Une seule image

Dossier: Image(s) et parole(s)

Une image de Godard, cela n’existe pas. J’ai essayé de trouver une image, j’ai dû me résoudre à celle d’un texte puisque celles des personnes et des choses chez Godard n’étaient jamais une seule image.

Ce n’est pas évident partout : j’ai souvent admiré les œuvres de Tarkovski en jouant à les arrêter, m’extasiant de la beauté de chaque plan immobile comme de magnifiques peintures. Ce n’était pas une idée déplacée d’œuvrer ainsi, surtout pour rendre hommage à Roublev. Mais Godard ne fait pas ça. Les images fixées de Karina qu’on a vues partout depuis qu’elle est morte ne sont pas aussi vraies que celles des films.

Près de la dixième minute des Histoire(s) du cinéma, on trouve un exemple de ça. L’image est un texte affiché en grosses lettres : A GIRL AND A GUN. Des lettres noires encadrées de gras traits blancs.

Ce pourrait être une seule image, mais le « AND » entre GIRL et GUN cligne. Il apparait et disparait, forçant l’image à devenir plusieurs. On connait ce texte. Godard l’avait cité pour expliquer Bande à part, c’est le mot de Griffith : « All you need to make a movie is a girl and a gun.»

Pourquoi une fille ? Pourquoi un fusil ? Les réponses sont si évidentes et sordides qu’elles paralysent l’imagination. Mais l’absence répétée du « AND » qui clignote, elle, appelle un au-delà de l’image immobile, un lien instable, ce à quoi, évidemment, tout appel est condamné.

Avant cette image d’A GIRL AND A GUN, les Histoire(s) ont montré et parlé d’Irving Thalberg qui pensait 52 films par jour, de lui comme père fondateur et fils unique, puis on entend : « Et il fallut que cette histoire passe par là ». On comprend aisément les idées qui sont dites. Mais qu’en est-il du « AND » qui clignote. Le premier mot des Histoire(s) est « ne change rien, pour que tout soit différent ». Nous pourrions aussi demander ce que cela veut dire. Une image peut poser une question, mais une image qui disparait et qui réapparait la pose et y répond.

Qu’est-ce que la GIRL pour le cinéma ? Ce pourrait être la forme première de la séduction : l’appât. Qu’est-ce que le GUN ? La même chose. La mort séduit comme le sexe : les deux attirent et repoussent à leur manière (surtout si l’on tient compte des genres). Le fait est qu’ils déterminent. En cela ils forcent un comportement, ce qu’est la séduction, une prison qui s’appuie sur ce que veulent les personnes qu’on emprisonne et qu’on prend bien mieux lorsqu’elles y consentent. Mais peut-être que le AND qui clignote est vrai, peut-être qu’il est ce qui ne change rien pour que tout soit différent, parce qu’il signifie que ce sont les liens qui importent, pas le GIRL ou le GUN, et que ces liens ne se donnent que lorsqu’ils peuvent s’absenter.