Les carnets d’Ozu
1.
Dimanche 2 mars 1952.
Belle journée, elle annonce le printemps.
J’ai quitté mon kimono d’hiver pour un autre plus léger.
Ai vu pour la première fois cette année un papillon aux ailes cendrées.
Takaminé Miéko qui revenait de la crèche m’a rapporté du whisky.
Suis sorti voir un match de base-ball féminin.
Petite promenade au bord de la mer.
De retour, j’ai continué la séquence 2.
À chaque page des Carnets d’Ozu 1 , vous rencontrez cette légèreté de ton, cette candeur dans l’observation des choses ordinaires. Je dirais même qu’il est possible d’y apercevoir, avec de la chance, ce petit scintillement de la vie de tous les jours, vous savez, celui qui donne à la vie moderne un abord supportable, peut-être même, une solidité, une solidité capricieuse certes, mais combien indispensable. Car oui, je sais pour ma part qu’un match de balle-molle, dont on surprendrait le déroulement magique au hasard d’une promenade, peut flirter avec le merveilleux. Un voyage sans carte et sans étoile, quelque chose d’inattendu, parfois, se retrouve chargé de l’éclatante mission du sens. C’est aussi dire qu’Ozu nous parlera de tout et de rien. Et selon votre humeur du moment, vous serez peut-être ainsi magiquement charmé d’être informé de la date à laquelle Ozu pose sa moustiquaire, du nombre de grammes de somnifère dont il a besoin pour s’endormir, de l’issue des matchs de Sumo qu’il regarde religieusement, en personne ou à la télévision, de ce qu’il a bu pour célébrer l’achat d’une toile de Higashiyama Kai-i, mais encore, comme dans n’importe lequel de ses films, vous pourrez peut-être découvrir, au détour d’un détail d’apparence anodine, une émotion. Pensez à la forme d’un nuage, l’œuf d’un moineau, la corde à linge dans le vent, une chanson oubliée dans l’ivresse, une pomme épluchée l’après-midi.
2.
Mercredi 18 avril 1956
Ai dormi toute la journée à la maison. Fatigue à cause de l’alcool.
À l’exception des années de guerre — des passages exceptionnellement riches et troublants — vous ne trouverez rien dans les Carnets d’Ozu qui s’éclaire à d’autres sources que la petite lumière de l’ordinaire. On y rencontre donc la douceur d’Ozu, mais aussi, à travers elle, la rigueur d’Ozu, laquelle tient de son discret sens de la poésie pour dire le monde, celui des petits gestes. Vous trouverez bien entendu un humour laconique et un goût de l’autodérision qui jette par endroit une ombre claire sur ce qui est manifestement un problème d’alcool, du moins, on pourrait dire, un amour excessif de l’alcool.
En guise de résolution pour l’année 1961, Ozu écrit :
Ni trop boire ! Ni trop travailler ! Ton temps est compté, n’oublie pas ! Boire équivaut à un lent suicide !
Si les Carnets sont ponctués par ce type de résolutions — elles surviennent toujours en début d’année —, à vrai dire, c’est surtout par des gueules de bois qu’ils sont rythmés. Ozu y décrit, et assez fréquemment, des journées entières à récupérer de la beuverie de la veille. À un moment où il s’abstient de boire, il se félicitera de citer ce haïku de Takai Kito :
Matin d’automne
Sans saké dans l’estomac
Fadeur des choses !
De ce qui serait facile d’assimiler au vice, il est tout de même possible de dégager une certaine éthique de l’alcool qui aurait le secret de se fiancer à celle, plus rigoureuse, du travail. Voyez par exemple ce haïku de Ozu :
Le jour, montage
La nuit, montage
Cinq bouteilles vides
[Mardi 8 mai 1933]
Koga Noda, fidèle ami et coscénariste, que cite Donald Richie dans son livre sur le maître, dit à ce propos :
L’écriture d’un scénario nous prenait de trois à quatre mois. Voyage à Tokyo (1953) nous a pris ce temps-là. Nous buvions beaucoup. Le scénario achevé, nous avions parfois plus d’une centaine de grandes bouteilles de saké vides. Ozu avait l’habitude de numéroter toutes les bouteilles. Il les comptait de temps à autre et disait : « Nous en sommes déjà à 80 bouteilles et n’avons pas terminé le scénario 2 ».
