Chronique télévision

TVA EN DIRECT.COM, L’INFORMATION RATTRAPÉE PAR LE WEB

Il fut un temps où l’information télévisée avait pour nom et vecteur quasi exclusif le téléjournal. Grand-messe de début ou de fin ou de soirée selon les pays – l’Amérique et l’Europe sont à ce titre assez différentes -, le TJ (ou JT, c’est selon ici aussi) a vécu. Même si celui-ci continue à figurer en bonne place dans la grille de programmes des télés généralistes et à justifier les investissements considérables que requiert le maintien d’une salle des nouvelles, l’information transite aujourd’hui par des formats diversifiés, dont un nombre croissant fait de la place au commentaire et à un traitement plus subjectif de la matière « brute ». Comme la presse écrite qui, à partir des années 1950, a réagi à l’arrivée de la télévision en dédiant progressivement plus d’espace aux éditoriaux et à la chronique par rapport à la nouvelle, il semble bien que la télévision accuse le coup de l’émergence d’Internet en tentant d’émuler son caractère participatif. L’émission quotidienne TVA en direct.com, qui encadre (de 11h30 à 11h45, puis de 12h30 à 13h30) la diffusion du bulletin de nouvelles de midi, est un excellent exemple de cette tendance lourde qui transforme le téléspectateur en interlocuteur – un peu sur le modèle de la ligne ouverte radiophonique, dont c’est d’ailleurs le créneau horaire traditionnel.

On prendra bonne note dans un premier temps du titre de l’émission qui constitue, en même temps qu’une indication sur son contenu (le direct reste l’un des attributs de la télévision les plus positivement connotés), un renvoi au site Internet correspondant. Une telle appropriation du réseau des réseaux par la télévision est de plus en plus fréquente dans les différents services d’information 1 , et permet de réaliser de facto le vieux fantasme de l’institution télévisuelle : l’interactivité. Le site en question ne contient en effet que très peu de contenu : pas de « dossier » plus fouillé, pas de relais vers des informations complémentaires plus riches, mais des « réactions » de téléspectateurs aux « sujets du jour », tirés comme il se doit du bulletin d’information. La page web sert en fait de dépôt aux commentaires envoyés par courriel à l’animateur, constituant une matière à laquelle ce dernier pourra référer au gré de ses interventions. Cet interface de communication est beaucoup plus simple à gérer, moins dangereux que l’échange téléphonique en direct (qui reste toutefois un des modes de communication utilisés par l’animateur), qui peut déraper en tout temps. La télévision tolère mal par ailleurs le genre de personnalité que l’on retrouve typiquement à la barre des lignes ouvertes radiophoniques (les André Arthur et les Gilles Proulx de ce monde), possiblement parce que le degré d’agressivité déployé par ces spécialistes de l’indignation publique correspond assez profondément à une culture orale qui cadre mal au petit écran. La radio a l’insigne avantage de laisser dans l’ombre ses interlocuteurs, ce qui permet à la parole de se déployer dans un espace un peu irréel où semblent se dématérialiser les corps engagés dans l’affrontement.

L’animateur François Paradis incarne bien le type spécifique de télégénie que requiert cette interactivité télévisée. L’homme est simple ; il fait même un peu « peuple », s’il nous est permis de désigner de la sorte l’espèce de rusticité de la pause et du langage qui le caractérise, cette familiarité à tout venant qui le protège en toutes circonstances de donner l’impression d’être un « intellectuel » . Seul derrière son bureau de verre, entouré de ses écrans, la souris et le téléphone à portée de main, il gesticule abondamment, souligne chaque mot qu’il prononce comme s’il d’adressait à une classe de 4ième année et, en bon pédagogue, renvoie continuellement au public les questions suscitées par le sujet débattu, stratégie qui contribue à transformer en « problèmes de société » le moindre fait divers. Le fait qu’il semble quasiment toujours en état d’alerte, aux aboies, est la forme rhétorique que prend l’information quand elle doit susciter du débat, de la discussion, qu’elle doit « interpeller » le téléspectateur. En ce sens, la place stratégique qu’occupe l’émission dans la grille des programmes indique bien le rapport que l’on tente de créer avec la nouvelle « brute » – le bulletin proprement dit : la grande proximité entre les deux permet de nombreux effets de contamination, le plus important étant probablement de susciter l’idée selon laquelle l’information est toujours nécessairement une matière « ouverte », le prétexte à une circulation des idées dont l’interactivité permise par le Web constitue désormais l’incontournable caution.

La plupart d’entre nous nous souviendrons de l’émission d’information intitulée Le Point, qui a suivi durant de nombreuses années le téléjournal de Radio-Canada : entrevues, analyse de l’actualité par des spécialistes, approfondissement des sujets de l’heure étaient l’ordinaire de cette émission, l’une des premières à prolonger dans un format magazine le bulletin traditionnel. TVA en direct.com marque très certainement tout ce qui nous sépare, déjà, de cette conception de l’information. La télévision de proximité n’a que faire de l’analyse, et ne donne la parole aux spécialistes que dans la mesure où ces derniers sont à même d’éclairer un débat qui se joue toujours ailleurs, dans cet espace qui rattache le téléspectateur à son poste, via sa connexion Internet. Que la très grande majorité du public ne prenne jamais la peine d’intervenir concrètement dans ce débat virtuel ne change absolument rien à l’affaire, car ici comme ailleurs en matière de télévision, tout est question de rhétorique. « Achèterez-vous vos billets de loto sur Internet » ? « Que pensez-vous du problème de radon détecté dans certaines maisons de la Rive-Sud ?» « La religion a-t-elle sa place dans les garderies en milieu familial ? », demande François Paradis, en échos au site Web de l’émission où un espace est réservé pour accueillir les réponses. Demain, d’autres questions remplaceront celles-ci, auxquelles le spectateur moyen ne répondra pas davantage, mais au moins, l’illusion de l’échange campée dans un simulacre d’interactivité aura fourni à la chaîne le parfait alibi : celui d’être à l’écoute du « vrai monde ».

Notes

  1. Sur V, on a même vu un concept d’émission prendre la forme d’un « échange » entre l’animateur seul sur le plateau et un écran tactile diffusant tableaux, images, données à partir d’Internet.