Le Cirque du Soleil, archétype du nouvel esprit du capitalisme

REQUIEM POUR LE CLOWN (ET L’ARTISTE)

« Le cirque prospérait, mais pas l’accessoiriste… » – Charlie Chaplin, The Circus, 1928

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Où est le Cirque ? Le Cirque est partout. Sous les chapiteaux des grandes capitales du monde, à la télé, dans les rues du tiers-monde, dans un certain discours sur la solidarité sociale, dans les plans d’affaires des banquiers, dans les laboratoires du management où il est perçu comme l’archétype de notre époque. Le monde est complètement cirque, pour paraphraser le slogan du dernier-né des festivals de Montréal, haut lieu du festif d’avant-garde et de l’hédonisme tape-à-l’œil, en ce qu’il dissimule des existences de plus en plus mortifères.

Selon une logique de recyclage culturel insatiable soutenue par la consommation et la demande hystérique des médias pour le spectaculaire, tout peut être mis en cirque : les Beatles, Elvis Presley, Michael Jackson, l’écologie, l’évolution de l’espèce humaine, la déshumanisation des villes, l’euphorie urbaine, l’érotisme même. Des compagnies plus lyriques, comme le Teatro Sunil, confinées à des niches plus culturelles, sont tentées par Tchékhov, par exemple. Les trapèzes et les trampolines devraient donner du ressort à un auteur réputé monotone, dont le renom procure en retour une plus value-littéraire à un spectacle de pur divertissement pour toute la famille – dit-on. À quand les grandes syncopes de l’Histoire, les révolutions française, russe, les holocaustes, les hagiographies, les grandes catastrophes naturelles ? Lisbonne 1755 – Haïti 2010 !

Le Cirque du Soleil, roi des cirques, c’est le kitch de l’époque. Il fonctionne à la fascination devant le pouvoir technologique des machines et des corps surentrainés, pouvoir dopé par d’énormes ressources financières, motivé surtout par la conquête de marchés d’une telle ampleur qu’elle confine à des guerres financières et idéologiques. Le CDS joue donc sur plusieurs scènes, et la plus ouvertement stratégique, celle du marché et de la haute finance, transforme le spectateur en acteur malgré lui, supprimant ainsi la distance salvatrice, la liberté de quitter la « salle ». Ce qui rend le concept de société du spectacle sinon obsolète du moins impuissant à rendre compte de la démesure de l’industrie du divertissement et de son rôle au regard des nouveaux enjeux sociaux. Un exemple : la télévision de la SRC annonce que le CDS va non seulement produire son dernier spectacle à Moscou, mais qu’il va s’y installer pendant quelques années. Le reporter, Jean-François Bélanger, souligne la portée d’un tel accomplissement : « Le CDS s’offre [sic] le théâtre du Kremlin, à deux pas de la Place Rouge, en plein cœur du pouvoir russe, tout un symbole 1 http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2011/02/21/004-zarkana-cirque-soleil-russie-kremlin.shtml ]][/url]. » Daniel Lamarre, le p.-d.g du CDS, n’a pas de difficulté à trouver les mots justes : « C’est le coup qu’on voulait marquer… Une grande nouvelle… une mégaproduction qu’on peut annoncer partout dans le monde… La Russie est un marché qui est très important pour nous.» Le CDS, par delà les spectacles, sert ni plus ni moins de « test », comme le dit le reporter, de baromètre industriel, mais aussi de fer de lance dans une économie de marché hautement significative : saura-t-il prospérer dans cet environnement économique « turbulent », selon le mot de M. Lamarre. Si le CDS réussit comme prévu, n’est-ce pas la victoire non seulement d’une entreprise mais d’un modèle d’affaires juteux, d’une vision du développement, d’une esthétique, bref, d’une « doctrine » qui étend un peu plus son hégémonie, parvenant à s’implanter en cette région du monde que l’histoire, somme toute récente, désignait comme l’ennemi numéro un du capitalisme ? Que de belles affaires en perspectives ! Et quand les affaires vont, tout va. Le libéralisme, même globalisé, n’est-ce pas encore l’empire du moindre mal 2 ?

