Une chapelle blanche
Une chapelle blanche / scénario et réalisation: Simon Lavoie / Interprétation: Hélène Loiselle et Marc Paquet / 39min. 52s. / Québec, 2005 / production: Metafilms / distribution: Netima
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En trois ans, Simon Lavoie a réalisé trois films successivement mis en nomination pour le prix Jutra du meilleur court/moyen-métrage québécois, qu’il a remporté cette année avec le film Une chapelle blanche. Mais si un prix est certainement utile à un jeune cinéaste, on connaît bien toute la relativité de ces célébrations de l’industrie quant à la valeur réelle d’une œuvre. Et si la production et la diffusion des courts-métrages semblent en constante croissance, rarement s’attend-t-on à y faire une véritable découverte cinématographique. Sauf qu’ici, Une Chapelle blanche est une réelle surprise. La forme est certes séduisante, voire exaltante par moments, avec ces lents travellings exécutés au millimètre près, mais plus qu’une démonstration de savoir-faire, on y trouve une véritable démarche d’auteur dans la maturité des thèmes, une assurance scénaristique peu commune parmi la surenchère de style du « jeune » cinéma.
Le film s’ouvre à l’intérieur de la chapelle. Deux hommes s’affairent, avec un tournevis, à déloger la pierre de l’autel. Le lieu est donc désacralisé, ne conservant que l’apparence de son ancien caractère religieux avec son timide clocher, mais pour être voué à un autre usage. Cette très modeste chapelle blanche au toit rouge est située en campagne, sur un promontoire surplombant un large cours d’eau. Nous sommes quelque part au Québec, sans que ne soit nommé un lieu précis (le générique de fin nous indiquera que le film fut tourné dans la région du Saguenay, le cours d’eau serait donc l’imposante rivière Saguenay qui coule entre les montagnes jusqu’au St-Laurent). La petite bâtisse abandonnée est tout près de la maison d’une vieille dame pieuse, qui vit seule et voit chaque matin, de la fenêtre de sa chambre, la chapelle où la messe ne se dit plus depuis longtemps. Alors qu’elle travaille dans son jardin, une camionnette rouge vient se garer à côté de la chapelle. La femme y rencontre un jeune homme qui prépare ses outils. Il dit être engagé par la municipalité pour repeindre la bâtisse. « Je ne te connais pas », lui dit-elle, comme une remarque ou une question légitime dans un petit village. Mais elle apprend qui était son grand-père, un garçon qu’elle avait bien connu dans sa jeunesse, un nom qui semble l’atteindre à travers le brouillard du temps. Elle est d’abord bien contente qu’on rénove la chapelle qui en avait grand besoin, mais désenchante vite en apprenant qu’elle sera repeinte en bleu et convertie en boutique d’artisanat pour les touristes.
Ainsi tout est en place : une rencontre, l’ancien monde et le nouveau, deux personnages vaguement liés par un être disparu, le paysage, la lumière, l’eau et les couleurs. Tous ces éléments vont se nouer dans le cours du récit et unir chaque image à toutes les autres. Bien sûr, comparativement au court-métrage standard, et sans s’approcher non plus du long-métrage, cette durée un peu inhabituelle de 40 minutes donne au réalisateur le temps d’installer une situation, de développer des personnages et de laisser la caméra se poser sur les choses. Mais l’intérêt de la démarche est qu’elle ne semble justement pas répondre de quelconques contraintes et décisions préétablies, que ce soit sur la durée, la forme ou le rythme, que tout s’enchaîne plutôt à une nécessité interne du scénario. Aussi n’a-t-on pas l’impression d’assister à la vanité d’une typique « esthétique de la lenteur », mais que le rythme est bien celui que commandent l’histoire et les lieux.
