Métissage et contamination

RÉFLEXIONS SUR LE CINÉMA D’HORREUR CONTEMPORAIN

Depuis ses débuts, le cinéma d’horreur a toujours trouvé un public friand de sensations fortes. Contrairement à certains genres qui disparaissent pour connaître quelques années plus tard une résurrection 1 , le film d’épouvante, à l’image de l’indestructible Jason Voorhees, demeure toujours présent dans le paysage cinématographique. La raison de ce succès continu dépend bien évidemment de plusieurs facteurs liés. Le premier, le plus important, est ce désir mystérieux poussant certains spectateurs à confronter la terreur dans la sécurité de la salle obscure. Plusieurs études sur ce sujet existant déjà 2 , le présent article s’intéressera plutôt à un second phénomène qu’exerce le film d’horreur sur ses spectateurs. De tous les genres, il demeure l’un des rares à créer un véritable rapport intime avec son destinataire. Témoin et critique de l’actualité qu’il intègre couramment dans ses récits 3 , son efficacité repose sur sa capacité à solliciter directement le spectateur en multipliant des références qui lui sont familières. La popularité grandissante des émissions de télé-réalité (pour ne pas dire le médium télévisuel lui-même) et l’accès facile aux caméras digitales ont une influence importante sur l’horreur, permettant même l’apparition d’un nouveau sous-genre qui adopte une esthétique propre au documentaire.

The Poughkeepsie Tapes (John Erick Dowdle, 2007)

Ces films, dont The Blair Witch Project est le parfait exemple, intègrent l’élément horrifique dans un cadre réaliste pour donner l’illusion de sa véracité. Le spectateur reconnaît alors dans les choix de mise en scène (caméra à l’épaule, éclairages naturels, son direct) les codes de la «réalité filmée ». Dans ces œuvres où le médium lui-même est un élément essentiel au récit, la frontière entre fiction et réalité devient nébuleuse. Un certain doute plane puisque le destinateur peut croire un instant qu’il visionne réellement un film snuff (August Underground de Fred Vogel), les confidences d’un tueur en série (The Last Horror Movie de Julian Richards) ou tout simplement un documentaire (The Poughkeepsie Tapes de John Erick Dowdle). Cette ambiguïté, l’horreur l’emprunte à Loft Story et Big Brother et la transforme pour qu’elle se plie à ses propres enjeux. Il s’agit ici d’un exemple parmi tant d’autres puisque ce rapport de reconnaissance exercé entre le film d’horreur et son public évolue constamment et s’exerce à plusieurs niveaux.

L’horreur, tout comme la comédie, se présente habituellement comme le miroir de son public-cible. Lors du Slam de Minuit présenté dans le cadre du Festival des Films du Monde cette année, six films parmi les dix sélectionnés avaient des étudiants comme protagonistes principaux. Cela ne tient évidemment pas du hasard. Cette identification est amplifiée lorsque le film se situe dans un lieu (un camp de vacances par exemple) et un contexte (une festivité) connus. L’action de plusieurs films d’horreur récents se situe dans un pays exotique. Le fait qu’un plus grand nombre de jeunes adultes peuvent se payer plus aisément des voyages peu coûteux explique en partie ce déplacement du genre, situé jusque là dans les banlieues ou les campus. Notons également que la règle voulant que la virginité d’un personnage lui assure la vie sauve ne s’applique plus. Le sexe avant le mariage étant désormais une pratique normale et acceptée, on assiste de plus en plus à des séquences montrant l’héroïne, autrefois blanche comme neige, s’adonnant à quelques ébats. Cold Prey, un slasher norvégien, pourrait bien être le premier film où une jeune fille se fait assassiner parce qu’elle désire repousser le moment de son dépucelage ! Récemment sorti en salles, Hatchet d’Adam Green a tout d’un « crowd-pleaser » puisqu’il suit les mésaventures d’un groupe d’ados sexuellement actifs qui, lors d’un « spring break » dans le Sud, va tomber entre les griffes d’un tueur. Pour les mêmes raisons, Cependant, ce film opère un second type de reconnaissance très présent dans le cinéma d’horreur des dernières années. Celle-ci s’avère ludique puisqu’elle exige une participation plus active de la part du spectateur. Le film d’épouvante lance un appel à la mémoire cinématographique et, au-delà de la simple identification au personnage, se crée alors un fascinant jeu de références.