Le CDS s’est prémuni contre ce doute ; son esthétique s’est adjoint un marketing éthique redoutable, qui dédouane moralement l’entreprise grâce à des programmes sociaux comme le Cirque du monde, légitimant la multinationale de se présenter comme cirque social et cirque citoyen. Le Cirque participe donc non seulement de l’empire du moindre mal, mais aussi de l’empire du Bien. On peut cependant s’interroger sur la portée réelle des programmes philanthropiques d’une des plus grandes entreprises de divertissement au monde : en proposant son monolithe culturel hollywoodien et ses multiples plateformes de diffusion, qui polluent aux plans environnemental et culturel, le Cirque procède exactement comme le tourisme de masse, en écrasant tout sur son passage. Exit les singularités culturelles.

Exit l’artiste et le clown aussi qui, jumelés dans la création authentique, offrent une vision critique, ironique et dérisoire des puissances culturelles et financières, on pourrait dire du cirque lui-même. Jean Starobinski, historien d’art et des idées, a montré dans Portrait de l’artiste en saltimbanque (Gallimard, 2004) ce fil d’Ariane reliant l’artiste et le clown du XVIIIe jusqu’au début du XXe surtout. Aux yeux de l’artiste, qu’il soit peintre, poète ou romancier, le clown apparaît comme un « travesti dérisoire » qui « répond par l’ironie à l’avilissement d’un siècle en proie aux puissances de l’argent, où l’on n’entend plus que le râteau de la roulette et des banques » (l’auteur souligne, p. 24). Le clown qui naît dans les villes d’Angleterre au XVIIIe siècle a plusieurs filiations artistiques, mais son étymologie paysanne est hautement significative. « Clown » vient de clod, motte, comme dans motte de terre. Et le clown est bien ce rustaud, étranger à la bienséance urbaine et culturelle. C’est sans doute pourquoi il a inspiré des artistes critiques de leur culture, de Théophile Gauthier à Henri Michaux en passant par Baudelaire, Rouault, Picasso et combien d’autres : comme le paysan déraciné, dans un monde dévoré par l’industrialisation triomphante, l’idéologie positiviste du progrès au service d’une classe sociale, il est la figure même de l’altérité.

À la fin de son étude, Starobinski écrit que dans cet univers pratique, où toute chose se voit assigner une fonction, une valeur d’usage et une valeur d’échange, le clown « ouvre une brèche par où pourra courir un vent d’inquiétude et de vie. Le non-sens dont le clown est porteur prend alors, en un second temps, valeur de mise en question; c’est un défi porté au sérieux de nos certitudes. Cette bouffée de gratuité oblige à reconsidérer tout ce qui passait pour nécessaire. » (p. 112) Starobinski conclut par une sorte de mise en garde, perspicace et inquiétante. Le clown, dit-il, sa fonction de « victime expiatoire ou de démon moqueur […] présuppose une société organiquement structurée à laquelle il est possible d’apporter la contradiction, sous une forme et un déguisement ritualisés. Quand ce lien social se défait, la présence du clown s’atténue sur la scène ou sur la toile. Mais le pitre descend dans la rue, affairé, désœuvré, barbouillé-barbouilleur, muet dans sa clameur, violent pour rien (l’auteur souligne). Il n’y a plus de limites, donc plus de franchissement. Subsiste la dérision. » (p. 114) Cette société organique dans laquelle est apparue le clown n’existant plus, sinon qu’à travers des traces, comment la dérision peut-elle s’exprimer si le clown – ou l’artiste critique – tend à disparaître avec elle 3 . Serait-on effectivement confronté dans l’espace public à ce pitre affairé, « violent pour rien » ? Qui se cache derrière ce masque ? Casseur et tueur hilare comme ces punks mis en scène par Stanley Kubrick dans A Clockwork Orange, ou manageur de haute voltige obsédé par le développement, la transformation du monde et la destruction de toute entrave à son appétit de posséder le monde ? Il ne fait pas de doute que le nouvel esprit du capitalisme tente de neutraliser le « démon moqueur » en récupérant quelques-uns de ses traits.

