L’art du cinéma scientifique sur Tënk

5 + 1 (Cadavre exquis)

Au printemps 2025, le projet Cadavre exquis, un laboratoire de mise en valeur de la collection de films 16 mm éducatifs et scientifiques de l'Université de Montréal initié par Hors champ, a été invité à proposer une « Escale » pour la plateforme Tënk (programmation disponible ici du 1er juin au 1er octobre 2025). Dans la foulée de cette collaboration, l’équipe de Cadavre exquis a produit un certain nombre de textes qui, pour des raisons d’espaces, n’ont pas pu être publiés dans leur entièreté sur le site de Tënk. En complément de cette programmation, on trouvera donc ci-dessous l'ensemble de ces textes dans leur intégralité, lesquels nous informent des détails de création des films proposés.

Aux sources de la vie (Père Venance, 1953)

Les cinq films rassemblés dans cette « Escale » consacrée à l’art du cinéma scientifique sont de natures diverses : un film d’animation par ordinateur réalisé par l’équipe du Centre de calcul de l’Université de Montréal, une exploration des propriétés chimiques du cyclohexane, une étude microcinématographique se penchant sur la formation de la cellule L.E., une expérience en vue subjective de la phobie d’impulsion (une modalité des troubles obsessifs compulsifs) de même qu’ une oeuvre en couleur de 1953, conçue par le Père Venance, pionnier du cinéma scientifique au Québec, nous invitant à découvrir « les sources de la vie ». Toutes ces œuvres ont en commun le fait d’avoir été produites par un service de recherche, un laboratoire ou une compagnie pharmaceutique dans un horizon d’éducation, de divulgation scientifique, de promotion d’une nouvelle technique, d’un nouveau savoir, d’une technologie innovante. En apparence désuètes, surannées, peut-être obsolètes sur le plan de la science, ces œuvres pédagogiques, « platement » utilitaires racontent pourtant une autre histoire du cinéma, parallèle, marginale, mésestimée. Elles représentent aussi  des millions de kilomètres de pellicule imprimées au fil du temps, souvent négligées par la plupart des institutions qui ont la responsabilité de préserver  la « mémoire du cinéma », sont reléguées aux étagères des collectionneurs oudans les recoins d’archives qui en ont hérité sans toujours bien savoir quoi en faire (sans parler de tout ce qui a été élagué, détruit, brûlé). Ce cinéma, inclassable et étonnant, a par ailleurs fait l’objet d’une dévotion particulière de la part d’artistes (on pense à l’amour des surréalistes pour le cinéma de Painlevé, aux remontages fabuleux de Bruce Conner, Abigail Child, Gustav Deutsch, Bill Morrison), de chercheurs-collectionneurs passionnés (on pense au travail de Rick Prelinger, Skip Elsheimer, Dan Streible), et, depuis plusieurs années, donne lieu à un réel engouement de la part de chercheur·e·s universitaires, d’historien·n·e·s de la culture et des sciences, d’institutions muséales.

Ces quatre films font également partie de la collection de plus de 1,200 films en 16mm de l’Université de Montréal, accessible au Centre de conservation des Bibliothèques de lettres et sciences humaines ou encore à la Division des archives et de la gestion de l’information (DAGI). C’est afin de valoriser ces fonds et ces collections, de leur donner une visibilité plus large auprès de la communauté de chercheur.e.s, de curieux.se.s, de cinéphiles, mais, aussi, afin de voir comment ils pouvaient être activés par des cinéastes, des musicien.ne.s, des écrivain.es, que la revue électronique Hors champ a initié  le projet « Cadavre exquis: ouvroir de cinéma potentiel », à l’été 2021. En collaboration avec le partenariat CinEXmédia et le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal, le projet Cadavre exquis a permis depuis de numériser une centaine de films de cette collection, de créer des dizaines d’événements des performances, des cycles de conférences-projections, et la création d’un site Web, bientôt en accès libre. Il a également permis de rencontrer certaines oeuvres stupéfiantes comme celle du cinéaste français Éric Duvivier (auteur de près de 700 films entre 1950 et 1990) ; de participer à la redécouverte d’un pionnier oublié du cinéma au Québec, le Père Venance, un capucin et biologiste, contemporain du frère Marie-Victorin ; de mener des recherches approfondies sur l’histoire du Centre audio-visuel de l’Université de Montréal ; de découvrir les travaux avant-gardistes d’animation par ordinateur réalisés au début des années 1970 au Centre de calcul de l’UdM ; de travailler avec des spécialistes du sommeil, du bégaiement, de la vie monastique, notamment. Le projet  a aussi été l’occasion de collaborations fructueuses avec des artistes locaux (le Quatuor Bozzini, AnneF Jacques, Samy Benammar), et tout récemment, Roger Tellier-Craig et Michaela Grill, qui ont retravaillé et remonté les sons et les images de plusieurs films de la collection dans un court-métrage, Délire Atta, inclus dans ce programme. 