Dans Le cinéma, Youssef Ishaghpour ouvre son chapitre sur les grandes tendances du cinéma muet en déclarant que « Le cinéma américain a donc toujours cherché à raconter des histoires qui portent leur sens en elles-mêmes, et dont la compréhension n’exige ni connaissances ni références préalables. Il l’a fait de manière directe et immédiatement transparente, à travers la parfaite unité de l’intrigue et de l’apparence visuelle. » 4

Pareille affirmation, comme il le fait d’ailleurs remarquer plus loin, ne s’applique plus aux productions contemporaines (tous genres confondus) de nos voisins du Sud puisque celles-ci ne peuvent s’empêcher de tenir compte du passé qui les précède. Le cinéma d’horreur n’échappe pas à cette règle. Alors que la majorité des productions des années 80 se voulaient autonomes et dissimulaient tant bien que mal les vols et emprunts faits aux œuvres majeures, celles des années 90 n’hésitent pas à citer ouvertement leurs prédécesseurs. En dévoilant les règles du slasher et en se situant lui-même dans une continuité, Scream de Wes Craven aborde le genre sous un nouvel angle, geste postmoderne qui se répète encore aujourd’hui 5 . À partir de ce film, la notion d’originalité s’effrite, les cinéastes semblent devoir tenir désormais compte du bagage culturel de leurs spectateurs et cherchent à poursuivre cette mise à nue de l’épouvante entamée par Craven. The Dead Hate the Living de David Parker va énumérer les codes du film de zombies tandis que Habit de Larry Fessenden situe le mythe du vampire dans un contexte réaliste. Cette « nouvelle vague » accompagne l’arrivée du DVD qui permet à de nombreux classiques de trouver un nouveau public. L’importance de ce support digital est à souligner puisqu’il permet à une panoplie de spectateurs de se familiariser avec un corpus d’auteurs influents tels Dario Argento, John Carpenter et George A. Romero, pour ne nommer que ceux-là. Les metteurs en scène font désormais face à un auditoire composé en partie d’initiés instruits, et ces derniers adorent se faire interpeller par le biais de clins d’œil et de caméos d’icônes du genre. Dans le but de combler cette nouvelle demande, des réalisateurs émergents multiplient les références et offrent un produit pouvant être apprécié à deux niveaux. Si Hatchet va plaire à un spectateur vierge grâce à ses personnages familiers, l’initié retrouvera avec bonheur la facture du slasher classique des années 80, se plaira à explorer un univers qu’il reconnaît et dans lequel il peut croiser Robert Englund, Tony Todd et Kane Hodder, ses acteurs-fétiches. Ce phénomène intertextuel atteint son sommet avec la vague récente de remakes. En se baladant sur les forums spécialisés, on peut lire les nombreuses plaintes virulentes de fans apprenant qu’une nouvelle version de leur film favori est en chantier. Les réalisateurs en sont conscients et, dans le but de plaire aux fans, vont pointer du doigt l’œuvre originale au lieu de fermer les ponts avec celle-ci. En faisant appel aux acteurs et artisans du film adapté, en ré-utilisant sa trame sonore et en reproduisant minutieusement certaines scènes-clés, on démontre que l’on porte un respect immense pour ses origines. Le résultat s’avère stupéfiant puisque l’on se retrouve avec des remakes s’adressant plus aux connaisseurs qu’à un grand public. Sous cette optique, Halloween de Rob Zombie apparaît comme un fascinant palimpseste.

Halloween (Rob Zombie, 2007)