Il y a un constant, silencieux mouvement des choses, des éléments naturels, du travail manuel de chacun des personnages, et du passé qui reflue dans le présent. Même lorsqu’on croirait qu’il ne se passe rien, qu’il n’y a qu’un lent déplacement de caméra vers le prochain point d’attention et que tout a été vu, on trouve soudain un signe, une question, une situation qui tourne au malaise… Une petite fille sur une photo accrochée au mur, le vent qui vire, le geste inattendu d’une main sur une nuque…
Le jeune homme est aussi l’âme de son grand-père qui revient visiter la femme solitaire. On devine en elle la nostalgie d’un amour de jeunesse. Le petit-fils ressemble à son grand-père, lui dit-on souvent. Il a toutefois peu connu cet homme, dont les histoires d’ancien marin ne l’intéressaient pas quand il était enfant. Il le cherche maintenant sur les vieilles photos, plus jeune, sans le reconnaître puisqu’il l’a « toujours connu vieux ». C’est comme si son esprit était revenu par les eaux de la rivière, qui scintille dans l’arrière-plan. Puis vient l’orage… Et le sommeil. Tout le film, d’ailleurs, dégage une certaine atmosphère onirique, collant à la réalité mais dans une proximité diffuse avec le rêve. La vieille dame s’étend sur son lit, ne finissant même pas d’égrainer son chapelet, le cœur serré par ses jours finissants dans un monde qu’elle ne comprend plus et par les images lointaines d’un amour perdu. Le jeune homme se réfugie dans la chapelle et s’assoupit sur le plancher, bonheur simple de la solitude et d’une journée de travail interrompue. Mais peut-être est-il aussi, momentanément, effleuré par le sentiment « d’autre chose »… Ce sommeil, cette brève absence de la conscience des deux personnages, est le temps qu’il faut pour que les forces de la nature, ou sinon la main de Dieu, viennent replacer les choses telles qu’elles devraient être. Les dialogues, tout en appuyant une sobriété exemplaire, sont peut-être un peu convenus, moins riches et denses que d’autres aspects du film. Mais toute la séquence finale sous la pluie, sans dialogue, nous saisit d’un pur envoûtement cinématographique.
Devant ce film étonnant, on aurait des réserves pour quelques détails seulement, en particulier le plan final et la qualité de l’image. Par une entorse au réalisme qui laisse un peu perplexe, à la toute fin, le plan semble rompre l’équilibre et l’incertitude qui existaient dans le reste du film entre le spirituel et le matériel, entre la réalité et le rêve. Ce dernier plan, d’ailleurs, qui reprend un travelling du début, n’était peut-être pas essentiel à l’unité du film. Quant à l’image, à un niveau purement technique, la copie finale numérique (du moins les copies DVD et Betacam que nous avons vues) du film tourné en 35 mm apparaît légèrement granuleuse et un peu terne par moments. Difficile de savoir s’il faut accuser la prise de vue ou des difficultés au transfert, mais on se dit que toute l’approche esthétique d’un tel film devrait pouvoir s’appuyer sur des couleurs plus saturées, un grain hyper fin, une image lumineuse et bien nette dans les moindres détails (peut-être la copie HD du master pour les salles est-elle de meilleure qualité).
Des critiques ont noté dans ce film la marque d’un certain héritage cinématographique, on a même évoqué Tarkovski. Mais peu importe, car Simon Lavoie a fait un film qui définit sa propre voix et ceci exige d’éviter tant les références trop explicites que les maladresses de l’originalité à tout prix, tout en étant conscient que toute forme accomplie du cinéma conserve des traces de sa propre histoire. Il a su aussi donner du relief et des racines à des thèmes universels (la mémoire, le changement, l’amour, la foi…), en les incarnant dans un contexte culturel et géographique qui lui est familier. Et surtout, on y trouve dans l’écriture, dans la construction des personnages, le germe d’une forme narrative éprouvée et difficile, qu’on retracerait dans de nombreuses œuvres littéraires et cinématographiques, c’est-à-dire le déroulement d’un événement intérieur auquel conspirent l’ordre et le hasard de l’univers.
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HORS CHAMP remercie le producteur Sylvain Corbeil (Metafilms) pour la copie de visionnement et Les Distributions Netima ltée pour les images.