Entretien avec Abdellatif Kechiche

UN CINÉMA SANS CERTITUDE

Cet entretien a été réalisé en octobre 2008 à l’occasion du passage à Montréal d’Abdellatif Kechiche dans le cadre d’une rétrospective/hommage qui lui été consacré au dernier Festival du nouveau cinéma (2008).

Il suffirait d’un rapide coup d’œil sur internet pour voir que Kechiche a déjà répondu à une centaine d’entrevues. Poussé par diverses circonstances, j’ai choisi d’y aller sans avoir préparé mes questions à l’avance. Pour changer…

L’homme est grand et chaleureux. D’emblée, il faut prendre quelques instants pour adopter le tempo serein de son inspiration. Il s’est prêté, presque solennellement, au jeu de l’entrevue où, durant 1h30, il a pesé et soupesé chacun des mots qui ont été prononcés afin d’exprimer le plus justement possible le flou naturel qu’il s’impose.

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Hors champ [HC] : Y a-t-il des festivals que vous préférez plutôt que d’autres ?

Abdellatif Kechiche [AK] : Oui, il y a des festivals auxquels je suis attaché, notamment celui-là [Festival du nouveau cinéma]. Dès la première vision de mon premier film, Claude Chamberlan a tout de suite manifesté son soutien. Il y a des festivals que j’aime beaucoup, j’aime beaucoup Venise par exemple, le festival de Berlin aussi…

HC : Est-ce que vous sentez que vous partagez une même ligne directrice ?

AK : Je ne connais pas toujours les sélections des films qui passent aux festivals. C’est surtout une affinité avec les programmateurs.

HC : D’après vous, quelle est l’importance aujourd’hui des festivals par rapport aux marchés de distribution des films ? Sont-ils nécessaires aux cinémas dits « d’auteur », qui ont du mal à trouver leur public ?

AK : Oui, il y a un public de passionnés de cinéma dans les festivals. Il y a des films qui ne font carrière que dans les festivals, parce qu’ils ne sont pas assez distribués.

HC : Sentez-vous que les festivals vous ont permis de faire d’autres films ?

AK : C’est un tout, ce n’est pas uniquement les festivals, ils font partit de ce tout, ils donnent souvent l’impulsion.

HC : J’ai lu hier quelques entrevues que vous avez données, et bon… on vous a déjà posé mille fois les mêmes questions, alors je ne veux pas vous poser les mêmes.

AK : Je n’ai pas toujours répondu de la même manière…

HC : Si, si.

AK : Ah ! Je pensais qu’il y avait des contradictions…

HC : Non au contraire, vous avez une certaine constance… Alors je ne vais pas vous reposer les mêmes questions, en particulier celles sur votre travail avec les acteurs et la mise en scène, etc. Alors les questions qui m’intéressent… Je vous parle à la fois comme critique et jeune cinéaste. Le premier thème qui m’intéresse est votre rapport à la production, j’aimerais savoir comment cela se passe.

AK : C’est une question un peu trop générale… C’est une question que je me pose aussi.

HC : Je précise ma question. Est-ce que votre travail est influencé par des questions de production ? Le rapport aux subventions et la nécessité de définir à l’avance disons, un public, etc.

AK : Je crois vraiment que je n’ai jamais visé — je ne dis pas penser — je n’ai jamais visé le chiffre. Je me suis toujours concentré sur le travail que j’avais à faire et trouver en moi le sentiment de créativité malgré toutes les contraintes que l’on peut avoir. De chercher le léger sentiment de satisfaction que l’on peut avoir à la suite de… que le travail est suffisant pour faire naître un sentiment chez les autres.

HC : C’est-à-dire ?

AK : C’est d’aller voir le film… et avoir le sentiment que le film existe autrement que par une sorte de fabrication.

HC : Sentez-vous que vous prenez position à l’encontre de quelque chose en faisant vos films ?

AK : Dans le sens politique vous voulez dire ? Quand j’ai fait mon premier film, et même avant lorsque j’essayais, je motivais mon désir de réalisation par un engagement auquel je croyais fermement.

La faute à Voltaire (2001)

HC : Un engagement vis-à-vis de quoi ?