Il fallait un certain courage pour donner une nouvelle vie au gigantesque classique de John Carpenter. Plutôt que de tout reprendre à zéro, Rob Zombie préfère mettre en images quelques analepses (ou flashback) omis par l’original. Halloween 2007 s’ouvre quelques jours avant la nuit fatale où le petit Michael Myers assassine sauvagement sa sœur et son petit ami. On découvre alors un enfant au comportement violent devant partager le toit avec une famille dysfonctionnelle. Quand surviennent les premiers meurtres, le développement psychologique primaire exposé préalablement apporte une explication aux actes cruels commis par le bambin. Voilà le projet de Zombie : percer un mystère hantant les fans de la série originale, celui de la folie de Myers. Les scènes qui suivent s’avèrent fort représentatives de cette démarche puisqu’elles montrent le long séjour du psychopathe à l’asile ainsi que ses séances avec le psychiatre Sam Loomis. L’initié voit alors un chapitre inconnu se fusionner à un récit qu’il connaît déjà. La deuxième partie du remake, dans laquelle Myers s’échappe de l’asile et part à la recherche de sa sœur Laurie Strode, se veut comme une version raccourcie de l’œuvre de Carpenter ponctuée de quelques variantes pour permette un effet de surprise. Soulignons que Zombie chatouille la connaissance du fan en rendant également hommage à un corpus de films beaucoup plus grand. On retrouve donc la présence de plusieurs acteurs de série B n’ayant aucun lien avec Halloween 1978, dont Malcom McDowell, Brad Dourif, Udo Kier, Danielle Harris 6 , et la liste continue… Après son visionnage, l’initié peut dormir sur ses deux oreilles : peu de modifications concrètes ont été apportées à son veau d’or et il en sait plus sur une figure mythique qu’il idolâtre. Halloween est un exemple parmi tant d’autres. Il s’avère effectivement possible de distinguer d’autres clins d’œil dans plusieurs autres remakes et productions autonomes.

They Live (John Carpenter, 1988)

Ce jeu référentiel s’opère autrement lorsque le réalisateur, plutôt que de se limiter à la citation, reprend les codes formels d’un sous-genre du cinéma d’épouvante. À cause de leur mise en scène, ces pastiches vont renvoyer à un corpus large regroupant plusieurs films plutôt qu’ une oeuvre précise. Par exemple, dans They Live de John Carpenter, un itinérant découvre, grâce à une paire de lunettes remaniée, que Los Angeles est sous l’emprise d’envahisseurs extra-terrestres. Lorsqu’il enfile ses binocles, le protagoniste voit alors des soucoupes volantes autrement invisibles traverser le ciel californien. Ces segments abordent le point de vue subjectif du personnage et nous présente son entourage en noir et blanc. La première apparition des vaisseaux spatiaux a de quoi surprendre puisque les effets spéciaux utilisés s’avèrent particulièrement ineptes, l’artifice devenant évident. Cependant, le spectateur informé retrouve ici la même imagerie que celle des films de science-fiction fauchés des années 50 en noir et blanc et techniquement pauvres. Ces cas plus rares servent aux réalisateurs de se positionner par rapport à leurs prédécesseurs. Avec They Live, Carpenter dévoile l’impact du passage du temps sur certains classiques du genre. Les OVNIS, terrifiants autrefois, ressemblent aujourd’hui à de simples jouets. Le concept même des lunettes fumées semblerait logique dans une production de Roger Corman, mais il s’avère ici désuet, voire humoristique. Le film lui-même donne l’impression de continuellement balancer entre le drame et la parodie. Avec Death Proof, le deuxième film du projet Grindhouse, Quentin Tarantino suit l’exemple de Carpenter en récupèrant la forme du cinéma de drive-in avec tous ses défauts (jeu peu nuancé des comédiens, travellings maladroits, montage ponctué d’inserts louches) mais y intègre également des éléments propres à sa démarche artistique personnelle, comme, par exemple, les longues scènes de dialogue traitant de la culture populaire. Ces deux exemples, tout comme Blood Feast 2 d’Hershell-Gordon Lewis ou One Missed Call de Takashi Miike où les réalisateurs s’auto-parodient, éveillent la connaissance du spectateur et l’invitent à adopter un regard distancié. En soulignant les clichés du cinéma d’horreur, ces oeuvres permettent une lecture au second degré du genre.