Dans l’idéologie marchande et technicienne esthétisée par le CDS, j’y viens un peu plus loin, il n’y a pas de place pour la dérision à l’égard de l’avilissement. Pour s’exprimer, celle-ci doit venir de l’extérieur, du refus radical de cette logique qu’on prétend naturelle, dans l’ordre des choses, comme étant la règle du jeu, le monde comme il va et doit aller. Voici venu le temps d’un hybride redoutable : l’entrepreneur-artiste. Et l’on voudrait nous faire croire que nous en sommes tous, question de nous faire avaler la faute suprême, de nous la faire intérioriser, faute non réglable sur le plan symbolique : l’endettement, et, pour le combattre, le travail sans fin, de moins en moins rémunéré, de plus en plus exigeant, aléatoire, aliéné et absurde. Bienvenue en enfer.

L’esthétique au service de l’économisme et vice versa

Le Cirque du Soleil est un fleuron de l’industrie québécoise, comme en fait preuve l’investissement de 25 M$ annoncé par la Caisse de dépôt et placement du Québec pour lui permettre de développer de nouveaux produits, deux nouveaux spectacles, dit le communiqué. L’investissement de l’institution financière québécoise, en partenariat avec HSBC Canada 4 , s’inscrit dans une stratégie de promotion des PME québécoises à l’étranger. Le CDS avait annoncé en 1992 qu’il n’aurait plus recours à du financement extérieur, mais il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée n’est-ce pas ? Et rien n’est moins fou que le Cirque du Soleil, le saviez-vous ? Même si son directeur, Guy Laliberté, va coloniser l’espace affublé d’un nez de clown industriel (voir La contamination des mots Voir mon article sur cette mission, « La contamination des mots », dans À Bâbord!, décembre 2009 / Janvier 2010 et dans Hors champ. ]], et que Desjardins le présente comme un révolutionnaire dans une de ses publicités grotesques.

Tant qu’à être dans la pitrerie, soyons sérieux. Rappelons que la Caisse d’économie sociale, qui regroupe les caisses de nombreux syndicats – et qu’il ne faut surtout pas confondre avec la Caisse de dépôt et placement du Québec -, aime bien se vanter, question de faire valoir sa clairvoyance, qu’elle a été la première institution financière à soutenir le projet de Guy Laliberté, et qu’elle maintient ses relations d’affaires avec la multinationale 5 &#8230]http://www.caissesolidaire.coop/agora/avenue_fureteurs/bulletins/2009/bulletin_0060.html ]]&#8230[/url]; Faut-il s’en réjouir ? Comme alternative à l’économisme et à toutes les aberrations individuelles et sociales auxquelles cette idéologie donne lieu, il est urgent d’en douter.

Question clairvoyance, il y a de quoi mourir de rire. Le CDS est aux antipodes d’une solidarité sociale conséquente : non seulement les employés de la multinationale ne sont pas syndiqués, mais elle applique rigoureusement la règle du travail à forfait aménagé autour d’un chef charismatique milliardaire et de quelques codirecteurs, avec tout l’arbitraire que cela comporte. Crée ou meurt. Le CDS profite d’une culture du travail fondée sur l’interchangeabilité des individus que les syndicats, mais j’ai dû mal comprendre, devraient combattre, pas financer. Quel formidable lapsus de la part du syndicalisme québécois ! Si cette réalité échappe à nos syndicats d’affaires, elle n’échappe pas aux grands financiers ni aux chercheurs en management, ces nouveaux prêtres du nouvel esprit du capitalisme.

Un archétype du monde connexionniste

Le Cirque du Soleil est un modèle, non seulement pour l’entreprise québécoise, mais pour le management. C’est ce que montre avec brio l’ouvrage de management d’Isabelle Mahy, Les coulisses de l’innovation. Création et innovation au Cirque du Soleil (PUL, 2008). Elle y affirme que non seulement le CDS est un modèle, mais qu’il est « l’archétype de son époque » (p. 34). Je soutiendrai plutôt ici, nuance, qu’il est l’archétype du « monde connexionniste » décrit par Luc Boltanski et Èva Chiapello dans Le Nouvel esprit du capitalisme (Gallimard, 1999).

Les sociologues montrent notamment que le capitalisme s’est renouvelé en récupérant ce qu’ils appellent à la suite de P. Bourdieu « la critique artiste » : refus du modèle traditionnel rigide de l’entreprise, de son paternalisme, besoin d’authenticité, de flexibilité, de créativité, d’autonomie, etc. Après 1968, ces désirs rencontrèrent les nouvelles technologies qui favorisent le travail à distance, l’atomisation du travail, le travail à forfait, les sous-traitants, la privatisation du public, la désyndicalisation, etc.

