HORS CHAMP PRÉSENTE L’ŒUVRE INTÉGRALE DE NURI BILGE CEYLAN

du 28 avril au 2 mai

Rêves et désabusements

Avec ses quatre premiers longs métrages, réalisés entre 1997 et 2006, le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan n’a cessé de surprendre et d’éblouir. Chaque film révèle la cohésion d’une oeuvre unique, émouvante et envoûtante, sans concession à quelque mode que ce soit ou aux contraintes de la production industrielle. Ceylan demeure toutefois très peu connu en Amérique du Nord, et seul Uzak (Grand prix du jury et prix d’interprétation masculine à Cannes) fut distribué au Canada. Hors Champ, en collaboration avec la Cinémathèque québécoise, présente la rétrospective complète de son oeuvre (l’une des premières dédiées à ce cinéaste) dont quatre films en primeur québécoise, incluant son tout dernier, Les Climats.

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Une oeuvre véritablement personnelle et artisanale : la plupart des acteurs sont des non professionnels, amis et parents du cinéaste, et Ceylan assume lui-même les rôles de producteur, scénariste, réalisateur et directeur photo (cédant sa position à la production et à la caméra pour Les Climats, parce qu’il incarne lui-même l’un des rôles principaux).

Ceylan (à droite) sur le tournage des Climats

D’un film à l’autre, les mêmes réalités humaines – états et traits de caractères à la fois complexes et des plus communs (égoïsme, jalousie, regrets, responsabilité, solitude…) – prennent forme au cœur d’un réalisme de la vie ordinaire. Mais dans l’économie du récit et la justesse des cadres, où l’écoulement du temps est palpable, où la lumière déploie toutes ses nuances dramatiques, l’image n’est jamais loin du glissement onirique ou de l’élan spirituel.

Il y a chez Ceylan un regard très vif porté sur les rapports familiaux ou sociaux. Ceux-ci se présentent dans ses films comme la manifestation de solitudes qui se côtoient, ou se confrontent, et finissent par exprimer un ensemble de velléités au niveau le plus commun, le plus vain et le plus ironique de la réalité quotidienne. Ces rapports définissent les personnages d’Uzak bien sûr, mais déjà dans Kasaba on les retrouve dans une vérité dénudée mais très spirituelle, enracinés dans les questionnements fondamentaux d’un pays, d’une culture, d’une langue, de l’enfance et de la mort. « Je n`aime pas les histoires marginales, je n’aime pas non plus les histoires extraordinaires qui arrivent à des gens ordinaires, j’aime les histoires ordinaires des gens ordinaires », dira-t-il dans un entretien au magazine Cinemaya.

Une autre dimension singulière de l’œuvre de Ceylan, en particulier dans Nuages de mai et Uzak, est cette façon d’introduire une réflexion sur l’art en créant discrètement une sorte de mise en abîme du processus de création. Avec finesse et intelligence, Ceylan parvient à nous mettre en face de quelques-unes des questions essentielles qu’un artiste peut être amené à se poser. Il s’écarte pourtant des modèles communs du “film dans le film”, les questions se manifestent encore dans le quotidien et l’intimité des personnages. Il ne met pas non plus des réflexions éminemment personnelles dans la bouche des personnages, mais elles s’incarnent dans les difficultés d’un certain rapport qu’ils entretiennent avec l’art. Par ailleurs, le prétendant cinéaste dans Nuages de mai et le photographe commercial refoulant l’échec artistique dans Uzak, apparaissent plutôt comme des êtres antipathiques, égoïstes et fuyants.

