Symposium créer/performer/conserver

Symposiums sur le cinéma expérimental : ça sert à quoi ?

La Cinémathèque québécoise (CQ) programme et collectionne des films expérimentaux depuis les années 1960, dès ses débuts. Depuis, il y a eu aussi, au Québec, une production continue de films expérimentaux, « incadrables » (structurels, abstraits, poétiques, d’obédience surréaliste…). Bien que les lieux de diffusion plus éphémères accueillant ce type de films se soient ajoutés depuis une vingtaine-trentaine d’années, n’en demeure pas moins que la communauté de spectateurs et de cinéastes interpellée par cette forme de cinéma reste sans véritable port d’attache, et les tribunes, souvent limitées.

J’avais instauré un premier symposium sur le cinéma expérimental et l’art vidéo lorsque je dirigeais le centre de diffusion et de production Daïmôn, à Gatineau, entre 2012 et 2014. Après cette première édition, j’ai pu mesurer les besoins et les attentes spécifiques de ce type d’événement (valables autant pour la région d’Ottawa-Gatineau que pour celle de Montréal, bien que l’écologie des lieux de diffusion et de production en culture soit incomparable). Puis, j’ai organisé un deuxième symposium où nous avons entre autres découvert Brouillard 14 d’Alexandre Larose dans sa copie zéro, en 35 mm, en plus d’assister à des performances et à une conférence donnée par Ken Jacobs.

À mon arrivée dans l’équipe de la programmation de la Cinémathèque québécoise, en 2014, j’ai voulu reprendre ce projet d’événement, en constatant qu’il ne serait pas repris à Gatineau. L’initiative a eu un joli succès en 2015, favorisé par les conditions de promotion et de diffusion de l’institution plus que cinquantenaire. Un dossier consacré à cette édition avait alors été monté par Hors champ 1 .

Le nouveau symposium de juin 2022 advient après une série d’actions qui ont été déterminantes à la Cinémathèque québécoise : tout d’abord, la publication, en 2020, de XPQ, traversée du cinéma expérimental québécois 2 , qui offrait un tour d’horizon de la production expérimentale depuis ses débuts ; et la publication, en 2021, de Vidéocaméléon de Jean Gagnon 3 , qui s’intéressait plus spécifiquement au fonds Prim et à la vidéo d’art. Le corpus abordé, conservé à la CQ, démontre notamment qu’au fil du temps, la séparation entre les pratiques expérimentales sur pellicule et en vidéo s’est en partie dissipée avec l’avènement du support numérique.

En fait, les événements et les publications sur le cinéma expérimental à la Cinémathèque québécoise, ainsi que le maillage entre la programmation et la conservation de ce type de cinéma, n’ont fait que s’amplifier depuis le symposium de 2015. Les deux résultantes concrètes sont, d’un côté, la publication du livre XPQ, et de l’autre, les films numérisés dans le cadre du « Plan culturel numérique » du ministère de la Culture et des communications du Québec.

Créer/performer/conserver

Dans ce contexte, le défi spécifique du symposium de 2022 fut la valorisation des praticiens actuels du cinéma expérimental et sa mise en dialogue avec la revalorisation d’œuvres dites patrimoniales, nationales et internationales (par la projection des films de Stan Brakhage de la série « Songs » en 8 mm que nous conservons, de même que par le programme « Restaurations XP » qui incluait plusieurs restaurations produites par la CQ au cours des dernières années). Des propos plus analytiques, oscillant entre l’appréhension de la production contemporaine et une lecture plus historienne et académique ont également aiguillé une démarche quelque peu ambitieuse.

Plusieurs programmations de films expérimentaux ont eu lieu depuis le début de l’année 2016, presque chaque mois, en particulier par le biais du cycle « Panorama XP », platement laissé de côté depuis le début de la pandémie. Ainsi, des films produits avant les nouvelles éditions de festivals en présentiel ont pu être, pour une bonne part du moins, ignorés, et il nous fallait y remédier.

Les échanges étaient dès lors d’autant plus nécessaires — au même titre qu’une portion de la communauté de créateurs œuvrant dans le cinéma d’animation — que les cinéastes créent souvent en solitaire leurs films pendant de longs mois, sans s’exprimer longuement auprès de ceux que leur travail intéresse et passionne. Ils ont alors délivré un monde trop longtemps couvé et qu’ils ont souvent le désir d’accompagner jusqu’au bout.

Ce qu’a révélé cette édition du symposium, c’est l’évidence du besoin plus fort qu’à l’habitude de « dire », d’exprimer beaucoup de choses face à un public qui le demandait sans doute aussi. C’est pourquoi j’ai dû reconnaître, à mesure qu’avançait la journée d’échanges et de conférences du symposium, que son aspect « table ronde » disparaitrait tout bonnement au profit de simples présentations classiques. Les conférenciers en avaient tant à dire et ils étaient trop bien préparés. Note à moi-même pour l’an prochain, ou dans deux ans, puisque le mot « biennale » fait de l’effet.

Notes

  1. “créer/montrer/conserver” », numéro janvier-février 2015.
  2. Guillaume Lafleur et Ralph Elawani (dir.), XPQ, traversée du cinéma expérimental québécois[[ Éditions Somme toute, coll. « Nitrate » 2020.
  3. Jean Gagnon, Vidéocaméléon : chroniques de l’art vidéo au Québec, Éditions Sommte toute, coll. « Nitrate » 2021.