Pour décrire ce nouvel esprit, les auteurs se sont penchés sur les ouvrages de management qui étalent allègrement le nouveau crédo. On a de la chance, en voici un tout droit sorti de l’UQAM, qui porte sur le CDS. Et que dit en substance le livre de Mme Mahy ? Que la figure romantique de l’artiste dissident, critique de sa société, antibourgeois, est en train de s’estomper (p. 2). Qu’avec le CDS on assiste à un « recadrage du profil de l’artiste », à une fusion de la figure de l’artiste voire de l’intellectuel avec celle de l’entrepreneur ou du financier, figures que les siècles précédents avaient tenues éloignées, du moins symboliquement. Le nouvel hybride fleurirait au sein de l’entreprise culturelle, la « Art Firm », qui se perçoit comme une « entreprise philosophique », produisant un discours réflexif sur son action, une capacité d’osciller entre « rationalité et sensibilité » (p. 26 et 27) 6 .

Contrairement à l’idée reçue, la dissidence est loin d’être la règle dans les milieux culturels, même si on y prend souvent la posture. Ce qui devrait nous alerter ici, c’est la récupération de la « critique artiste » par le management, qui semble renforcer la servilité volontaire. L’instrumentalisation de l’esthétique et de l’éthique joue un rôle puissant dans ce management « festif » et « ludique » : « Ce qui caractérise le mieux la postmodernité, écrit Isabelle Mahy, est le lien s’établissant entre l’éthique et l’esthétique, c’est-à-dire le nouveau lien social fondé sur l’émotion partagée, ou le sentiment collectif. Stricto sensu, c’est bien cela qu’est le festif en sens le plus profond. Ainsi, plutôt que d’y voir une quelconque frivolité à l’usage de quelques-uns, avant-garde, bohème artistique, peut-être serions-nous mieux inspirés de repérer dans ce ludisme un des facteurs essentiels de la vie sociale qui est en train de (re)naître dans les sociétés contemporaines. » (Mahy, p. 34). Et d’évoquer l’hédonisme, la quête de sensation… L’auteure consacre tout son ouvrage à démontrer, inspirée par le storytelling récupéré par le marketing 7 , que le CDS est entièrement fondé sur ces principes.

Il apparaît assez clairement que le CDS se situe aux antipodes des vertus sociales dont il se drape, qu’il est l’archétype même des règles chimériques, cyniques et mortifères qui voudraient s’imposer à nos vies. Ces règles s’apparentent dirais-je à ce que Jean Baudrillard a appelé « l’impératif de performance maximale » (Le Pacte de lucidité ou l’intelligence du Mal, Galilée, 2004, p. 126). Qu’il soit bien clair que c’est le cirque comme métaphore ou archétype de la société que je braque ici, pas ses artisans : nous sommes tous ni plus ni moins des bêtes de cirque – même si le CDS a exclu les animaux– faisant son petit numéro, soumis, plus ou moins volontairement, à cet impératif de performance, qui s’exprime par diverses injonctions : flexibilité, adaptabilité, employabilité, autonomie, créativité, voire solidarité. Dans la logique marchande, ces injonctions dissimulent une chose : chacun est sommé de se plier à la logique du marché et de faire comme s’il était libre, créatif, positif, rigolo, cool : travaillez plus, dépensez- plus, épargnez plus, exigez moins, détendez-vous.

