FNC 2017

Trois films

LE JOUR D’APRÈS. Hong Sang-soo.

Quelle était la nature des rumeurs qui circulaient à propos de ce film ? Il est moins comme les autres disaient elles peut-être. Des gens se plient en quatre pour créer. Lui, y arrive avec des pailles, que dis-je, des quenouilles, et surtout, des mots, et tout ça, sans trop se plier. Les mots créent le contenu. Le choix est difficile, car il faut en dire certains et de ne pas en dire d’autres. Dieu comme Amour sont des mots qui ne se prononcent pas à la légère. Dans une œuvre sur l’engagement envers sa propre parole, la foi en celle de l’autre, il fallait s’y attaquer. Quelqu’un dit qu’il serait temps de passer à autre chose. Vous voulez un dessert plus sucré ? Depuis les débuts, les œuvres de Hong Sang-soo émanent d’un même désir, furieux et cohérent.
- D’un système ?
- Bien sûr.
Il n’en va pas autrement par ici. Dans Le jour d’après, les jeux de montage qui n’en sont finalement pas, quelque part entre la feinte et la fulgurance, poursuivent à pas feutrés les leviers du récit. Pourquoi ? Presque pour les caresser ou même, pour souffler dessus tendrement. Ces jeux se fondent dans la ligne narrative, légère et simple, comme du boudin et de la ciboulette dans une recette au gingembre. Et cette ligne menue, mais tenace, souffrant de sa nature par trop humaine, n’articule son essentiel que dans ces trois lieux de l’ordinaire, le bureau, le restaurant et la maison, et sans rancune pour cette maison dont c’est plutôt l’ombre qui égorge les personnages. La maison existe parce qu’elle s’efface de l’équation qui conspire à l’éclatement de la cellule familiale et parce qu’elle souhaite s’ériger ailleurs, selon un nouveau mouvement de levier, dans le bureau, ce bureau que le restaurant va rejoindre au moyen d’une motocyclette qui en livre la chaleur pour qu’enfin les trois lieux n’en forment qu’un seul. Le jour d’après raconte l’histoire d’un repli vers cet intime de fabrication. Cette forteresse qui abrite le conte vrai de la vie rêvée et du tourment intérieur. Là où le désir mange du réel. Il y a des choses qui semblent simples, mais qui ne le sont pas, comme ces gestes d’exception, soit, manger une pomme avec des mitaines. Avez-vous déjà tenté la chose ? Le pari de la simplicité est encore une fois relevé. Cette simplicité en rebutera plusieurs, car elle n’est que dans le dispositif. Il y a des gens qui adressent des suggestions à la Nature. L’activité est démocratique. Allez-y. Dans un avenir lointain, puisque le film a l’audace d’interroger l’avenir immédiat, projetons Le jour d’après sur des pierres tombales. Avec ses couleurs de caillou, le film y sera très bien ! Motif ? L’oeuvre est tellement vivante qu’elle en remuerait la terre, ferait revivre les morts ou plus magiquement, les auteurs de la rumeur en les animant du regret de ne pas avoir suffisamment apprécié ce très beau film.

OUTRAGE CODA. Takeshi Kitano.