The Girl Next Door (Gregory Wilson, 2007)

En guise de conclusion, signalons l’existence d’une oeuvre perverse qui se sert également de la forme pour créer des attentes qu’elle va ensuite bousiller. Second film de Gregory Wilson, The Girl Next Door se base sur un roman de Jack Ketchum inspiré d’une tragique histoire vraie. Wilson réalise ici un film d’horreur, mais dans le but de surprendre son spectateur et de rendre les images de son œuvre véritablement efficaces, il va adopter une mise en scène s’appliquant au « coming-of age flick. » On pense plus à Stand By Me qu’à Last House On The Left lorsque l’on regarde la première partie de Girl Next Door. La réalisation trahit un académisme télévisuel, une impression soutenue par le jeu des acteurs, semblable à celui des téléromans américains. Au niveau du récit, on peut se permettre de bailler devant les scènes clichés où le jeune héros voit son éveil sexuel prendre la forme d’une jolie voisine aux jambes longues. Devant cette forme apaisante, le spectateur se retrouve dans une situation sécurisante où il va même jusqu’à oublier qu’il regarde un drame d’exploitation et non un films d’adolescents. Lorsque la tante de la voisine se met à battre cette dernière à mort, il devient alors prisonnier. L’initié se retrouve pris au dépourvu, semblable au héros de l’œuvre qui, témoin d’un sadisme, ne peut absolument rien faire. En se dirigeant vers d’autres genres, The Girl Next Door fait bien pire qu’une appropriation, il contamine des terrains connus pour induire en erreur. Mais ce jeu de tromperie ne dévoilerait-il pas l’une des forces de l’horreur que nous étudions ici, celle du métissage ? Si le genre reflète le bagage culturel de celui qui le regarde, il s’avère normal qu’il va puiser son inspiration dans d’autres domaines familiers du destinateur. Comme nous l’avons démontré, il peut se référer à son propre passé, mais rien ne l’empêche de se diriger dans d’autres territoires cinématographiques ou de représenter à sa manière des enjeux socioculturels comme la fascination pour la télé-réalité ou la liberté sexuelle. Les studios Hammer ont récemment annoncé qu’il reprenait du service avec une nouvelle production intitulée From Beyond the Rave. Ce film, avant d’être présenté en salles, aura sa première mondiale sur… Ipod Vidéo ! Cette manchette démontre bien comment le genre demeure à l’affût des phénomènes actuels et des nouveautés technologiques 7 . L’horreur est donc un genre que l’on pourrait qualifier d’actif, son évolution constante et rapide suivant de près celle de son destinateur. Lorsqu’une nouvelle sphère apparaît, il s’empresse de s’infiltrer en elle dans le but de semer la terreur. L’horreur change, mais ses enjeux demeurent les mêmes. Tout comme Jason qui, dans le dixième épisode de la série Friday the 13th, se retrouve transformé en robot.

Jason X (James Isaac, 2001)

Notes

  1. Pensons ici au western et à la comédie musicale, deux genres qui, au moment de la rédaction de ce texte, connaissent justement une résurrection avec des films comme The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, 3:10 to Yuma (un remake du film de Delmert Daves de 1957), Across the Universe et Les chansons d’amour.
  2. Sur ce sujet, Deleuze and Horror Films d’Anna Powell, Men, Women and Chain Saws : Gender in the Modern Horror Film de Carol J. Clover et le documentaire S&Man de J.T. Petty proposent de fascinants éclaircissements.
  3. Un autre sujet ayant eu droit à d’innombrables études. Pensons aux nombreuses analyses voyant Invasion of the Body Snatchers comme objet de propagande anti-communiste.
  4. Youssef Ishaghpour, Le cinéma, Paris, Farrago, p. 35.
  5. Cela ne signifie pas que Scream est le premier film d’horreur à citer ouvertement ses prédécesseurs. Plusieurs œuvres produites dans les années 80 (Evil Dead de Sam Raimi, Creepshow de George A. Romero, Dressed to Kill de De Palma, etc.) le font également. Par contre, elles s’avèrent peu nombreuses, faisant figures d’exception. Scream a rendu l’acte référentiel populaire, donnant naissance à un véritable phénomène au sein du genre.
  6. Cette actrice a un lien avec le Halloween de Carpenter puisqu’elle interprète l’un des rôles principaux du quatrième et cinquième épisode de la série originale. Rôle qui lui a donné le statut de « scream queen. » Dans le remake, Zombie réalise le fantasme de bien des fans en la dénudant. Même si elle tombe entre les mains de Michael Myers, elle ne se fait pas pour autant assassiner. La figure qu’elle représente serait-elle intouchable à ce point ?
  7. Le premier film a avoir été produit exclusivement pour le marché de la vidéo est d’ailleurs un film d’horreur, le slasher Blood Cult.