Cette « Escale » se veut, donc, une vitrine sur le cinéma scientifique et éducatif et sur le projet Cadavre exquis. Elle se veut également, offrir une illustration éloquente de la phrase d’André Bazin : « C’est à l'extrême pointe de la recherche intéressée, utilitaire, dans la proscription la plus absolue des intentions esthétiques comme telles, que la beauté cinématographique se développe par surcroît comme une grâce surnaturelle » (Bazin, 1947). (André Habib, 2025)

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Programme


 

Jekyllum (Claude Schnéegans,1974)

Jekyllum 

(Claude Schnéegans, Centre de calcul et centre audio-visuel de l’Université de Montréal, 1974) 

Résumé

Jekyllum est un être mystérieux aux apparences du sigle de l’Université de Montréal. Après avoir ingéré une potion savamment préparée, Jekyllum acquiert les pouvoirs d’une araignée ; il tisse sa toile et prend un insecte à son piège. Premier film d’horreur entièrement réalisé sur ordinateur, par cybernovision. Ordinodrame en calculo-color et trame sonore en ordinophonie. (Adaptation de la description des bibliothèques de l’Université de Montréal.)

Présenté avec humour par ses concepteurs comme le « premier film d’horreur entièrement réalisé sur ordinateur », Jekyllum est une œuvre pionnière de l’animation par ordinateur au Canada. Fruit de la collaboration entre les anciens Centre de calcul (1965-1988) et Centre audio-visuel (1968-1997) de l’Université de Montréal, Jekyllum était d’abord et avant tout destiné à montrer les possibilités graphiques du module CDC1700 complémentaire à l’ordinateur CDC6400 acquis par l’Université en 1969.

À propos de Jekyllum

Mélange savant d’humour, d’esthétique expérimentale et d’innovations technologiques, Jekyllum met en scène une créature aux allures du logo de l’Université qui, après avoir absorbé une mystérieuse potion, se transforme en une araignée monstrueuse qui tisse sa toile et capture sa proie…

Décrit à l’époque comme un « ordinodrame » en « calculo-color » avec une bande sonore en « ordinophonie », Jekyllum manie des codes volontairement excentriques. Nés de l’humour des mathématiciens et des informaticiens du Centre de calcul de l’UdeM, ces néologismes traduisent néanmoins les réelles avancées techniques du temps. Le film est en effet animé grâce au système de « cybernovision », développé par le réalisateur du film, Claude Schnéegans, qui a également conçu le langage de programmation général FILEMON (pour « Film et montage ») pour permettre la création d’animations sur ordinateur. La trame sonore, composée par Robert Dupuy, membre du groupe « informatique-musique », enrichit le film d’une ambiance sonore psychotronique en parfaite cohérence avec son esthétique visuelle.

Si le scénario de Jekyllum fait sourire, le film appelle à une réflexion plus large sur les usages éducatifs et scientifiques des technologies d’animation par ordinateur en regard des techniques classiques. Dans son mémoire de maîtrise déposé en 1975, Claude Schnéegans posait en effet la question qui était au centre de toute la démarche :

[C]omment se fait-il que les dessins animés soient considérés comme rentables pour amuser des enfants mais trop chers pour éduquer les adultes ? Et pourtant les malheureux parents passent une bonne partie de leur temps à répéter à leurs enfants que les devoirs et les leçons à apprendre sont plus importants que les dessins animés qui passent à la télévision !

