Chronique télévision

LE GOLF, CONTINENTAL AVEC PUTTER

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Tous les sports ne « passent » pas aussi bien à la télévision, encore moins à « toutes » les télévisions ; il est clair par exemple que le football américain, avec ses séquences de jeu de quelques secondes entrecoupées de nombreux (!) arrêts, cadrent on ne peut mieux avec le rythme imposé par la publicité des réseaux américains, alors que le soccer, dont les demies de 45 minutes chacune ne souffrent aucune interruption, trouve difficilement à s’inscrire dans cette logique télévisuelle toute nord-américaine. Un peu de la même manière, l’affrontement à un contre un du tennis, qui rend très facile de saisir les enjeux d’un match, paraît beaucoup plus télégénique que la plupart des compétitions d’athlétisme, dispersives par nature et souvent plutôt abstraites. Et parmi la courte liste des sports les mieux assujettis à leur diffusion – football, basket-ball, base-ball 1 – force nous est d’évoquer le golf, sport honni s’il en est pour sa lenteur et son aristocratisme désuet, sport déconnecté par excellence mais que les artistes de la télévision américaine ont appris à transformer – à l’intention de ceux qui savent l’apprécier – en compétition épique, spectacle grandiose de la lutte entre la Nature et la Culture, de l’homme contre les éléments. Rien de moins.

Ce qu’il faut commencer par dire, c’est que c’est la télévision a fait du golf le sport qu’il est aujourd’hui. Par rapport au baseball, sport national au sud de nos frontières depuis des décennies, ou alors par rapport aux sports universitaires extrêmement pratiqués qu’ont d’abord été le basket-ball et le football, le golf avait toute une pente à remonter. Sport de riches sans ancrage populaire, associé à une image de la vielle Angleterre coloniale et de l’Écosse des châteaux, le jeu préféré de Jack Nicklaus souffre également d’une tare importante : il n’existe pas au golf comme dans tous les sports télégéniques d’arène qui contienne physiquement l’ensemble des développements du jeu et permette conséquemment au regard d’en épouser simultanément toutes les péripéties. La patinoire au hockey ou le court de tennis enferment le jeu, ils contraignent l’action et donnent une unité sensible au jeu qui en facilite grandement l’appréciation. À partir d’une posture unique, d’une sorte de point idéal dans la foule, le téléspectateur de ces sports est témoin du spectacle offert par les sportifs. Les artisans du Golf télévisé – on parle ici des réalisateurs, producteurs, techniciens… – ont dû imaginer une autre posture, bien plus ontologiquement télévisuelle celle-là: l’ubiquité.

Le tournoi des maîtres à l’Augusta National Golf Club

En effet, le golf tel qu’on y assiste sur notre petit écran est un sport dé-construit puis reconstruit, une « idée » chorégraphiée sur moniteur, dans la tente du réalisateur, sous les auspices d’aiguilleurs aussi anonymes que souverains. Il n’y rien de tel que du direct sur les greens du Augusta National, que des scènes en décalage temporel, transformées dans le temps de leur énonciation en successions organisées et logiques, en compétition là où il n’y a en réalité que des hommes qui se battent contre eux-mêmes. Où est le téléspectateur ? Certainement pas dans la foule, cette foule qui ne voit rien que la plate succession des golfeurs sur un même trou ou alors est contrainte de se mouvoir d’un trou à l’autre. Le téléspectateur, lui, est littéralement partout : au tertre de départ, il est derrière le joueur et épouse d’un même regard l’ensemble de l’allée ; sur les verts, il est à la fois à la bonne distance et au bon angle pour apprécier la difficulté du coup, puis dans une telle intimité avec le joueur qu’il peut voir battre une veine sur sa tempe ; entre deux coups des meneurs, il se transporte tout à fait ailleurs, à plusieurs trous de là, captant comme par magie l’aigle que vient de réussir un joueur pourtant hors de la course; et, plusieurs fois pendant un match, il se transforme en oiseau, état idéal s’il en est pour survoler une normale 5 et embrasser d’un coup d’aile ses centaines de verges, ses trappes de sable et ses dangereux lacs. La télévision est non seulement la meilleurs manière d’assister à une partie de golf, c’est en fait la seule ; aucune autre perspective que celle offerte par la multiplication des caméras n’arrive à donner à l’événement son unité, puisque c’est elle qui la crée, littéralement.

Où est Dieu ? demandait le Petit catéchisme, source fondamentale pour qui veut comprendre le sens de l’ubiquité. Dieu est Partout, répondait en cœur les bons écoliers, et ils pourraient probablement ajouter aujourd’hui : comme la télévision. Le golf réalise en effet les conditions idéales du médium télévisuel, dont la technologie tend toujours vers cet « être-partout » divin et simultané. Mais la référence religieuse ne s’arrête pas là, car le golf, c’est aussi et peut-être surtout l’image de l’homme dans la nature, de l’homme maîtrisant sa nature et la nature, telle qu’elle s’incarne dans l’incroyable luxuriance des plus beaux terrains de l’Amérique, image à peine métaphorique du paradis sur terre. Il faut avoir vu un match joué à Pebble Beach, à Augusta, à Oakmont sur une télé HD pour bien saisir toutes les nuances de vert que ces merveilles offrent à l’œil.

Ceci dit, peut-être sommes-nous mieux en mesure de comprendre l’extraordinaire déchéance vécue par Tiger Woods depuis la révélation de ses « infidélités ». Le roi des allées, le dieu tout puissant des greens depuis plus de dix ans a montré qu’il était faillible ; humain, trop humain pour ce sport qui exigeait de lui rien de moins qu’une perfection impossible. Sa chute aura été celle de l’ange déchu, exclu d’un paradis créé tout entier par et pour la télévision.

Paula Creamer à Oakmont

Notes

  1. C’est d’ailleurs notre hypothèse que ces sports se sont imposés comme les plus populaires aux États-Unis non pas parce qu’ils sont les plus pratiqués par la population mais bien grâce à leur adaptation sans pareille aux contraintes du petit écran.