3.
Samedi 3 juin 1961
Traiter de l’actualité, du social de façon explicative dans un film n’en fera jamais une œuvre dramatique. De beaux discours théoriques ne suffisent pas à solder les comptes. Tiens-le-toi pour dit !
À la recherche du potin amoureux, vous croquerez dans la poussière. Il y a bien quelques petites allusions à des romances possibles, des poèmes sont retranscrits, mais rien de pétillant, je vous l’assure. Mais pourquoi tenir un journal pendant plus de 30 ans si c’est pour n’y mettre rien, même pas une petite once de croustillant ? D’ailleurs, ceux qui y chercheront le sésame vers le mystère de son œuvre seront également déçus. Comme je le disais au début, il y a dans les Carnets quelque chose à saisir d’une poésie de la petite lumière, je veux dire, qui dissimule sa profondeur dans la fresque des humeurs tout à fait ordinaires.
Au fil des ans, plusieurs cinéastes ont tenté d’investir cette poésie. Wenders produit un film d’un classicisme un peu mièvre (Paris, Texas, 1984). Hou Hsiao-Hsien (Café Lumière, 2003) réalise un hommage à Ozu dans lequel toute trace d’humour est exclue. Chez lui, toujours l’impression un peu désagréable que l’élément impur n’est pas admissible. Il serait impensable, par exemple, qu’un personnage lâche un pet sonore et foireux (à la Claire Denis qui, parce qu’elle va là, me semble comprendre autrement Ozu et d’une manière qui me convient davantage). On me dit que le pet, façon Claire Denis, est en vérité sec et pincé. En attendant un verdict final sur la nature de ce pet, contentez-vous de savoir que pet il y a. Café Lumière est quand même une réussite et est tout aussi honnête que 35 rhums (Claire Denis, 2008). Le premier plan du film, un train à la brunante, se clôt par un fondu au noir. Par le fondu et l’image du train, il nous le dit bien, du moins, si on veut l’entendre : je n’emprunte à Ozu que les lieux et les thèmes. Le fondu au noir n’est pas au service de l’ellipse, il sert plutôt à dire que Hou Hsiao-Hsien est en fait en train de réfléchir Ozu, mais sans le singer, car, comme vous le savez, le fondu au noir disparaitra de la grammaire d’Ozu assez rapidement. Mais Ozu crée un monde. Il l’invente. Le monde, Hou Hsiao-Hsien le capte, avec ce que le vernis réaliste est susceptible de convier, d’inviter. Le scénario est en ce sens bien mince. Il faut meubler et de préférence, à partir de ce qu’on sait du cinéma de Ozu. Nous demande-t-il d’y voir une réactualisation des thèmes chers à Ozu ? Et ensuite, de constater avec émerveillement la nouvelle impuissance du patriarcat devant l’indépendance des femmes ? Je soupçonne que l’idée du film ne se résume qu’à cela. Les hommes de son film sont de véritables quenouilles. Mais c’est un film, de me dire René, qui veut surtout écrire avec la lumière et non avec les personnages. Et c’est par là qu’il perd complètement Ozu, non ? Mais par là aussi qu’il est absolument délicieux à voir. Oui, ok.
4.
Lundi 5 juillet 1937
À la maison. Bain. Lecture de Pays de neige de Kawabata Yasunari. J’ai été ému par ce livre.
Lorsque Ozu décrit le rêve, on constate alors que la qualité de son écriture s’y prête bien. Le souvenir d’un rêve étant toujours léger et évanescent, il faudrait s’armer de méfiance devant celui qui l’enjolive en le décrivant avec l’ambition d’épater. Ce rêve d’Ozu, je regrette de ne pouvoir le citer pour vous. Je constate avec gêne n’avoir pas noté la date ou la page. J’ai cherché le rêve pendant au moins une heure sans le trouver. Je précise que les Carnets forment une brique de plus de 800 pages. Malheureusement, les rêves n’y sont pas indexés. Le rêve va un peu comme suit. Ozu rêve qu’il boit de la bière, il est dans un centre commercial où il contemple une horloge immense. Il prend trois ou quatre gorgées de sa bière et aperçoit une femme qui porte une robe verte. Elle décroise les jambes. Ozu emploie un adjectif pour décrire les jambes de la femme. Mais je ne me souviens plus lequel. Les jambes sont sûrement élégantes, immaculées, belles. Fin du rêve. Ozu se réveille, il constate qu’il pleut. Il est dans une chambre d’hôtel et se sent romantique. Et j’imagine qu’Ozu a terminé sa bière en contemplant cette image assez vive d’une femme décroisant les jambes.
