, mais aussi de réduction. Si on ne fait pas cet effort de réduire les choses, on risque de se perdre. Je sens cela pour plusieurs de mes collègues qui se perdent en voulant faire un peu plus gros ou grand. Mais il y a des dangers aussi à faire dans le très peu et le très réduit — je peux me perdre aussi — et d’ailleurs peut-être que je suis en train de me mettre dans une prison vraiment sans issu… je ne sais pas, on verra.

Cavalo Dinheiro (2014)

HC : Il m’apparaît plutôt que votre œuvre, si on la considère à partir de Dans la chambre de Vanda, est portée par un souffle et une ampleur qui tend à s’élargir de film en film, et plus particulièrement avec celui-ci.

PC : Même si certaines personnes perçoivent le film comme ça ou s’il est réellement comme ça, j’ai la sensation que c’est tout de même très réduit…

HC : En ce qui concerne la réception de vos films, comment percevez-vous les différences entre d’un côté le monde festivalier, donc un public certainement plus cinéphile, et d’un autre les habitants de votre quartier, qui eux sont davantage familiers avec les personnages de vos films que par l’univers audio-visuel en général.

PC : En ce moment, le film n’est pas encore sorti chez moi. Ce qu’on va essayer de faire, et c’est ce qu’on fait toujours maintenant, c’est essayer d’avoir une petite salle, une petite place dans le multiplex. Il y a une quinzaine d’années, il y avait encore deux ou trois petits cinémas de quartier, et c’est là qu’on a montré Ossos et Dans la chambre de Vanda… Mais ces cinémas ont tous été démolis avec le quartier et maintenant, exactement à la même place, gît un énorme centre commercial avec un complexe muni d’une quinzaine de salles. Ils vont nous donner une ou deux séances par jour, et les gens pourront y aller à pied… alors pour ça, on a réussi et c’est pas mal. Sinon, les films qu’ont fait sont généralement vus en DVD, parce que les gens préfèrent regarder ça chez eux. Et une autre de nos tâches consiste à produire beaucoup de copies, et pour les jeunes c’est encore plus simple parce qu’ils utilisent les liens internet ou les fichiers. Le dernier film, il y a quand même quelques gens du quartier qui l’ont vu et je sens qu’ils sont impressionnés par le côté peut-être plus fictionnel. C’est un film avec un ton d’aventure, même si c’est une très petite aventure, alors que les autres étaient un peu plus terre à terre. D’autre part, c’est un film très concentré sur Ventura et un certain âge, donc les hommes et les femmes de cet âge-là seront sans doute plus réceptifs. Ce qui est marrant c’est que certains des jeunes que je connais ont une espèce de fierté de voir les pères et les mères incarnés de cette façon, comme des acteurs, comme du cinéma. Parce que le film a un côté cinéma que les autres n’avaient peut-être pas… il y a un peu plus de musique, de décors étranges et de nulle part… on sort du social. J’avais toujours dit aux jeunes : « non-non, il n’y aura jamais de pistolets, de poursuites, etc. », et pour ce film, c’est pas exactement ça, mais y’a un truc de ce genre là… y’a les couteaux !

HC : Êtes-vous aussi attentif à la réception qu’ont vos films dans les festivals, où là on a peut-être plutôt tendance à réfléchir les films par références et par concepts, parfois au détriment d’une certaine expérience sensible…

