À la recherche d’Oscar
Searching for Oscar de Octavio Guerra. Présenté à La semaine de la Critique de Berlin.
C’était probablement sur toutes les lèvres. «Méfiez-vous de la compétition officielle ! » disait par exemple un cinéphile errant de la Postdamer Platz. La rumeur raconte que les programmateurs, à la manière du noble Oscar, n’ont regardé aucun des films qu’ils ont sélectionnés. À la rumeur, ils répondirent peut-être : «Que voulez-vous, il y en avait trop !» Ils se sont contentés d’une sélection à l’aveugle, choisissant les films à partir des affiches et surtout des noms qui les agrémentaient, à quelques exceptions près, préférant les plus laides, mais celles, quand même, dont la laideur graphique se voyait compensé par le prestige des étoiles qui y figuraient. Si la rumeur est vraie, il faut croire que des disciples d’Oscar étaient sur le comité de sélection de la compétition officielle de la Berlinale. Mais qui est Oscar ? me demanderez-vous. Il est le sujet de ce documentaire qui s’intitule Searching for Oscar.
Le cinéaste Octavio Guerra a suivi un critique de cinéma pendant plusieurs mois. Le critique se nomme Oscar Peyrou. Il habite à Madrid et est le président de l’association des critiques d’Espagne. Par sa nonchalance, sa paresse exemplaire et même, diront certains, une paresse politique et anarchique, le critique Oscar permet à Guerra de questionner pour nous le coeur en paillettes du grand système d’exploitation qu’est le Festival de Cinéma. Dans les Festivals où il est invité, le critique Oscar ne regarde aucun film. Il argumente que pour atteindre l’objectivité absolue, il peut très bien écrire sur les films en ne s’inspirant que des affiches desdits films et du nom des acteurs qui y figure. Anarchiste, ne charrions pas. Drôle, oui. Coupable, également. Mais coupable de quoi ? De profiter d’un système qui profite à son tour de la crédulité du monde entier ? De se laisser glisser poliment dans les failles de la science des festivals ? De plonger dans le buffet de ces festivals avec un appétit un peu trop bénévole ? D’aimer le bruit ? De le tolérer ? Le bruit…
Un épisode du film nous le présente invité au Festival du cinéma Latino de Chicago où il n’y voit aucun film, participe pourtant à des débats, rencontre d’aspirants cinéastes à qui il conseille, très sérieusement, de toujours offrir des bouteilles de vin aux programmateurs (je note), pour finalement profiter de son séjour financé pour ne s’acheter qu’une paire de caleçons. N’allez pas vous méprendre, le bonhomme connaît le cinéma. Dans sa chambre d’hôtel, le soir, il retire ses grosses lunettes et approche ses yeux de l’écran pour visionner seul sur son portable de vieux classiques du cinéma. Il en regarde quand même des films. Il refuse cependant d’en regarder en festival, se contentant plutôt, oui, des affiches. Vous voilà rassuré ?
La Berlinale est un événement qui en dépit de la tiédeur (je suis poli) de sa sélection officielle est d’envergure mondiale. Et ne serait-ce que pour la section Forum, la Berlinale est un rendez-vous cinématographique incontournable. Mais qui veut encore parler de Cinéma avec un grand C ? L’attirail médiatique d’aujourd’hui sert davantage à nous fournir, heureux que nous sommes, les meilleurs outils pour nous divertir prudemment, c’est-à-dire, en évitant les longueurs, l’ambiguïté, la provocation, mais aussi, afin de nous renseigner sur l’état des étoiles. Qui brille et qui brille moins ? Va surtout voir là où ça brille en masse… et commente. Oscar vous dira qu’il n’est finalement plus tellement utile d’aller ailleurs prendre le pouls du cinéma, car il incommode à la nouvelle nature du cinéma de nous rejoindre, où que nous soyons. Les étoiles viennent à nous. Et avec eux le bruit.
Le Canada était pourtant à l’honneur au Marché de la Berlinale et dans plusieurs sections dont l’incontournable Forum où figurait Premières armes de Jean-François Caissy, probablement le plus vaillant cinéaste du poulailler de l’ONF. Vous me direz qu’il n’y avait aucun film jouissant du prestige de la compétition officielle. Si ce n’est que la compétition qui vous intéresse, Oscar vous le dira (et il a raison), pas besoin de voir les films de la compétition pour savoir que Montréal peut attendre quelques semaines pour le Wes Anderson, que le Lav Diaz a déjà son cortège de valeureux défenseurs qui vont voir son film à la première occasion et que pour le reste de la compote, oui, on peut s’en passer.
Oscar est un personnage, petit et gentil, délicat et transparent (sa plus grande qualité), qui est le reflet de tant d’autres qui jouissent d’un certain prestige et dont l’industrie, autosuffisante, assure le confort. Le cirque est épuisant et avant que l’on m’accuse encore d’enfoncer des portes ouvertes, comme Oscar, je dirai simplement que j’ai hâte de déjeuner avec quelqu’un qui m’aime. Autrement, j’ai l’envie de conclure chaque journée par un jugement qui l’accuserait de m’avoir transmis une immense fatigue. Comme si chaque mauvais film était vraiment l’auteur de ma fatigue. Pourquoi pas ? Cette idée m’est séduisante. J’appose sur mes visionnements un sceau redoutable qui m’oblige à en voir le caractère définitif. La journée est ainsi. Je passe à autre chose. Le sommeil se charge du reste. Soit d’en digérer le tourbillon, pour ne pas dire les films, et surtout, de réduire le risque que cette journée contamine la suivante. Le sommeil et le soleil se partageront les bénéfices du recommencement. Je suis un personnage qui voit beaucoup de films. Comment devrais-je me comporter ? Fuir, mettre un masque, jouer avec mes désirs, manger un concombre, faire de la poésie vaseuse, me dégourdir l’esprit en me chantant des refrains, appeler mes amis. Qui sont mes amis ? Je vais plutôt mettre mon estomac dans un sac et m’acheter des écouteurs qui isolent. Et le bruit devient le ciment de nos existences. La musique est partout comme une glue qui voudrait nous affranchir de la solitude. Du bruit. Elle est le premier bastion du divertissement. Bastion… soldat… armée… Elle s’attaque au rêve, pire, à la méditation. Avez-vous déjà utilisé vos cheveux pour couvrir vos oreilles afin de les protéger du froid ? N’ayant pas de cheveux, sinon, à la hauteur des oreilles, je contemple ce projet. Comme Oscar, aucun film, mais un peu de silence…