Itinérance, majuscule
à propos de Microhabitat de Jeon Go-Woon
Le film vous pose la question. Seriez-vous prêt à sacrifier votre logis par amour des cigarettes et du whisky ? Le dilemme est banal et c’est pourtant celui, simpliste, presque niaiseux, qui tourbillonne sous vos yeux et dans lequel la cinéaste Jeon Go-Woon précipite son personnage, Miso, délicate et dévouée femme de ménage, inconditionnelle amoureuse du tabac et de l’eau-de-vie écossaise. Pour donner à son dilemme des tentacules encore plus affectifs, la cinéaste y ajoute une histoire d’amour et cette histoire d’amour, nous le lui reprocherons. Ce «nous» vous semblera un peu de mauvaise foi, mais il persiste et il s’impose. René en approuve d’ailleurs l’utilisation et René, si vous ne le saviez pas, est un vampire unijambiste. Sa mobilité réduite et son immortalité sont deux éléments qui le prédisposent à un régime cinéphilique absolument surhumain. Autrement dit, nous avons raison de lui reprocher cette histoire d’amour.
Maintenant que vous connaissez l’exigence sur lequel repose ce «nous», revenons à Microhabitat et au dilemme un peu idiot avec lequel l’œuvre nous propose de composer. Notez cependant que nous ne condamnons pas l’idiotie. Notez que nous l’embrassons. Face au dilemme, vous le devinerez bien, notre gentille femme de ménage optera pour l’amour des cigarettes et du whisky. Dans ce film qui se veut un éloge à la liberté, comment pourrions-nous lui reprocher ce choix ? Le «nous» s’incline donc devant cette décision ambitieuse de Miso, décision qui sert de moteur narratif afin de poser autrement la question du logement. Où sera-t-il, ce toit prodigue qui lui permettra de savourer la plénitude de son sacrifice ?
Miso parvient à se trouver un logis grâce à de vieux amis qui eux résident dans l’enfer des prisons modernes. Elle les visite un après l’autre et nous voyons clairement, sans l’ombre d’une nuance, comment la société est méchante et comment elle a fait d’eux de parfaits aliénés, des esclaves de l’efficacité, des consommateurs qui ont déserté le Rêve, des idiots qui servent de complément à l’esprit de liberté qui anime la gentille Miso.
Ensemble, ces amis formaient autrefois un groupe de musiciens compétents et prometteurs, des gens capables d’harmonie et d’originalité, de créer de la musique qui était pure. Aujourd’hui, nous voyons comment leur individualisme les a écartés du chemin de la pureté, celle qu’incarne Miso, cette femme de ménage qui malgré ses désirs impurs, ose, organise et opère le changement. Professionnelle de la propreté, son âme, contraire à celle, toute sale, de ses amis d’enfance, s’élève au-dessus de la crasse capitaliste, du vice systématique, de la pression sociale, de l’esclavage hypothécaire, des donjons malpropres du mariage et des vocations matérielles.
Miso n’a besoin pour être heureuse que de ses cigarettes, de son whisky écossais et de son copain. Mais puisque nous lui reprochons d’exister, ce copain, parlons un peu de lui. Tout nous indiquait que ce copain était un gentil jeune homme et partageait avec Miso une modestie d’ambition et un gout des choses simples. Ils formaient un couple merveilleux et inspirant. Mais l’âme dudit copain n’est pas à l’abri de la crasse. Nous en constatons la saleté alors qu’il annonce à Miso son enrôlement dans l’armée et son départ imminent pour l’Arabie saoudite. Cette opportunité de carrière se chargera de forger sa nouvelle identité, traçant ainsi pour lui le chemin de l’abandon, le même qu’empruntèrent les amis d’enfance de Miso, car tout comme eux, le copain a également un rêve artistique, rêve de devenir cartooniste. Un rêve dont ce départ signalerait le délaissement.
Mais pourquoi ce désir soudain de faire la palette en Arabie saoudite ? Malgré les dettes, l’inflation et sa situation d’itinérance exceptionnelle, Miso était si heureuse ! Dans une scène qui cherche l’émotion à tout prix, alors que le copain s’apprête à la quitter pour deux ans, la gentille Miso lui offre un calepin afin qu’il poursuive son rêve de dessiner. Mais non ! Il refuse d’emporter le calepin dans lequel il pourrait perfectionner ses dessins. Afin de mieux servir son nouveau maitre et, nous le disons, le message de liberté que veut nous livrer la cinéaste, il abandonne ainsi son rêve de devenir cartooniste.
