Bye Bye Now (2021)

Dossier Louise Bourque

Le père derrière la caméra

Un voyage à travers l’archive familiale des Bourque

Ce texte a été d’abord publié en anglais dans Stephen Broomer et Clint Enns (dir.), Imprints: The Films of Louise Bourque, CFI, Ottawa, 2021, p. 144-149.

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J’ai rencontré Louise Bourque pour la première fois en 2014 lors d’un symposium sur le cinéma expérimental à DAÏMÔN, un centre d’artistes de Gatineau, au Québec. Ce fut une rencontre mémorable d’où est née une amitié qui, encore à ce jour, m’inspire. Nous devions nous retrouver quelque temps après à Main Film, à Montréal, pour une projection d’Auto Portrait/Self Portrait Post Partum(2013), sa dernière œuvre à l’époque. En discutant de ce film avec elle, Louise me parla d’un projet en développement, un film qui consistait en une série d’images en boucle, d’enfants saluant la caméra, issue de ses films de famille.

Son père filmait régulièrement avec sa caméra 8 mm le quotidien des Bourque, dont Louise possède toutes les archives familiales sur pellicule. À ce moment, je ne me doutais pas que j’allais plonger dans ce matériel quatre ans plus tard, et que j’y serais intimement lié. Ma première rencontre avec ces images a eu lieu, lors de notre première séance collaborative de développement à la main chez Main Film. Les images imparfaites et subtilement stroboscopiques, en noir et blanc, étaient celles de deux enfants assis sur un perron et saluant la caméra. Elles ont agi comme un vortex qui m’aspira et me fît découvrir l’univers familial de la famille Bourque. Bien avant le début du processus de montage, j’ai eu le privilège de voir d’autres images non coupées de Bye Bye Now sur mon projecteur 16 mm. C’est à ce moment où j’ai eu l’impression que quelque chose d’incroyable allait ressortir de ce projet.

Bye Bye Now (2021)

Le premier film que j’ai vu de Louise est Self Portrait Post Mortem (2002) 1 . C’était en 2007 ou 2008, si ma mémoire est bonne. Durant cette période, je portais un intérêt obsessif au structural filmaking et entre autres, au travail de Jürgen Reble et de l’ensemble Schmelzdahin dont il a fait partie. En intégrant la décomposition de l’émulsion au sein du processus créatif et en optant pour une approche matérialiste du médium filmique, le contenu se voyait renforcé et l’artifice esthétique devenait alors beaucoup plus profond. Le film de Louise m’a prouvé que l’on pouvait obtenir une symbiose idéale entre le concept d’une œuvre et le travail sur la matérialité. Cette approche apparait dans Bye Bye Now par l’utilisation judicieuse de la répétition et de la réinterprétation de Louise à travers la rephotographie et le traitement chimique des images.

C’est en 2018 que la postproduction du film commença. Les problèmes de santé de Louise limitaient fortement son utilisation d’un ordinateur, alors elle m’a demandé d’être assistant monteur 2 . Notre amitié a créé un environnement propice à la patience et à la compréhension permettant facilement l’adaptation à ses besoins. Bye Bye Now est une œuvre très subjective qui revisite le passé familial de Louise ; ce qui rend délicat le processus de montage par quelqu’un qui ne la connait pas.

Les premières minutes du Bye Bye Now proviennent d’un film mystérieux que Louise appelle « the film puzzle » : un mythique objet cinématographique sur 16 mm, dont Louise m’a souvent parlé. Je n’ai jamais eu la chance de la voir en entier, mais il s’agit d’une bobine 16 mm que Louise a confectionné photogramme par photogramme. Elle a refilmé une Steenbeck avec sa Bolex en alternant la vitesse de visionnement. On retrouve cette même technique dans Remains (2011) — une poésie visuelle faite de lumière. Nous n’avons utilisé qu’une petite partie de ce matériel. À travers cette danse entre l’abstraction, le mouvement de la pellicule et les brefs aperçus de figuration, on y retrouve un voyage à travers la mémoire, les souvenirs de Louise ; une recontextualisation des archives familiales. En réutilisant ce matériel, Louise se permet de préserver ses souvenirs, ou sa propre interprétation de cette mémoire d’antan. Comme pour son père, il s’agit pour Louise d’immortaliser des moments que l’on ne veut pas ou ne peut pas oublier et, à travers ces images, l’on retrouve le cœur même de ses souvenirs.