Sortir du cercle (cirque) vicieux

Cet impératif de performance maximale rappelle le directeur du cirque dans le film génial de Chaplin, The Circus, qui ordonne à ses clowns, qu’il méprise souverainement : « Soyez drôles ! » Réalisé juste avant le krach boursier de 1929, Chaplin règle son compte au cirque, à son infâme mécanique au service d’un directeur tyrannique – préfiguration de son Dictateur ? – et d’un public hystérique en mal de sensations fortes. Ce directeur pousse même l’odieux jusqu’à obliger sa propre fille à jeûner parce qu’elle a raté un numéro équestre… Chaplin, dans la meilleure tradition du clown anglais, critique le cirque en montrant d’abord l’atmosphère avilissante qui y règne : l’exploitation pure et simple de ses artisans, et l’absurdité du divertissement dans ce contexte. C’est la survenue fortuite de Charlot dans ce cirque, engagé in extremis comme accessoiriste pour sauver le spectacle, les ouvriers ayant démissionné faute d’être payés, qui ranime le cirque. À travers son innocence et ses maladresses, c’est la vraie vie qui fait son entrée au cirque et, avec elle, le véritable humour, l’amour et la révolte contre le directeur.
L’accessoiriste sauve donc le cirque, mais il le quitte pour suivre sa propre route. La dernière scène du film est à prendre au pied de la lettre, comme un rêve : le chapiteau étant démonté, ne reste plus que sa trace au sol, un grand cercle. Charlot y est assis sur une caisse, le temps de regarder s’éloigner la caravane, un peu mélancolique de la voir emporter la belle équestre dont il s’est épris, mais qu’il a surtout sauvée du père en lui trouvant un beau et bon mari, le funambule. Puis il se ressaisit et sort du cercle – vicieux. Tout le sens du film est dans la sortie du cercle – du cirque. Lui tourner le dos, prendre une tout autre route.

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Version revue et augmentée pour Hors champ d’un article paru dans À Bâbord! revue sociale et politique, « L’Utopie a-t-elle encore un avenir ? », Montréal, no 38, février-mars 2011.

Notes

  1. Voir le reportage du 21 février 2011 de Jean-François Bélanger : « Le Cirque du Soleil s’invite en Russie » [url=http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2011/02/21/004-zarkana-cirque-soleil-russie-kremlin.shtml]
  2. Allusion à l’ouvrage de Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal, essai sur la civilisation libérale, Climat, 2007. Sur l’histoire du capitalisme et de sa globalisation récente, l’ouvrage de Michel Freitag est indispensable, L’Impasse de la globalisation. Une histoire sociologique et philosophique du capitalisme (Montréal, les éditions Écosociété, 2008). L’auteur insiste sur la nouveauté que représente l’« idéologie économique », sur la différence fondamentale entre le libéralisme classique et le néolibéralisme contemporain, ce qu’il appelle la globalisation. Ce processus, par sa logique même de généralisation et radicalisation de l’esprit du capitalisme, laisser faire et s’enrichir, serait dirigé contre l’ensemble des institutions que les sociétés modernes avaient déjà reconstruites au XXe siècle en réaction à l’industrialisation et au capitalisme sauvage. Selon Freitag, ce processus vise la suppression de tout ce qui limite son expansion à commencer par l’État et ce que celui-ci était sensé préserver pour l’intérêt du plus grand nombre : l’éducation, l’art, la culture, les traditions, la santé, l’ensemble des médiations entre le citoyen et la collectivité. Plus insidieusement, c’est la sphère symbolique qui est attaquée, atteignant l’individu dans sa pensée, ses rêves et désirs. « Ce qui est radicalement nouveau, écrit Freitag, c’est d’une part l’ampleur et la force effective qu’a prise cette réalisation de l’idéologie économique au cours des 30 dernières années, et les menaces effectivement globales qu’elle fait désormais peser sur l’ensemble de l’humanité et même sur le monde, en termes bio-écologiques (p. 23).
  3. M. Freitag parle d’une véritable « mutation des sociétés modernes » (op. cit. p. 24).
  4. HSBC, soit dit en passant, est soupçonnée d’abriter en Suisse de l’argent provenant d’évasions fiscales. Le ministère du Revenu du Québec a annoncé l’automne dernier qu’il enquêtait sur des Québécois qui y auraient des comptes.
  5. Voir le site Web de la Caisse d’économie sociale, [url=http://www.caissesolidaire.coop/agora/avenue_fureteurs/bulletins/2009/bulletin_0060.html
  6. Toute cette question du « recadrage du profil de l’artiste » demanderait d’être examinée dans la perspective de la crise de la culture comme l’a fait Hannah Arendt dans un article célèbre (La crise de la culture, Folio essais, 1972). Elle y soulève la question de l’instrumentalisation de la culture ou de son caractère utilitaire dans l’histoire du concept de culture. Voir mon article « Le voyou, le barbare et le philistin », à paraître dans À Bâbord !, no 40, été 2011.
  7. « Léon Tolstoï, consultant en entreprise », Manière de voir, La fabrique du conformisme, Paris, no 96, décembre 2007 – janvier 2008, p. 80-82.