PC : Je ne voudrais pas paraître trop ingrat ou méchant, mais j’ai l’impression que c’est une soupe, et que la soupe est sur le point de devenir… hyper-soupe ! Il n’y a plus vraiment de différence entre moi, Béla Tarr, Hou-Siao-Hsien, Apichatpong, Denis Côté, ou n’importe quel autre… Bon, c’est ce que je sens pour l’instant et je ne veux pas être trop cynique. Certains films marchent mieux que d’autres mais au fond, je ne sais pas s’ils seront vraiment vus. Je parle pour moi, et sans vanité, mais je crois qu’il y a quelque chose dans le film qui nous appartient à tous, pas seulement à moi, à Ventura et à Vitalina… il y a certaines choses dont on parle dans le film qui sont peut-être irréductibles, qui ne peuvent pas passer du côté de l’art ou des choses vagues. Contrairement à d’autres films que je critique beaucoup – je ne vais pas les nommer – qui sont vagues dans les propos, dans les images, et parfois même très paresseux. Là, je crois que le film a malgré tout quelque chose — je dirais pas comme Straub « qui résiste » — mais quelque chose d’incorruptible. Malgré son côté « rêve et cinéma », il y a une réalité dans le film qui je crois est celle de tout le monde, qui a rapport avec la mort, avec la corruption des corps, avec l’argent, avec une société absolument horripilante, etc. Si certains ne veulent pas voir cette réalité et préfèrent faire des analogies avec les films d’horreur ou les films de Jacques Tourneur, c’est peut-être très bien mais moi, j’en ai marre, vraiment. C’est peut-être pour ça que j’essaie de faire un peu moins exotique ou pittoresque que certains de mes collègues. C’est peut-être un peu plus chiant, et d’ailleurs on me le dit : « c’est dommage, ça pourrait être très bien, mais c’est chiant ! ». Ça doit être un côté irrécupérable qu’on a, moi, Ventura, Vitalina et les quelques autres…

Cavalo Dinheiro (2014)

HC : Vous mentionniez durant votre classe de maître, lorsqu’on vous questionnait sur l’aspect hypothétiquement thérapeutique de vos films, que vous préféreriez faire un cinéma qui blesse. Selon vous, le cinéma a-t-il vraiment ce pouvoir ? Y a-t-il aujourd’hui des films qui vous blessent ?

PC : Pas assez. Il faut aussi dire aussi que je vais très peu au cinéma. Straub me dit tout le temps que c’est horrible de dire ça, mais lui aussi y va de moins en moins. Pourquoi ? Par paresse, parce que je n’ai plus beaucoup d’espoir, parce que j’ai vu tellement de choses qui ne me plaisent pas –je parle d’aujourd’hui. En fait, je regarde surtout des DVD, chez moi, et la plupart du temps des choses vieilles ou très vieilles. En salle, j’ai vu le dernier film de Philippe Garrel (La jalousie), parce que je crois qu’il mérite que je me déplace. Dans les festivals, je vois des choses aussi, mais très peu… Je pourrais dire que cette année est celle d’un film de Jean-Luc Godard… Et quand même, à propos d’Adieu au langage, je dois dire qu’il m’a laissé un peu froid. Je trouve que le 3D coupe un peu le reste de l’émotion, qu’il me disperse un peu trop dans un sens que je ne voulais pas. Je ne dis pas que ce n’est pas incroyable et marrant, parfois même très beau, mais au fond tous les films de Godard étaient déjà en 3D, comme le sont par exemple déjà ceux de Straub et de John Ford. À part ça, j’ai vu il y a deux ans un film de Wang Bing, qui s’appelle Till Madness do us Part, sur un asile de fous en Chine et qui est très fort, comme d’habitude. C’est un type très courageux. Mais cette réduction, c’est peut-être aussi parce que les choses qu’on a à voir aujourd’hui sont — et j’ai un peu peur de le dire — toujours un peu les mêmes… pour moi à tout le moins. Même si tu as le courage de filmer les montagnes, la mer, l’amour, les riches et les voitures et les voyages interplanétaires, ce sera toujours la même chose si tu es vraiment sérieux. Même les histoires d’amour seront très pénibles, ce qui n’était peut-être pas le cas avant… c’est dommage. C’est une très petite marche. C’est pour ça que je dis qu’il faut se concentrer sur les trucs d’argent, d’équipe, de matériel, et le reste suivra, je crois.