Une grande partie du travail consistait à classer les images numérisées de ses manipulations en 16 mm des films familiaux en 8 mm de son père. Beaucoup d’images montrent les membres de sa famille saluant de la main la caméra. Nous avons finalement terminé avec quatre catégories : Absolument, Pas Absolument, Possiblement, et Non 3 .

Je vois le film comme un hommage à Jean-Clarence Bourque, le père de Louise ; une forme d’éloge funèbre. La postproduction fut assez émouvante et en tant qu’élément extérieur à ces memento mori, j’ai dû m’imprégner de ces souvenirs. Par ma posture plus objective, j’ai tenté d’amener à Louise une nouvelle perception de ces images et lui faciliter les coupures nécessaires au montage. À travers la banalisation de ce geste universel — la vague — et par la répétition des images, on retrouve le sens de l’au revoir : nous nous reverrons bientôt, soit physiquement ou virtuellement. L’expertise et la complexité de la rephotographie par tirage contact, avec une Bolex, en usant par la suite de toning et de différents traitements chimiques, nous montrent l’importance de ces images pour Louise. Dans cette accumulation volontaire de matériel, il y a une panoplie de réinterprétations plastiques qui forment une cohérence qui nous a grandement aidés durant l’assemblage. À travers la réappropriation de ces films de famille, on y voit toute la puissance de l’amour pour son père ; les images devant rendre hommage à tous ces doux moments captés sur 8 mm 4 .

Bye Bye Now (2021)

Nous avons donc nommé le matériel découpé par thèmes principaux, pour les reconnaître et les utiliser facilement. Ces dossiers étaient comme une archive méticuleusement mise en place de manière conviviale. Jacques_ tricycle, papa_escalier, enfants_perron, ou bien papa_maman_camion ne sont que quelques noms qui sont devenus iconiques au fil du montage 5 .

Le processus de postproduction était très complexe. En travaillant sur le film de Louise, j’en ai beaucoup appris sur elle 6 . Chaque image était accompagnée par un moment de sa vie qu’elle me racontait avec humilité. Elle travaille de manière méthodique, en utilisant une approche ritualiste, tout en laissant l’accident jouer un rôle important dans le processus créatif. Nous étions constamment surpris par les images que nous retrouvions. Partageant une méthodologie de travail similaire, je pouvais comprendre l’enthousiasme frénétique face à une prouesse abstraite. J’y voyais les années de recherche plastique de Louise sur pellicule 16 mm.

Louise me parlait régulièrement de nouveau matériel 16 mm qu’elle avait réalisé en tirage contact avec un agrandisseur photo au studio de Double négatif 7 . Nous sommes finalement allés au studio pour le regarder, question de savoir si on pouvait l’ajouter au film (bien que nous étions assez avancés dans le montage et proches d’un rough cut). En préparant le matériel, j’ai découvert une nouvelle Louise ; la personne qui s’est battue pour utiliser Adobe Premiere manie maintenant les bobines 16 mm, le splicer guillotine et la Steenbeck de manière tellement impressionnante, avec précision et rapidité. La pellicule est une seconde nature pour Louise. Elle a aussi gravé le titre du film et son copyright avec tellement de doigté. Cela fut un moment magnifique et inspirant.

