Le « prix technique », Cannes 2004

Conversation sur le métier de l’image

Cette année, la CST (commission supérieure technique de l’image et du son) a remis un prix technique à Cannes. Cette palme d’ombre, comme l’appelle le président et membre du jury Pierre William Glenn, récompense un technicien dans un film en compétition officielle. Cette année le prix a été attribué au chef opérateur Eric Gauthier, présent sur deux longs métrages, Carnets de voyage de Walter Salles et Clean d’Olivier Assayas. Il semblait alors pertinent de discuter avec les deux chefs opérateurs du jury afin de comprendre le regard posé sur ce travail. Pierre William Glenn est chef opérateur, président de la CST et membre de l’AFC et Stéphane Raymond est étudiante en dernière année à la FEMIS dans la section image.

Carnets de voyage

-

Comment aborde-t-on un prix technique ? Quel regard adopte-t-on ?

Pierre William Glenn : Qu’est-ce que cela signifie la technique ? C’est symptomatique lorsqu’on parle de technique, on parle des moyens techniques mais il s’agit du style, de problèmes d’écriture. C’est l’écriture qui compte, on parle ici d’une matière d’écriture. Alors on ne juge pas en fonction de la technique mais en fonction du style, savoir s’il s’intègre ou pas dans le film. Ce que nous regardons c’est à quel point les images, la matière, la lumière font partie de l’histoire. L’image ce n’est que de la lumière et un film c’est de l’émotion et de la lumière. Il y a un regard dans le film qui essaye de lire des émotions mais ce n’est pas la même matière que le récit. L’idée c’est de chercher, dans le langage, de quoi on parle. Il y a souvent une mystification de la technique ou bien une mauvaise technique, c’est celle que l’on voit. L’important c’est que la technique soit une partie constitutive du récit, c’est cette indiscernabilité entre ce qui est mis en scène et la matière.

Stéphane Raymond : On ne peut pas vraiment dissocier la technique du film. Une image n’est pas belle gratuitement. J’aurai du mal à donner un prix à un film que je n’ai pas aimé. Ayant une formation en image, j’essayais quand même de privilégier les autres postes. Mon regard s’attardait bien évidemment sur le cadre et les mouvements de caméra, le découpage, la cohérence de ces agencements avec le film. J’étais également attentive à la matière, à tout ce que le travail de l’image peut apporter au film.

Qu’est-ce qui vous a sauté aux yeux ? Avez -vous eu une révélation en quelque sorte ?

SR : Aucun film n’a vraiment été une révélation pour moi, une véritable surprise. Aucun film en compétition ne m’a vraiment émue.

Votre situation n’est pas évidente car le champ technique est large, il me semble difficile d’évaluer la part de travail de chacun ?

PWG : L’important c’est de voir si le film fonctionne ou pas, s’il est bien filmé. Il y a toujours quelqu’un qui signe un son, une image… C’est la personnalité la plus forte qui prend le dessus.

Vous avez dit que l’important c’est que la technique fasse partie du film. Mais si le film forme un tout, si nous sommes dans l’indiscernable comment une personnalité peut-elle nous en faire sortir ?

PWG : Un prix peut ramener votre regard vers quelque chose qui fut remarqué. Dans Clean, le montage est extrêmement adroit, notre regard va se pencher sur cela. Dans Carnets de voyage, faire deux types d’images différentes avec de l’argentique, c’est fort.

Nolte et Assayas sur Clean

SR : Eric Gauthier est récompensé pour deux films, mais c’est aussi la reconnaissance d’une carrière, c’est un aboutissement. Nous connaissions tous son travail.

Vous avez souligné que le prix était particulièrement destiné à Carnets de voyage.

SR : Oui. Son travail sur Clean est plus simple par rapport à l’image mais c’est la même manière de filmer, c’est une caméra très fluide, on sent la même patte, il filme d’ailleurs avec la même caméra, une Aaton 35. On récompense quelqu’un qui fait encore confiance à la pellicule et à la matière argentique. On entend toujours parler des caméras numériques mais la pellicule, pour moi ça reste beaucoup plus beau. Et puis, il n’a pas peur du grain dans son image. Elle n’est pas lisse, elle a du caractère. J’aime beaucoup le grain, chez Depardon par exemple le grain c’est quelque chose.

Il y a eu beaucoup de conférences à Cannes sur le numérique et ses avancées technologiques, surtout ici, sur le stand de la CST. Comment vous situez vous par rapport à cet engouement ?

SR : Les petites caméras de point, c’est génial pour ne pas dépenser d’argent. On a fait des films à la FEMIS avec ces petites caméras et cela laisse une liberté extraordinaire, pour les gens qui n’ont pas de financement mais qui ont quand même des choses à dire. Mais ce n’est pas cela qui fait le cinéma. En fait, tout dépend de l’utilisation qu’on en fait. Pour moi, c’est juste un outil, c’est un outil du quotidien qui peut être intéressant. Mais la caméra HD ciné alta de chez SONY, j’ai du mal par exemple. Les capacités sont bonnes une fois l’image « kinescopée » avec la matière de la pellicule. Alors, c’est en cela le problème, ça manque de matière, ça a toujours des défauts qui sont souvent ceux de la vidéo par rapport aux blancs et à la surexposition. Ca reste un bout de plastique avec une bande plastique. La HD est quand même bien. Il y a un côté « étudiante en image » dans ce que je dis.

Le numérique tend-il vers un déplacement des métiers du cinéma ?

SR : Oui, ce n’est plus vraiment le même travail. Il y a un déplacement vers la postproduction. Et puis, certains métiers disparaissent comme l’assistant qui chargeait les bobines, certains chefs opérateurs n’utilisent plus de cellule (posemètre), tout cela change la façon d’aborder un tournage. L’utilisation standard du numérique tend à universaliser l’image. C’est plus facile et ça va plus vite. Pour moi la caméra numérique reste un nouvel outil qui enrichit les possibilités, permet une certaine légèreté, ça donne un choix en plus.

Pour vous qui êtes habitués à regarder, quel regard critique portez-vous sur la programmation ?

SR : Tout d’abord j’ai trouvé la sélection officielle très frustrante par rapport à la qualité des films hors compétition. J’ai eu un peu de mal avec le mélange fiction, documentaire, animation car on ne juge pas de la même façon. J’ai trouvé que c’était une sélection très sage, très conventionnelle.

PWG : Ce qui est intéressant c’est la diversité. Il n’y a pas grand-chose de commun entre Lady Killers et Ghost in the Shell 2: Innocence. Le cinéma est un voyage dans l’espace et dans le temps, c’est un instantané du monde. La programmation rend compte de tous ces gens qui vivent en 2004, autant de cultures pour répondre aux mêmes problèmes, c’est un éclectisme intéressant. Cannes reste un festival de metteurs en scène et il n’y avait pas deux metteurs en scène qui aient des regards proches.

Un regret…

PWG : Oui. Le Zhang Yimou, The House of Flying Daggers, est un regret. S’il avait été en compétition officielle cela aurait peut-être mis tout le monde d’accord sur le cinéma.

Carnets de voyage