La cybernovision ne répond pas à cette question, mais elle peut supprimer les raisons pour lesquelles on l’a posée car les coûts de production peuvent être jusqu’à dix fois moins élevés que par la méthode classique : quelques centaines de dollars par minute ; les tarifs deviennent abordables. À la fois démonstration technologique et œuvre artistique, Jekyllum fut présenté à Montréal et à l’étranger, notamment lors du premier Annual International Computer Film Festival en 1974. Le film, réalisé la même année que La faim, de Peter Foldès (ONF), côtoyait alors les œuvres de figures majeures de l’animation par ordinateur comme Lillian Schwartz (1927-2024), témoignant de la reconnaissance à l’international des innovations du Centre de calcul de l’Université de Montréal 1 .

Le scénario de Jekyllum est signé par Jean Baudot. Ingénieur électronique devenu administrateur du Centre de calcul, puis plus tard professeur de linguistique, Baudot et son équipe développent, dès les années 1960 à l’Université de Montréal, des systèmes avant-gardistes en intelligence artificielle, dont des programmes conversationnels en langage naturel et des systèmes de traduction automatique. Possédant plusieurs cordes à son arc, Baudot sera également l’auteur de La machine à écrire (Éditions du Jour, 1964), qui deviendra le premier recueil de poésie en français généré par ordinateur, un ouvrage qui sera commenté par de nombreux intellectuels et écrivains de l’époque, parmi lesquels Alfred DesRochers, Raymond Queneau, Félix Leclerc et Jacques Godbout.

Derrière son apparente légèreté, Jekyllum propose une allégorie plus sombre. La créature inspirée du logo de l’Université de Montréal pourrait en effet très bien représenter la communauté scientifique elle-même et la potion, le pouvoir destructeur et les risques que la science confère aux savoirs humains. L’arachnide, soulignons-le, ne retrouve son apparence initiale de logo de l’UdeM qu’après la mort de sa proie… sépulture chrétienne à l’appui dans les images du film! Dans cette optique, Jekyllum devient une fable sur la manière dont les outils informatiques, en décuplant notre intelligence, peuvent aussi révéler une face inquiétante du progrès. (Nino Gabrielli)

Restauration numérique produite par le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal à partir d’éléments 16mm inversibles originaux conservés par la Division des archives et de la gestion de l’information de l’Université de Montréal. 

Claude Schnéegans (biographie)

Claude Schnéegans possède une licence en physique de la Sorbonne. Venu au Québec pour enseigner les mathématiques comme coopérant, il termine en 1970 son baccalauréat à l’Université Sir George Williams et entre à l’Université de Montréal, d’abord comme étudiant assistant du professeur Bill Armstrong, spécialiste des réseaux de neurones artificiels, pour ensuite entamer une maîtrise en informatique sous la direction d’Olivier Lecarme.

Très tôt passionné par les courbes graphiques mathématiques, une fascination qui se transposera dans son travail d’animation, Claude Schnéegans est engagé en septembre 1969 au Centre de calcul comme analyste-programmeur, pour ensuite devenir, vers 1975, chef de la section « Applications », qui regroupait tous les analystes-programmeurs du Centre. Il a également développé au milieu des années 1970 le tout premier système de traitement de texte informatique à l’Université de Montréal (COSTUM, pour Composition et Sortie de texte UdeM), sur lequel ont été écrits des centaines de thèses et mémoires.

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La formation de la cellule LE (Raoul Kourlisky , Roger E. Robineaux, 1962)

La formation de la cellule L.E. 