Adieu au langage (Jean-Luc Godard, 2014)

Til Madness do us Part (Wang Bing, 2014)

HC : Il faut donc prendre son temps, être attentif à ce qui se passe tout près de soi, ne pas se disperser dans le lointain, les trop grosses productions, etc. Mais aussi savoir se garder à une certaine distance de son petit nombril.

PC : Je crois que ce qu’il ne faut surtout pas abandonner, c’est la solitude. Il faut être vraiment seul et rester soi-même, complètement. C’est peut-être chiant à dire mais je crois que c’est de là que viendra quelque chose, que c’est peut-être la seule façon de dépasser tout ce côté merdeux qui règne dans le cinéma. Par exemple là, récemment, j’étais dans un festival à New York et je regardais un type –je ne pourrais pas te dire son nom – le mexicain du moment qui faisait la clôture et qui répondait aux questions en superstar absolue, avec ses acteurs et son équipe qui lui lançaient des fleurs à tour de rôle. On leur demandait d’où venaient les personnages, le scénario et le film, et tous ont répondu que ça venait du réalisateur, et même lui disait que c’était lui. Ensuite, il s’est mis à expliquer qu’au fond faire un film, c’est aussi un peu se débarrasser de son égo, voir comment on peut composer une histoire sans trop parler de soi, etc. Pathétique ! Ils n’ont aucune dignité, c’est fini tout ça ! Je me disais que James Stewart, c’est fini, mort et enterré ! Cette idée de ne pas en faire trop, de simplement faire son travail est complètement disparue du cinéma… et de tout d’ailleurs. Et je pensais à cette anecdote rapportée par Straub, où Nicholas Ray raconte à Buñuel que, à Hollywood, il est impensable de faire un nouveau film qui soit moins cher que le précédent. Et Buñuel qui écoute ça en pleurant parce que pour lui, c’est vraiment ça, la fin du monde. Et là je me dis que Buñuel est peut-être le meilleur, le plus grand. Parce qu’à chaque seconde qui passe on est plus dans un film de Buñuel que jamais. J’ai l’impression de ne vivre que des scènes de Buñuel, tout le temps, mais vraiment tout le temps ! Sauf ici peut-être, mais encore, dès que j’ouvre la porte ça va être quelque chose du genre. Tout est vérifié… c’est incroyable. On vit dans L’Ange exterminateur, dans Le Charme discret de la bourgeoisie, dans Le Grand Casino, dans La Calavera ou dans Nazarin, et c’est de pire en pire. Donc je me dis qu’on mérite certaines choses qui se passent, qu’il y a là une violence assez terrifiante et qu’il faudra que ça cesse, le plus vite possible.

Le charme discret de la bourgeoisie (Luis Bunuel, 1972)

Conférence de presse de Birdman

HC : Et en attendant, poursuivre la marche…

PC : Oui. Et l’espoir que j’ai c’est qu’on pourra faire des films de plus en plus facilement. Et même si on les rate ou on fait des merdes, on pourra quand même les faire à deux ou à trois, et ça je trouve que c’est merveilleux. Faire un film en couple, par exemple, c’était le rêve de tout le monde et maintenant, on peut le faire. On peut faire privé, ou semi-privé. Par exemple ce film, je peux te le dire exactement, n’a pas coûté 80 000 euros, avec copies DCP et un mixage studio ultra sophistiqué. Et dans trois ans, je suis absolument sûr qu’on fera la même chose pour 20 000. Et quand on arrivera à faire avec 5000, là, quelque chose pourra réellement se mettre en marche, j’espère. Il suffit de regarder Buñuel… un grand cinéaste et, en tant qu’artisan, un des meilleurs. Un type qui faisait des histoires comiques, plein d’humour, et avec tout ce qui a de fort en terme de critique. La concentration de vision et d’écoute est là. Le mal est là, le bien est là, ne vous trompez pas.

Propos recueillis le 14 octobre 2014. Entretien réalisé et retranscrit par Renaud Després-Larose. À l’enregistrement : Ana Tapia Rousiouk.