AK : Parler des laissés-pour-compte, des émigrés clandestins, de la solitude. Et puis au fur et à mesure que j’ai avancé, et maintenant surtout, je ne sais pas si réellement je connais mes véritables motivations quand je fais un film et si j’ai autant d’engagement et de conviction que vous ne semblez le penser.

HC : Envisagez-vous plus votre pratique du cinéma comme un rôle social ou comme une pratique artistique ?

AK : Je ne sais pas si on m’attribue un rôle social…

HC : Mais vous, comment le sentez-vous ?

AK : J’ai senti en tout cas comme un devoir de parler, de raconter ce que j’avais envie de raconter, de montrer les personnages que j’avais envie de montrer, de les faire aimer comme moi je les aimais. Mais je ne sais pas si le devoir au fond n’était pas le devoir de faire des films, et peut-être plus qu’un devoir, une sorte d’aimantation, attiré par le cinéma. Donc je me poserais certainement la question encore, car je ne sais plus où était la sincérité de mes propos lorsque j’ai commencé à écrire des notes d’intentions. Mais je n’ai pas le temps peut-être de me poser la question.

HC : Je remarque en tout cas que vous en parlez d’un ton grave comme si vous sentiez à chaque moment l’importance de poser certaines images plutôt que d’autres…

AK : Je réfléchis de moins en moins à ces motivations justement, et à ce que je fais. C’est-à-dire j’avance de plus en plus sous le coup d’une impulsion et je cultive de plus en plus le doute.

HC : Tout à fait. J’ai noté qu’à plusieurs reprises vous prôniez une démarche qui met en avant le doute, la non-certitude ainsi que la notion de vide… Et je me questionnais à savoir comment on peut faire cohabiter ces valeurs avec les contraintes pragmatiques de la production ?

AK : Ça a été très difficile à mettre en place avant même mon premier film, parce que chaque fois que j’ai fait la démarche, dix ans avant de faire mon film, j’ai plus effrayé que rassuré les gens à qui j’avais à faire. Après le premier film, on m’a fait peut-être un peu plus confiance. J’ai rencontré un producteur, Jacques Ouaniche, qui avait un besoin de folie de cinéma, qui m’a fait confiance. Ça s’est passé à peu près de la même façon avec Claude Berri. Il faut faire des choix difficiles, avoir la possibilité de rencontrer des gens… Avoir vous-même ce sentiment de déséquilibre, de doute, de vertige presque.

La graine et le mulet (2007)

HC : Pensez-vous que la peur des producteurs vient de l’aspect financier ou d’autre chose ?

AK : De toute façon, je pense que faire des films n’a jamais rassuré personne, ni les cinéastes qui font les films, ni les producteurs. Il a fallu établir à un moment des règles où de toute façon au bout on aura une copie standard, des normes qui font que ce sera possible. On prépare un plan de travail, un découpage technique. Plus on apporte des éléments qui s’éloignent de ce processus de fabrication, plus ils s’inquiètent.

HC : Autrement dit, ce n’est pas uniquement financier, il s’agit aussi d’imposer une manière de faire ?

AK : Une manière de faire ? Oui, mais c’est financier aussi. On établit des règles pour limiter… pour empêcher que je prenne ma grand-mère pour faire la photo. Même si j’essaye d’aller vers un cinéma où peut-être, un jour, on pourrait imaginer … (rires) je ne sais pas… que ma grand-mère soit directrice photo ! Ce serait perturbant un peu… Quand je leur dit que c’est un ouvrier en bâtiment qui va jouer le rôle principal de mon film, ça rassure moins que de prendre un acteur qui a gagné un Oscar à Hollywood. S’éloigner du sentiment d’assurance devient difficile.

HC : Peut-on dire alors, pour parler d’un élément essentiel dans votre travail, que le choix de prendre des acteurs non professionnels vous éloigne du sentiment d’assurance et crée la surprise ?

AK : Non, le sentiment d’incertitude comme vous l’appelez, je peux le créer même avec des acteurs, peut-être même plus facilement avec des acteurs qui ont une grande expérience. D’ailleurs, dans mon premier film [La faute à Voltaire], la plupart des acteurs avaient une grande expérience. J’ai aussi, si j’ose dire, des garde-fous. Je me suis toujours entouré d’acteurs dont c’est véritablement le métier. Je ne m’interdis pas de prendre des gens qui ont des capacités…

HC : Qui n’ont pas été exploité vous diriez ?