5.
Dimanche 10 février 1935
Pluie ; toute la journée à la maison.
En mangeant mon sandwich au crabe, j’ai ruminé sur la pauvreté de mon scénario.
Mais, de me dire René, il doit bien parler de cinéma de temps en temps ? Bien sûr et à cet égard, comment ne pas vous partager cette flèche jalouse et amusante qu’il décoche vers Kurosawa, à l’époque étoile filante du cinéma japonais, ce rival qui ose s’attaquer à Dostoïevski tout en sollicitant les talents de sa muse, Setsuko Hara.
24 janvier 1951
J’ai lu aujourd’hui le scénario de L’idiot que Hisa-ita a écrit pour Kurosawa : c’est incompréhensible ! Que le personnage soit idiot, pourquoi pas ; mais que le scénariste et le metteur en scène le soient !
Comme en témoigne cette entrée pour le moins saugrenue, quand il considère le thème du cinéma, c’est avec légèreté, il le fait en un coup de vent, sans s’attarder. De toute évidence, le cinéma a une très grande place dans les Carnets. Il y a un contexte, les tournages, les réunions, quelques éléments tangibles, les mariages, les décès et des personnages qui vont et viennent. Tout ça raconte, quelque part, le rapport d’Ozu avec le cinéma. Mais du paternalisme outrancier de ses films, du sentiment de filiation et de tradition qui s’effrite au rythme des mariages, dans les Carnets, rien de tout cela, rien du fond de sa pensée en ce qui concerne la société japonaise — vous pourrez cependant apprendre qu’Ozu, aux élections, s’abstient de voter —, rien non plus, ou presque, sur le secret de sa grammaire, l’étrangeté émouvante de ce système qui cherche peut-être à effacer l’intrigue en s’effaçant lui-même. On en reviendra à cette question peut-être impertinente : qu’est-ce qu’Ozu a voulu mettre dans son œuvre ? Consciemment ou inconsciemment ? Quel y serait ce qu’il ignore lui-même y avoir mis, la part de Dieu, dirons-nous ?
6.
Vendredi 13 septembre 1935
Le chef Chizuru est en ce monde un chef cuisinier qui se doit d’être encensé que pour ses dons exceptionnels. En dehors de cela, malheureusement, il ne sait que se plaindre en buvant son saké. C’est intolérable. N’est-ce pas en riant et en blaguant qu’on se doit de boire ? Ses affreux soupirs, ne peut-il donc pas les pousser en fumant ou je ne sais quoi, cet abruti !
De la teneur de ce type de commérage, là, on reconnait ce qui peut faire l’extraordinaire intérêt de nombreuses scènes d’Ozu. L’art du commérage lui permet de dire autrement les enjeux et les intrigues qu’il s’évertue, tel un peintre un brin obsédé, a constamment revisiter. Il lui permet d’atterrir dans une scène sans faire le bruit caractéristique des mouvements narratifs. Sans jamais nous en dire trop, il dit, sans jamais perdre le souffle, sans le chercher non plus.
7.