Nous devions trouver un leitmotiv et il nous paraissait évident que ce soit des images de son père. Nous avons intégré le matériel du dossier papa_escalier, où l’on trouve le père de Louise assis dans un escalier. Par moment, ce matériel se présente sous forme abstraite, ou bien en noir et blanc, flashant subtilement. Ce qui est particulier avec ce matériel, c’est qu’il existe sous tellement de formes visuelles différentes, comparativement au reste. L’unicité de ces moments captés se traduit par une omniprésence de son père qui résonne tout au long du film.

Chaque coupure était littéralement un au revoir. Travaillant sur le dossier Jacques_tricycle, nous pouffions de rire tout en nous sentant tristes à l’idée de voir certaines séquences magnifiques entourant Jacques — jugées non-pertinentes pour le film —disparaître 8 Le montage fut un dialogue constant avec l’œuvre et avec Louise. Il ne s’agissait pas de juste donner mon point de vue, mais aussi de faire partie du processus créatif d’une personne. Le travail s’est fait dans un contexte de confiance et d’ouverture.

Quelques lignes sur le son du film. Louise fait généralement sa propre conception sonore pour ses œuvres. Pour Bye Bye Now, l’élément sonore est venu après le montage-image, car nous ne savions pas trop quoi utiliser pour la trame sonore. Au début, nous avons pensé utiliser le son des enregistrements vidéo qu’elle a fait de son père lui parlant ; mais un soir, Louise a apporté un enregistrement mystérieux. Elle ne m’a pas expliqué sa provenance, ou ce que c’était 9 . L’enregistrement avait des allures cauchemardesques et « dronesques ». Il collait parfaitement avec les images. Louise m’a appris le montage à la microseconde : une forme subtile de synchronisation qui affecte le subconscient. Par exemple, à la fin de Bye Bye Now, lorsque le droit d’auteur est gravé sur le film, on peut entendre un train. Ce son est à la fois universel et spécifique : celui d’une locomotive au loin, d’un train qui passe souvent près de sa maison familiale à Edmundston.

Les dernières images du film ne furent pas difficiles à trouver. Un des rares plans où l’on voit Jean-Clarence Bourque marcher droit devant, saluant la caméra avant de lui faire dos. Un au revoir à tous celles et ceux qui ont vu ces images et à sa fille, Louise.

Bye Bye Now (2021)

Notes

  1. Entre parenthèses, L’éclat du mal/The Bleeding Heart of It (2005) est, selon moi, un des meilleurs films expérimentaux canadiens. J’ai toujours pensé que le travail de Louise est de la plus haute importance et mérite d’être davantage discuté dans un contexte académique. Ce texte est mon remerciement pour ce qu’elle nous a transmis et ce qu’elle continuera de nous transmettre.
  2. Les problèmes de santé de Louise se sont développés à une époque où les processus analogiques se transformaient rapidement en processus numériques.
  3. Celui qui s’appelait Absolument était mon préféré.
  4. Dans ses films, on peut clairement voir l’amour qu’elle porte à sa famille, ainsi que son attachement à la maison de son enfance à Edmundston, au Nouveau-Brunswick. C’est la même maison que l’on voit dans Imprint (1997). Son histoire familiale l’accompagne visuellement. J’ai eu l’occasion de rencontrer son frère Jean-Claude et sa sœur Simone lors d’une visite chez Louise au Nouveau-Brunswick. C’était agréable d’enfin rencontrer les personnes que j’avais vues comme enfants tant de fois durant mon travail sur Bye Bye Now.
  5. Autres noms de dossier : Famille_aura_maison, Burnt_Footage, Louise_bébé, Papa_s’en_va, et Baigneurs.
  6. Elle m’a entre autres fait découvrir les tranches de pomme avec de l’houmous, que vous devriez essayer si vous ne l’avez pas encore fait.
  7. Le collectif Double négatif est un collectif d’artistes à Montréal.
  8. Vu la grande ampleur du matériel, il serait possible pour Louise d’utiliser les prises retirées pour produire un nouveau court-métrage entièrement différent.
  9. Je l’ai découvert plus tard, mais cela reste entre Louise et moi.