Pour se rendre à Outrage Coda et en tirer un certain plaisir – une émotion serait trop lui demander – il fallait arpenter à nouveau cette route. Une route qui serpente autour de l’œuvre de Kitano pour évoquer les désirs qui l’habitent. Le temps des retrouvailles est toutefois passé. Est-ce que ce serait les arguments de l’époque qui ne nous permettent plus de nous y arrêter ? Kitano fait des culbutes pour parler le langage. Il y a premièrement beaucoup de tristesse. Les gens ordinaires ne sont nulle part apparents. Ils ont peu à peu disparu de son cinéma. Troisième de la trilogie, il ne reste à ce film que ce qui survit à l’engrenage implacable du pouvoir. Les femmes y sont à peine. Vous apprendrez peut-être que dans ce monde, tout se marchande, des femmes jusqu’à la paix. De là à penser que Kitano se réinvente, il ne faut pas exagérer. Kitano devient vieux. Il fait le cinéma de ces vieux qui n’ont plus rien à prouver, qui ont tout dit et qui nous invite, pour le plaisir ou par une sorte d’habitude, sur la même route qu’autrefois, mais un peu plus rapidement, tournant les coins sans égard pour le paysage et surtout pour la mer, cette matrice dont les appels résonnent dans tous les films, tout ça en se plaçant sous le parapluie de l’époque, plus portée que jamais sur les apparences. L’humour ne sauve pas complètement ce monde de sa tristesse puisque ce ne sont d’ailleurs que les psychopathes qui en font les frais. Je me serai intéressé un brin au destin fatal du maquereau Otomo, interprété par le réalisateur, dont les exploits violents nous sont racontés. Avec au cœur une petite dette d’amour, je devais le tribut de cet intérêt à l’humanité que portait jadis le détective Nishi ou ses avatars, celui de Sonatine ou de Kikujiro. Hélas, contrairement à eux, le maquereau Otomo n’est pas un personnage. Il est une pulsion motivée par la loyauté. Une chose gluante. Pour être plus précis, disons, un désir de vengeance. Ce désir est le seul trait qui le caractérise. Selon les scènes, le scénario nous permet de mesurer le pouls du degré d’intensité qu’il prend. Des gens trouveront cela sûrement génial, mais à force de voir mourir le personnage Kitano, ils en arriveront peut-être comme moi à un moment où sa mort nous persuadera que c’est plutôt le réalisateur qui ne reviendra plus de cette route, que le suicide présiderait à autre chose que de la fiction. Serait-il encore un véritable exercice de liberté, se déployant dans le sein de la création comme une étoffe aux motifs laborieux ? Chose lourde. Beaucoup de gens meurent et la vengeance donne un élan cruel au deuil et à la tristesse. La fuite est intéressante. Pardon. Avant, chez Kitano, la fuite était intéressante…

TA PEAU SI LISSE. Denis Côté.

Denis Côté en est l’auteur. D’autres l’auront nommé L’OURS, un titre aux majuscules obligatoires et, nonobstant sa création ou son enviable taille de basketteur, qui en impose. Ce titre, le doit-il à la manière qu’il se dresse depuis des années comme le baron d’un chemin balisé de ses griffes, que oui, des griffes dans lesquelles certains auront perçu des pierres sûrement très blanches, et mêmes, plus téméraires encore, des étoiles qui crachent du feu, confondant terre et ciel avec un zèle généreux et sincère ? Je ne sais pas, car je ne sais presque rien, sinon qu’avant de saluer L’OURS, voilà l’ambition de cette petite croquette, j’aimerais vous rappeler qu’il nous a depuis l’époque du chemin impraticable quelque peu habitué aux prouesses. Bien qu’il pratique un cinéma de carapace, il aura quand même donné au Cinéma une œuvre qui en est une d’un bout à l’autre, une prouesse. Souvenez-vous de son Excursões et si vous n’en maîtrisez pas le souvenir, je vous en prie, attachez vos lacets et courrez la rencontrer et quand même ailleurs, plus proche de nous, au passage, retournez voir dans le Vic et Flo où il nous montrait, j’ai envie d’écrire enfin, un peu de l’intérieur de la carapace, mais pour finalement remettre à plus tard la grande chatouille qui viendrait quoi qu’on en dise avec l’étrange Boris sans Béatrice, mais peut-être encore, entre vous et moi, un peu trop timidement. Devant un ours avec une carapace, le randonneur manifeste sa prudence. Mais cette fois, il aurait raison de s’étonner devant le scintillement de griffes accueillantes. Des prouesses étonnantes et fragiles, peut-être pas encore assez mûres, du moins, des prouesses. Ah! Mais c’était pourtant les mêmes griffes, celles avec lesquelles L’OURS avait délicatement puni le réel, mais qui cette fois se transformaient en pépins pour qu’aujourd’hui, j’ai encore une fois envie d’écrire enfin, nous en voyons les fleurs, de si belles fleurs. Maintenant que cela est dit, je peux saluer L’OURS et écrire que son plus récent film est une simple merveille, un cinéma de générosité et d’écoute, un film sur le corps, mais surtout, une très belle méditation sur l’exigence. Salut L’OURS !