AK : Il y en aura toujours…

HC : Je vais continuer sur la question des acteurs. Comment travaillez-vous avec les acteurs ?

AK : Cette question appelle tellement de réponses. Comme vous avez dit tout à l’heure, j’ai beaucoup répondu. J’ai essayé au mieux de répondre, mais je ne sais pas si je pourrais vous dire rapidement, en tout cas quelque chose de nouveau par rapport à ce que j’ai déjà dit.

HC : En pratique, comment construisez-vous le personnage ?

AK : Je n’ai vraiment pas de méthode. C’est un peu comme notre entretien. Vous dites que vous n’avez rien préparé, et au cours de l’entretien il vous est venu des questions qu’on m’a rarement posées. De la même façon, je travaille avec un acteur, si j’ai déjà abordé un segment du travail que je commence à connaître et qui va devenir une méthode ça me met… j’allais dire mal-à-l’aise, mais en fait plutôt à l’aise, mais ce sentiment d’être à l’aise qui me met mal à l’aise. Mais je crois que de plus en plus je fais en sorte que les acteurs trouvent en eux-mêmes, qu’ils n’aient plus besoin de moi.

La graine et le mulet (2007)

HC : L’acteur qui joue le personnage principal dans La graine et le mulet était ouvrier en bâtiment dans la vraie vie. Est-ce que vous l’avez choisi pour cela, car il va pouvoir puiser dans son expérience personnelles proche du personnage qu’il joue ?

AK : Non, je ne l’ai pas choisi spécialement pour ça. Il aurait pu faire un métier complètement différent, j’avais choisi d’ailleurs un acteur avant. Je l’ai choisi parce que c’est quelqu’un en qui je pouvais avoir confiance, qui n’était pas acteur et qui voulait aller jusqu’au bout de l’aventure, je trouvais qu’il avait une très belle présence.

HC : C’est cela qui vous intéresse d’abord en fait ?

AK : Non. Parce que je pourrais aussi être intéressé par le contraire et me dire qu’il y a chez tel ou tel acteur ou telle actrice quelque chose que je n’ai pas vu encore et que je ressens, et donc j’essaie de révéler chez cette personne ce que je sens qu’elle a en elle. Peut-être que ça m’aide aussi à aller vers quelque chose que je crois en moi, que l’acteur peut-être va me révéler quelque chose de moi, qu’il va se jeter dans le vide avec ses émotions, et que ses envies vont peut-être me révéler quelque chose.

HC : Il y a quelque chose qui me frappe beaucoup dans ce que vous dites, au niveau du « créateur de film », c’est son rapport à lui-même. Je vois deux éléments, d’une part vous essayez de trouver quelque chose en vous pour déclencher quelque chose chez vous, et en même temps, lorsque l’on regarde vos films, il y a une telle diversité et une telle précision dans le tracé des personnages, que vous me faites l’impression d’un peintre qui observe, et je ne peux pas croire qu’une seule personne soit la source de cela.

AK : Je ne dis pas que les choses sont en moi, je ne dis pas que les choses viennent de moi, je dis que l’expression d’un acteur, surtout d’un acteur qui va faire sortir quelque chose que je n’ai pas vu en lui, va peut-être devenir comme une sorte de révélation pour moi, m’émouvoir au point de m’interroger sur moi-même. C’est, pour répondre à quelque chose que j’ai dit en introduction, une sorte de motivation, peut-être, bêtement ou tout simplement. Tout ça ne sert qu’à tracer un chemin. Et je crois que le cinéma, le métier, ma façon de le faire, me sert à aller vers ce chemin.

HC : Pour poursuivre dans cette idée de révélation, si je comprends bien, est-ce qu’on peut dire que cette transformation qui a lieu chez l’acteur — la personne et le personnage — est disons le cœur de votre démarche, que c’est cela que vous cherchez ?

AK : Oui, sauf que je ne sais pas ce que je vais chercher, ce qui m’attire ou m’aimante. C’est surtout le cheminement qui m’intéresse. Quand on a trouvé, ou quand on a le sentiment d’avoir trouvé, finalement, on ne sait pas comment on l’a trouvé, c’est souvent par hasard. C’est le fait de chercher qui est plus fort que d’avoir trouvé. Au moment où l’on a trouvé, on ne peut pas faire le chemin inverse.