Malgré ses nuances à deux cennes et ses glissements qui nous laissent penser que la cinéaste propose une version optimisme de l’itinérance, chic et mignonne, comme le souligne un personnage, nous percevons, dans le cœur timide de la création, une intention honorable. Est-ce suffisant ? Nous répondons à cette question par un NON catégorique et auquel la majuscule s’impose, notamment parce que l’objection est formulée par la raison avérée, ce «nous» irréfutable.
-* Espèces d’ivrognes, vous voyez bien que le film est une fable qui exploite avec intelligence le thème du nomadisme ! Allez lire le magnifique texte de Thibodeau sur Panorama-Cinéma et acceptez et appréciez votre petitesse et votre idiotie.
Aucun régime au pain noir, nous le voulons bien. Nous ne réclamons pas un régime naturaliste. Il faut admettre que dénoncer l’évidence avec bonne humeur et musique d’ascenseur est pour beaucoup suffisant et plus agréable que le contraire. Comme le mentionne un autre personnage, le cas de Miso est unique. Le personnage le répète d’ailleurs. Comme tout dans ce film est assez grassement tracé, nous percevons cette répétition comme un signe. La cinéaste adresse à un «nous» ivrogne, idiot et trapu, voire, sceptique et exigeant, une mise en garde.
Elle nous dit : Je sais que l’itinérance, ce n’est pas une belle chose. Je ne cherche pas à romantiser l’itinérance. Je vous présente un cas unique. Unique ! Un personnage le souligne à deux reprises. Miso est unique ! Je suis une cinéaste responsable qui travaille pour dénoncer les injustices. En cela, mon personnage est un révélateur. Vous voyez ainsi que Miso n’est finalement intéressante que parce qu’elle est unique, qu’elle danse magnifiquement avec les conventions pour mieux les détrousser. Elle résiste et n’est séduite que par le parfum des cigarettes et les saveurs de la vieille Écosse !
Merci Jeon.
Si nous comprenons que nous sommes des ivrognes et par-dessus tout, de petits idiots trapus, nous comprenons également, puisque nous avons raison d’être à la fois ivrognes et idiots et trapus, que ce film est assez dense et que sa simplicité est trompeuse et maladroite et qu’elle peut ainsi contenir tout cela à la fois.
Mais, avons-nous raison de ne pas trouver d’équilibre dans ce «tout cela à la fois» ? Vous connaissez la réponse à cette question. Elle est majuscule et catégorique. En vain, vous chercheriez cet équilibre qui donnerait à cette «déchéance» un air d’aller qui la rapprocherait de la fable et qui ne serait pas que volontaire. Nous voilà la cible de ce canon à message qui contamine toutes les scènes de l’odorante transpiration d’une économie malade et qui marginalise les femmes de ménage trop gentille et trop amoureuse de leur whisky et de leur cigarette. Devant aussi vertueuse entreprise, nous savons avoir raison, mais nous savons écouter et faire preuve d’indulgence.
Nous pensons à cette scène, particulièrement pathétique, où notre chère itinérante, savourant son whisky, s’émerveille de voir tomber la neige. Et que dirons-nous de ce dernier plan ? Ce rare et surprenant mouvement d’appareil, un flottement de grue, qui s’apparente à celui d’une publicité de Mountain Equipment, localisant pour nous le dernier modèle de la tente, logis définitif de notre itinérante favorite. Nous ne dirons rien, car le plan est idiot, mais si nous le laissions parler, lui, ce plan, que dirait-il ? Nonobstant son idiotie, que nous embrassons, sûrement quelque chose d’assez romantique et d’un peu ridicule !
-* La tente urbaine, nous dirait le plan idiot, est à la fois synonyme de résistance au capitalisme et de bonheur individuel. Vous pouvez planter partout cette petite dissidente ! Partout ! Même au pied de l’échangeur Turcot ! Allez-y ! Vive la liberté !