Mardi 21 mars 1938
La pluie s’est arrêtée à l’aube. On s’est dirigés alors vers Wuguling. Progression difficile dans la boue. Une fois la rivière traversée, Wuguling est tombée à 10 h sous les coups de la LTK. De là, on est alors partis à gauche vers le mont Mantoushan. Le mont Xiaosongshan franchi, on a traversé, de l’eau jusqu’au nombril, une petite rivière. L’offensive, menée de tous côtés, a été des plus rapides. Le sable, qui avait glissé dans ma nuque quand j’étais couché dans la tranchée après la traversée de la rivière, me collait aux épaules avec la sueur, m’arrachait la peau sous le poids du fusil et du lourd équipement. Mon fundoshi trempé m’entravait, et il me fallait garder ces chaussures neuves remplies d’eau, que j’avais aux pieds depuis des heures. Au crépuscule, Xiaosongshan résistait encore. On attendait baïonnette au fusil avec le commandement du 113R. La première ligne est passée à l’attaque ; on a entendu alors des cris renvoyés pathétiquement par la montagne, que la nuit n’avait pas encore enveloppée. On est repassé par Xiaosongshan afin d’avancer plus vite. On a franchi la colline en colonnes par quatre, baïonnettes au fusil, en position de combat. Des deux côtés de la montagne, les obus pleuvaient. Sur les chemins de boue, dans l’obscurité, je glissais, prenais du retard ; une terrible envie de dormir m’assaillait. Je dormais debout : si on s’arrêtait, je perdais l’équilibre et je percutais, ce qui me réveillait, le sac de celui qui me précédait. Dormir, dormir, dormir… voilà tout ce qui m’importait. Quand l’aube est arrivée enfin, j’ai vu apparaitre Vénus, l’étoile du matin, boule suspendue dans le ciel.
Il existe un peintre contemporain nommé Meiro Koizumi. Il a élaboré une série de dessins où il s’applique à dénaturer certaines images emblématiques des films d’Ozu, afin, à mon sens, d’en dénaturer le propos. Ce peintre interprète l’œuvre d’Ozu comme celle d’un artiste de la ténèbre qui aurait refoulé le traumatisme de la guerre. Ozu, selon Meiro Koizumi, s’intéresserait, en fait, à la surface des choses pour mieux étouffer la nature mauvaise de ce qui patauge sous celle-ci. Il suffit de visionner attentivement des films comme Une poule dans le vent (1948), Crépuscule de Tokyo (1957), ou même Le goût du saké (1962), ultime film d’Ozu doucement hanté par le spectre de la guerre passée, pour comprendre que ce n’est pas du tout le cas. Si je trouve complaisantes et tendancieuses les œuvres de ce peintre, son interprétation de l’œuvre d’Ozu, qui l’est tout autant, parce qu’elle me semble tirée par les cheveux, a l’avantage de bien illustrer le caractère complexe d’Ozu. Comment cerner son œuvre ? Et est-ce seulement possible de le faire ?
8.
Jeudi 23 août 1956
Appel de Shimizu : Mizoguchi est mort à 1 h 55.
Pour comprendre, il faut peut-être lui opposer d’autres maîtres japonais. Vous me direz que le cinéma japonais est obtus et vivant. Et si je m’entête aussi, je dirais que Kurosawa est triangulaire, à l’occasion, carrément polygonale et aussi, bien sûr, shakespearien. Mais est-ce que ce serait bien sage d’opposer Ozu à Kurosawa et si oui, est-ce que cela ferait de Ozu un cercle, un artiste du circulaire ? Après tout, il décède le jour de sa naissance, à 60 ans. Il y a de toute évidence une nature cyclique à son œuvre. On le voit même dans ses Carnets, Ozu n’est pas du tout gêné par la perspective de se répéter. Vous pourriez dire qu’il contemple, à chaque film, le caractère inévitable de la répétition. Son acteur fétiche, Chishu Ryu, qui a travaillé avec lui dans plus d’une cinquantaine de ses films, à lui seul, incarne un aveu d’impuissance devant l’impermanence des choses. Mais si ce n’est pas Kurosawa, qui pourrait s’opposer à Ozu ? Peut-être devrions-nous regarder chez les contemporains d’Ozu ? Kitano est profond, mais au niveau de la surface seulement, il se donne alors à nous comme un rêve sans épaisseur réelle, ce qui est rare. Iguchi est parmi mes favorites, trop timide et trop légère, surtout. Kawase est documentaire, calculatrice