HC : Est-ce qu’on peut dire que vous cherchez au fond d’une personne ? Comme un lieu ?

AK : C’est une personne, quelque chose, un environnement, des gens, c’est beaucoup de choses. Notre entretien n’aurait pas eu le même sens s’il avait été fait à Paris hier, ou dans le bar d’en face. Ce n’est pas seulement la personne. C’est aussi le décor, la ville… C’est un ensemble de choses qui font qu’à un moment on trouve quelque chose.

HC : Dans ce sens, peut-on dire que ce qui compte chez vous c’est l’instant, comme espace temporel où tout se joue soudainement.

AK : Oui, l’instant ou l’accident. L’instant qui arrive par accident.

HC : Est-ce qu’il arrive que ce que vous cherchez surgisse à un moment où la caméra est éteinte ?

AK : Oh oui, malheureusement… J’ai écrit un scénario sur quelqu’un qui regarde passer la vie. Malheureusement, je n’avais pas une caméra sur moi pour…

HC : Mais une démarche documentaire n’irait pas dans votre sens ?

L’esquive (2004)

AK : Non, ce n’est pas une démarche documentaire, mais on peut attendre très longtemps avant d’obtenir l’instant que l’on a imaginé, que l’on aimerait… Non, une démarche documentaire ne m’irait pas.

HC : Comme vous dites « vous imaginez » les instants. Faites-vous un découpage technique ?

AK : Plan par plan ? C’est plutôt très académique comme découpage.

HC : Alors comment placez-vous votre caméra ? Comment installez-vous une scène de tournage ?

AK : Je prépare une idée assez vague de la place de la caméra qui se précise quand les acteurs sont sur le plateau. C’est très instinctif. Je sens la meilleure façon de filmer la scène, de la découper. Mais, je me trompe tout le temps, ou il y a tellement de possibilités, en choisir une c’est déjà se tromper.

HC : Pour préciser ma question, en quels termes parlez-vous de la caméra ? Est-ce que vous en parlez en terme de mouvements, de déplacements ? Ou est-ce que c’est une question de cadrage, de construction de cadre ? Avez-vous même une réflexion à ce sujet ?

AK : À partir du moment où j’ai une idée précise de la mise en scène et du cadre, j’ai besoin de la bousculer ou de la laisser venir, qu’elle s’impose presque, d’aller contre pour ne pas figer l’instant possible…

HC : En mettant une deuxième caméra par exemple ?

AK : Je mets souvent une deuxième caméra qui ne sert qu’à garder l’énergie, mais il n’y en a qu’une qui travaille véritablement, même si l’autre tourne, pour gagner du temps, pour concentrer cette énergie afin qu’elle ne s’éparpille pas.

La graine et le mulet (2007)

HC : Je saute un peu du coq à l’âne, mais je vais revenir à la question du choix des acteurs et de l’incertitude qui vient avec. Avez-vous déjà pensé au fait qu’il était possible que vous ne trouviez pas cet acteur qui portera votre film, que se soit Ryme dans La graine et le mulet ou Sarah Forestier dans L’esquive. Et si oui, jusqu’à quel point seriez-vous près à attendre cette rencontre quasi-magique.

AK : J’ai envie de répondre que j’ai confiance en ma bonne étoile. Je rencontre toujours une personne qui me fascine.

HC : Donc il y en a plusieurs ?

AK : Il n’y en a pas plusieurs pour le même rôle, il n’y en a qu’un ou qu’une pour le même rôle. En général, et surtout pour les rôles féminins, il n’y a toujours eu qu’une personne qui m’a fasciné.

HC : Combien de temps avez-vous attendu pour le personnage de Ryme par exemple ?

AK : Je crois même que j’étais prêt à transformer le personnage qui était écrit depuis très longtemps. En fait, quand j’ai écrit la première version de ce scénario, ce personnage était écrit pour une actrice qui avait l’âge du personnage à l’époque, seulement les années sont passées (rires). C’est le cinéma… de la même façon j’avais pensé à mon père pour le rôle, j’ai pensé que je ne trouverais plus quelqu’un, puis le miracle à eu lieu et je suis content.

HC : Autrement dit, vous changeriez votre histoire si vous ne trouviez pas le personnage ?

