Approches de performance ou

Quelques mots sur ma pratique artistique

Symposium créer/montrer/conserver

Ma pratique artistique se partage en trois champs : des vidéos, des installations et des performances. Tous tournent autour de la relation entre l’image et le son et chacun est conçu en fonction de l’espace spécifique qu’ils occupent : l’espace sombre de la salle de cinéma qui s’articule entre l’œil attentif du spectateur et l’écran bidimensionnel qui vous plonge dans un espace tridimensionnel imaginaire ; l’espace d’exposition en trois dimension qui ne permet pas la quatrième dimension du temps et permets en revanche le visiteur de flâner de ci de là et autour.

La performance en direct ajoute une autre dimension en faisant en sorte que tous les participants soient dans le même lieu en même temps à créer l’œuvre ici et maintenant. Et ceci inclut les spectateurs.

Je vais montrer un court extrait d’une performance récente que j’ai réalisée ici à Montréal, à la Casa del Popolo, avec Sophie Trudeau (et je m’excuse pour la mauvaise qualité de la vidéo) pour vous donner une idée du travail que je fais, avant de parler plus directement de ma façon d’aborder la performance.

Toutes mes performances sont des improvisations. L’ordinateur est mon instrument. Mes vidéos sont des notes. Tout comme un musicien, j’essaie de pouvoir jouer le plus de notes possibles. Alors je mets constamment à jour ma bibliothèque d’images pour inclure certaines images spécifiques pour certaines occasions ou simplement pour élargir mon vocabulaire. Je n’ai pas de plan ou de script quand je rentre en scène. J’essaie de me vider le plus possible et de me placer dans un état de concentration extrême et d’ouverture aiguë. La conversation entre tous les artistes (musiciens, créateurs de vidéos ou sur pellicule) commence à se développer. Vous tentez de répondre à une suggestion qui vous a été présentée ou vous la rejetez. Vous lancez une autre ligne expressive et tentez d’absorber toutes les images, les sons et les idées que les autres performeurs convoquent. Mon logiciel (VDMX) me permet de manipuler tous les aspects de mon image de façon immédiate. Si je le veux, je peux utiliser un aspect musical pour modifier un aspect visuel (par exemple une fréquence de basse qui déclenche une image floue). Il y a une infinité de possibilités disponibles et un choix spécifique, qui exprime exactement ce que je désire obtenir à ce moment précis, est au cœur même de la performance. Et comme on le voit dans l’extrait, la réduction à l’essentiel, que ce soit à l’image ou au son et, par extension de l’émotion, est la chose la plus difficile à trouver et réaliser.

Tout participant est important et le résultat diffère considérablement selon les collaborateurs. Je vais vous montrer un court extrait d’une collaboration avec le musicien John Butcher.

John Butcher est un saxophoniste anglais qui utilise toutes les parties de son instrument comme source sonore. Son souffle est la force motrice et je l’ai utilisé pour déclencher plusieurs effets visuels. Alors que la connexion de l’image et du son dans l’extrait que nous avons vu avec Sophie Trudeau et moi ne s’effectuait pas au niveau technique, mais davantage à une échelle d’interaction humaine.

J’ai aussi collaboré avec d’autres vidéastes ou cinéastes en performance parce que ça permet de générer un autre type de défi. Nous avons tous les deux le même langage, ce qui n’est pas le cas avec un musicien. Un de mes récents projets est le fruit d’une collaboration vec Karl Lemieux (que vous devez tous connaître, et si vous ne le connaissez pas, c’est un remarquable performeur et manipulateur de pellicule) et Philip Jeck (un artisan de la table-tournante, un « turntablist » britannique, qui était l’un des premier à utiliser le tourne-disque comme un instrument). C’est un « band » composé de deux personnes qui font des images et un musicien. Nous sommes très intéressés par l’interaction entre l’analogique et le numérique. Karl et moi partageons notre matériel et chacun de nous le traitent avec notre médium spécifique. Alors souvent on se retrouve avec plusieurs couches de traitement analogique ou numérique que l’on fait subir à un même matériau visuel. Je vous montre deux extraits de notre spectacle à Montréal. Le premier montre ce qui se produit quand on fait la même chose seulement dans un médium différent.

Le numérique était au centre et l’argentique était à gauche et à droite, ce qui était clairement visible par la qualité différente de la lumière qui la rendait plus bleue ou plus brune.

Le deuxième extrait montre ce qui se produit lorsqu’on prend le même matériel et qu’on y applique un traitement spécifique à notre médium.

Pour moi, c’est un bon exemple qui montre bien comment l’improvisation audiovisuelle ne repose pas seulement sur une conversation entre différentes personnes et formes d’expression artistiques. C’est aussi la construction d’un espace audiovisuel qui vit et respire. Cette composante spatiale me permet de marcher à l’intérieur du son et de faire l’expérience des images sous un autre éclairage. Chaque personne dans la pièce peut naviguer à travers cette sculpture invisible mais bien tangible. Il n’est pas possible de séparer le son des images. Ils sont fusionnés.

Ceci résume assez ma façon d’approcher en ce moment la performance. Merci.

Traduit de l’anglais par André Habib.