et ennuyante. Sa forme est incertaine, chancelante. Wakamatsu est une patinoire compliquée, la souffrance y est comme un druide. Myazaki est parfait. Takahata aussi. Deux étoiles, trop solaires pour s’opposer à quiconque. Mmmmm. Oshima est isométrique, comme un flocon, je le laisse tomber. Aaoyama est scalène, mais quand même évanescent. Kore-eda est cannois, ce qui lui permet d’être médiocre, d’en être applaudi et de s’en remettre merveilleusement. Imamura est bestial et émouvant comme le barbare moderne. Ichikawa est de son époque, donc, peu fiable. Kawamoto est ailleurs. Kurahara est éparpillé. Kurosawa (l’autre) est hanté, usé et fatigant comme un truc en sinusoïde. Il ressemble à un corridor, c’est vrai. Miike est commercial et rectangulaire, avec tout ce que cela peut comporter d’espièglerie et de fugacité. Sono est octogonale, donc, brutalement sans surprise et incapable d’émouvoir. Miki est creux comme un quartier neuf, et pourtant, gentrifiable. Okamoto tient surement du carré épuisé, c’est-à-dire, selon la définition de Guillevic, du losange. Et si on regarde dans l’entourage d’Ozu, Shimizu, à défaut d’être un cercle parfait, me fait souvent pleurer et connait et explore mieux que quiconque la notion de la douceur. Ma connaissance encore trop limitée de Mizuguchi m’empêche de le cerner avec assurance. Il serait un couteau lumineux. Il s’appuie sur la clarté pour s’enfoncer dans la noirceur. Il coupe. Naruse me déjoue, mais à force d’essayer, un jour, je l’attraperai par le poignet, je le sais. Mais je m’écarte, oui, pour vous dire surtout que si Ozu est circulaire, c’est qu’il nous échappe encore. Les Carnets en sont la preuve.
9.
Samedi 21 janvier 1961
Ces jours-ci, je crains les tremblements de terre, les orages, les incendies et les camions fous, et… devrais-je ajouter à la liste les « manjû » et les femmes !?
Quelques déceptions ? me demande René. J’aurais espéré en apprendre davantage sur Le Radis et la carotte, quel titre ! Ozu en commençait l’écriture du scénario au moment de sa mort. Les Carnets nous en disent très peu. Le scénario devait s’inspirer d’une nouvelle d’Akutagawa Ryünosuké, l’auteur du Rashômon, intitulé La bécassine, et qui raconterait une visite imaginaire de Tourgueniev à Tolstoï dans sa maison de campagne. Quelques années après la mort du maître, le cinéaste Minoru Shibuya en récupérait l’idée, et Chishu Ryu, l’acteur fétiche d’Ozu, se joignait à la bande, conférant à l’esprit de l’hommage les plus touchants honneurs. Le film de Shibuya est intéressant, quoiqu’il prêche par caricature et, en adoptant le format scope — Ozu éprouvait un dédain hilarant pour tout ce qui était tourné en scope —, s’arroge d’un petit quelque chose de baveux, mais qui pourrait également s’interpréter par la voie de l’humilité. Enfin, il va sans dire que Ozu aurait fait mieux ! Mais ça, Shibuya le sait aussi.
10.
Mardi 20 novembre 1956
Promenade à cheval jusqu’à la ferme avec Kitagawa, Yamanouchi et Akasaka.
On a bu du lait.
Les Carnets d’Ozu ont été réédités en novembre 2020 chez Carlotta. Pendant plus de dix ans, j’en ai récolté des bribes sur internet. Je ne me souviens plus lesquels, mais on citait pas mal toujours les mêmes passages. Au moment où j’ai pris connaissance du cinéma d’Ozu, en commençant un peu comme tout le monde par Voyage à Tokyo, l’ancienne édition était déjà épuisée. À ma connaissance, il n’y avait qu’à la bibliothèque de l’UQÀM qu’on la trouvait. Publiés aux éditions Alive, ces Carnets se détaillaient sur les marchés en ligne à un prix de fou, avoisinant les 400 euros, carrément. C’était encore le cas dernièrement. Pendant le printemps érable, souvenez-vous, pour certains, le vol de livres remplissait le devoir de protestation. Je vous avoue avoir caressé l’orgueilleux projet de me rendre à la bibliothèque de l’UQÀM pour les voler, les Carnets. Aujourd’hui, ma patience est récompensée et je me réjouis de les avoir sous la main et de pouvoir vous en offrir ce compte-rendu, que j’espère aussi sincère qu’éparpillé.