AK : Je changerais de film, oui.

HC : Alors, sans vouloir être trop indiscret, qu’est-ce que vous vous dites lorsque vous rencontrez cette personne, est-ce que cela vient comme un coup de foudre ?

AK : Euh… j’essaye de cacher ma joie (rires). Je le vois tout de suite, j’ai hâte de la montrer à ma compagne…

HC : À ce moment-là, vous pensez transformation ou est-ce que vous pensez conservation ?

AK : Les deux. Il y a une transformation, mais il faut conserver quelque chose.

HC : J’ai lu que vous lui aviez fait prendre 10 kilos…

AK : Et j’en ai fait perdre 10 à Karima, l’actrice qui joue la grande sœur.

HC : Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce cas-là ? Vous voyiez le personnage en chair ?

AK : Oui, je pensais que… Et ça a été le cas… Mais ça n’a pas de grande importance au fond. Avec Sarah Forestier, il n’y a pas eu de transformation physique. Ce n’est pas l’essentiel.

HC : Avez-vous déjà eu de la difficulté à posséder les acteurs, vos acteurs comme vous les appelez parfois, ou est-ce que vous réussissez toujours à les faire entrer dans votre jeu ?

AK : Les acteurs sont toujours étonnés par ma démarche.

HC : Je sais que vous êtes en train de préparer un film. Comment se déroule en ce moment la préparation ? À quelle étape êtes-vous ? Avez-vous déjà trouvé votre acteur ?

AK : Les deux, je cherche encore des acteurs et je réécris. J’attends l’élan, je n’en suis encore qu’au balbutiement.

HC : Donc si je comprends bien vous avez écrit une première version du scénario, vous avez fait les démarches au niveau des investisseurs et vous laissez mijoter.

AK : Exact.

HC : Alors, à partir de là, une fois que votre histoire est écrite, que vos personnages sont tracés, je me demande comment vous cherchez ce déséquilibre, que faites-vous en ce moment pour pousser l’histoire ? Faites-vous des castings ? Cherchez-vous dans la rue ? Lisez-vous des livres ?

AK : c’est très mystérieux … (rires). C’est tout ça… Dans les livres, les films, dans la vie…

HC : Envisagez vous le processus créatif en résonance avec un sens social, mythologique ou historique par exemple ?

AK : On y a déjà un peu répondu. Avant, j’essayais d’expliquer les choses, d’apporter des soi-disant précisions sur mes motivations, ce que je cherche… Mais je ne le fais plus. Je le fais pour la bonne cause, pour répondre aux questions qu’on me pose, c’est pour cela qu’il y a peut-être même des contradictions. Mais la réalité c’est que je ne sais pas.

HC : Et par rapport à votre prochain film ?

AK : Mais dans ce je-ne-sais-pas il y a peut-être parfois une recherche, quelque chose d’une quête, une observation, une fascination. Mais je n’ai pas un point de départ en me disant voilà ce à quoi je voudrais que ça arrive. Il faut que ça vienne.

HC : À partir de l’histoire que vous avez choisie au début ?

AK : C’est ça. Il faut que ça vienne. J’ai fini par trouver artificiel le fait de tout expliquer. Avant, surtout. Pendant, à la limite, ça me bloque un peu. Ensuite, c’est un peu plus facile. Il faut que je le laisse dans une sorte de mystère, de flou, oui, dans une sorte de flou, qui va m’aider à avancer.

HC : Si je vous suis dans votre pensée, on peut se dire que votre matière de travail, c’est la vie elle-même, fugitive et brute, dans ses hasards, à la rencontre d’une personnalité qui incarnera vos personnages. On peut dire alors, je pense, que votre style restera très réaliste.

AK : Non, mais justement, comme vous dites, « vous pensez que ». J’essaye d’aller « vers » et je crois qu’il est possible que j’aille dans un chemin complètement inverse pour justement savoir si c’est ça.

HC : Pour finir je me demandais si vous étiez intéressé par ce qu’on appelle l’art visuel, les installations par exemple, à l’image de ce que fait un cinéaste comme Kiarostami au musée, où les images ne prennent pas la forme d’un film d’une heure et demie projeté dans une salle ?

AK : Non (rires). J’en suis encore au cinéma.