Programme

28 avril, 17h

KOZA (COCON) Réal. : Nuri Bilge Ceylan Turquie, 1995, 20 min, sans dial.] avec Fatma Ceylan, Mehmet Emin Ceylan, Turgut Toprak.
Après avoir vécu des expériences difficiles dans leur passé, deux septuagénaires tentent de reformer leur couple. Premier film de Ceylan, réalisé à 36 ans, ce court métrage fut immédiatement sélectionné à Cannes et obtint plusieurs prix dans divers festivals. « Je craignais de commencer à tourner, puisque la réalisation implique tellement d’organisation. Alors je suis parti avec un ami et nous avons tourné le film ainsi. Je me suis alors rendu compte que je pourrais tourner un long métrage de la même manière. » (Nuri Bilge Ceylan, 1999)

KASABA (LE PETIT VILLAGE) Réal. : Nuri Bilge Ceylan [Turquie, 1997, 82 min, s.-t. f.] avec Mehmet Emin Toprak, Havva Saglam, Cihat Butun.
Raconté à travers la perspective de deux enfants, ce film dépeint les relations entre les différents membres d’une famille issue d’un petit village. Certains dialogues ont été empruntés directement à Tchekhov, ce qui n’est pas étonnant vu la profondeur des échanges. Bergman non plus n’est pas loin, comme dans cette superbe scène dans laquelle la mère relate le traumatisme d’un incendie. Ceylan crée ici une oeuvre unique et forte, s’appuyant avec un parfait équilibre sur ses influences. (Simon Galiero, 2007)

28 avril, 19h

UZAK (angl. DISTANT) Réal. : Nuri Bilge Ceylan [Turquie, 2002, 110 min, s.-t. a.] avec Muzaffer Özdemir, Mehmet Emin Toprak, Zuhal Gencer Erkaya.
Un photographe désabusé se voit obligé de reçevoir chez lui un cousin venu de la campagne. « Uzak offre un réalisme d’une nature tout à fait singulière : pas de caméra mobile « impliquée », ni de longs dialogues, mais une lenteur, une simplicité des mouvements de la caméra, des plans composés, une lumière à la fois naturelle et soigneusement dessinée. Le film se meut avec une étrange légèreté dans le réel, sans lourdeur philosophique ou stylistique, bien que toujours habité par une gravité indicible. » (Nicolas Renaud, 2004)

29 avril, 19h

MAYIS SIKINTISI (NUAGES DE MAI / CLOUDS OF MAY) Réal. : Nuri Bilge Ceylan [Turquie, 1999, 131 min, s.-t. a.] avec Mehmet Emin Ceylan, Muzaffer Özdemir, Fatma Ceylan.
Un homme retourne dans la ville de son enfance avec le projet d’y tourner un film. « Mais qui se laisserait ainsi enfermer sans broncher dans le musée intime d’un autre, si aimant soit-il ? Le film est cocasse en ce sens que les modèles résistent à l’image que Muzaffer cherche à fixer d’eux, que la vie s’échappe de partout. Les membres de la famille poursuivent, chacun dans son coin, des objectifs incompatibles avec ceux du metteur en scène. » (Louis Guichard, 2001)

2 mai, 20h30

IKLIMLER (LES CLIMATS) Réal. : Nuri Bilge Ceylan [Turquie, 2006, 101 min, s.-t. f.] avec Ebru Ceylan, Nuri Bilge Ceylan, Nazan Kesal.
Isa et Bahar sont deux êtres seuls, entraînés par les climats changeants de leur vie intérieure, à la poursuite d’un bonheur qui ne leur appartient plus. « La gravité de la confidence tient à ce qu’elle ne peut s’esquisser, dirait-on, que dans le secret de l’art. Bien loin de tout esthétisme gratuit, Les climats se proposent au regard des êtres qui, faute d’espace sentimental, ne peuvent vivre pleinement qu’à l’écran. » (Alain Masson, 2007)

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Cinémathèque québécoise, 335 boul. de Maisonneuve Est, Montréal.
Adulte 7 $ / Étudiants et aînés 6 $

Texte : Simon Galiero et Nicolas Renaud / Organisateur : Simon Galiero

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Voir notre texte sur UZAK

Pour en savoir plus sur les films, voir le site internet de NBCFILM

Les programmes spéciaux de la revue HORS CHAMP sont présentés grâce au soutien du Conseil des Arts de Montréal.