GAUMONT 1912-1913 : ŒUVRES PHARES DE LOUIS FEUILLADE ET DE LÉONCE PERRET
29 janvier 2010 à 18h30, Cinémathèque québécoise, salle Claude-Jutra
Accompagnement au piano par Gabriel Thibaudeau
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Cinéastes doués et prolifiques à l’emploi de la Société Gaumont, Feuillade et Perret écrivent et tournent sans relâche des courts-métrages en tous genres à partir de la fin des années 1900. À travers la part encore visible de cette abondante production, il semble que ce soit vers 1912 qu’apparaît une étonnante maturité artistique dans les films de chacun. Des films qui brillent par la beauté plastique des images, un nouveau degré de complexité narrative et un langage cinématographique élaboré, ne cédant rien en maîtrise et en inventivité à ce que démontre Griffith à la même époque. Les quatre titres présentés permettent ainsi de découvrir des œuvres magistrales et peu connues de deux pionniers du cinéma, deux grands auteurs du muet, révélés quelques années avant les séries à succès et les longs-métrages plus ambitieux de chacun. Ces films sont également unis par des liens thématiques, deux d’entre eux présentant d’intéressants procédés d’autoréflexivité sur le phénomène du cinématographe, puis les quatre étant centrés sur un même sentiment, une faille humaine à la fois simple et tortueuse : la jalousie. Enfin, et surtout, la beauté de ces films n’apparaît nullement flétrie ou vétuste, au contraire, le siècle qui nous en sépare semble l’avoir fait mûrir, avoir scellé cette beauté en dehors du temps.
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ERREUR TRAGIQUE de Louis Feuillade / Int. : Suzanne Grandais et René Navarre / 35mm N&B / intertitres en français / 24 min (18 i/s) / France, 1912.
Un homme aperçoit par hasard sa jeune épouse sur un écran de cinéma, passant dans l’arrière-plan au bras d’un inconnu. Il se procure une copie du film et découpe le bout de pellicule où il croit voir la vérité, la preuve de cette faute pourtant inimaginable de sa bien-aimée. Cette image le plonge dans un dangereux désespoir. Merveilleuse mise en abyme d’une réflexion sur l’image cinématographique. Caméra mobile aux moments opportuns du drame, éclairages subtils, jeu convaincant : Feuillade atteint une parfaite maîtrise de tous les éléments d’une mise en scène à la fois riche et sans fard.
LE MYSTÈRE DES ROCHES DE KADOR de Léonce Perret / Int. : Suzanne Grandais, Léonce Perret, Émile Keppens / 35mm N&B (teinté) / intertitres en français / 44 min (18 i/s) / France, 1913.
Victimes du stratagème d’un prétendant jaloux, une femme et son amoureux sont retrouvés inconscients dans une barque échouée. L’homme survit à ses blessures, sans comprendre ce qui est arrivé, alors que la femme sombre dans un état catatonique et amnésique. Un espoir est fondé sur l’expertise d’un médecin qui vient de publier un traité sur « l’usage du cinématographe en psychothérapie ». En plus d’un ingénieux recours à la formule « du film dans le film », Perret orchestre des scènes au pouvoir visuel tout à fait médusant.
LE CŒUR ET L’ARGENT de Louis Feuillade / Int. : Suzanne Grandais, Renée Carl, Raymond Lyon / Betacam N&B (version numérique restaurée et teintée) / intertitres en français / 18 min / musique composée par Patrick Laviosa / France, 1912.
Une jeune femme est convaincue par sa mère d’épouser un homme riche. Elle ne cesse toutefois de rêver au temps de ses promenades avec celui qu’elle aime et qu’elle a abandonné. Désigné en France comme étant peut-être le plus grand « plasticien » des débuts du cinéma, Feuillade compose ici des images éclatantes, pleines, profondes, peintes avec toutes les nuances de la lumière. Il cherche de plus à projeter l’univers mental de ses personnages par un usage raffiné des surimpressions mariant deux images.
SUR LES RAILS de Léonce Perret / Int. : Valentine Petit, Eugène Breon, Émile Keppens / 35mm N&B / intertitres en français / 14 min (18 i/s) / France, 1912.
Un cheminot annonce à son meilleur ami la nouvelle de son mariage, ignorant que celui-ci est secrètement amoureux de la même femme. Incapable de supporter son malheur, ce dernier cède à des impulsions meurtrières. Perret déploie ce court drame dans un langage cinématographique totalement abouti et une intensité de tous les instants. Chemins de fer, abus d’absinthe, folie, passion amoureuse et suicidaire dans la classe ouvrière : ce film n’est pas sans rappeler Zola et, de fait, La bête humaine que réalise Jean Renoir 25 ans plus tard.
Durée totale : 100 min.
Avec le soutien du Conseil des arts de Montréal.
Et la collaboration de l’École de cinéma Mel Hoppenheim, Université Concordia.
Cinémathèque québécoise : 335, boul. De Maisonneuve Est, Montréal.