(Réal.: R. Robineaux, Service du film de recherche scientifique, conseiller scientifique, R. Kourilsky, Centre d'immuno-pathologie de l'Association Claude-Bernard, Hôpital Saint-Antoine, Paris, 1962)

Résumé

Ce film se propose d’étudier, d’un point de vue dynamique, le mode de formation de la cellule L.E., si importante pour le diagnostic du Lupus Érythémateux Aigu Disséminé. Étude dynamique de la formation de la cellule L.E. ou cellule de Hargraves (diagnostic du lupus érythémateur aigu disséminé): action des anticorps antinucléaires sur les noyaux de polynucléaires neutrophiles, chimiotactisme des polynucléaires (formation de rosettes), phagocytose préférentielle du complexe anticorps-noyau (formation de la cellule L.E.). (Catalogue des bibliothèques de l’Université de Montréal)

À propos de La formation de la cellule L.E. 

Qui a pu voir, dans une salle d’amphithéâtre de l’Université de Montréal ou de la Sorbonne, dans les années 1960, La Formation de la cellule L.E., accompagné du ronron régulier du 16mm et de la poussière dans la voix du son optique, avec cette récitation très propre débitant avec la blancheur exigée de la neutralité scientifique « La cellule L.E. est constituée par une masse homogène centrale dans un polynucléaire normal, etc. etc. » ? Qui a bien pu voir ce film, qu’en a-t-il, ou elle, pensé ? Un étudiant en première année de biochimie, de médecine, de physiologie cellulaire, un cinéphile à la curiosité débordante, qui aurait préféré, un soir, ce film en bobine, emprunté à la bibliothèque, aux différents films parus cette année, La jetée, Jules et Jim, The Man who Shot Liberty Valence ? Cette projection a-t-elle été la source d’une vocation, d’une passion, ou d’un endormissement soudain, devant les mouvements vibratiles cytoplasmiques hypnotisants qui persistent par delà la phagocytose, enveloppé dans les muqueuses de ce noir et blanc spongieux ? Et nous tous, ici, qui n’avons peut-être pour toute connaissance en matière de biologie cellulaire qu’un nébuleux souvenir de collège, que faire, aujourd’hui, de ce drame, de ce récit de « formation » (le Bildungsroman d’une cellule ?) dont on peine à décerner l’enjeu, sur l’échiquier de la morale cellulaire : qui sont les bons, qui sont les méchants ici ? Les cellules L.E., les polynucléoses, les anticorps ? Est-ce qu’une homogénéisation est souhaitable, catastrophique ou simplement l’ordinaire de la vie d’une cellule ? La voix – toujours neutre, descriptive, superbement objective, dans la positivité des phénomènes – ne nous laissera jamais entendre la moindre émotion qui pourrait attester d’un enthousiasme ou d’une déploration. La formation de la cellule L.E. suivra son cours, de phase en phase, de temps en temps, implacablement, sous le regard scrutateur de la caméra-microscope, cette « rétine du savant » (1877) selon l’expression de Jules Janssen, selon les déïctiques du texte qui pointent des ordres de réalité indiscernables pour le commun et peut-être trop obvies pour le spécialiste. Ce film ne tombe-t-il donc pas fatalement dans une sorte d’entre-deux du cinéma scientifique ? Trop vulgaire pour le savant, trop expert pour le curieux qui n’y voit rien ? Ce film serait-il alors pour personne ? Ne s’adresse-t-il pas plutôt à quiconque voudrait s’en saisir, lui donner un peu de temps et d’attention, qui trouverait l’occasion d’en faire quelque chose, c’est-à-dire autre chose que ce pourquoi il a été conçu : un objet d’histoire, un poème, un film d’horreur composé d’une succession de terribles dévorations. Car il suffit, par exemple, de le passer sans le son ou avec – que sais-je – Le sacre du printemps de Stravinsky, une sonate de Schubert, un morceau bien granuleux de Merzbow, pour qu’apparaissent soudain, libérées de cet épiderme terne qui en recouvrait la beauté, toute l’agitation expérimentale, l’harmonie secrète, la tragédie violente ? Ou alors, à l’inverse, de repiquer la voix off et de la faire défiler sur un film de famille, un bulletin de nouvelles, un scénario de chasse-poursuite intergalactique, pour en faire exploser le potentiel poétique (l’exercice est parfaitement jouissif). 

Alors ainsi ce petit film de 12 minutes, produit à Paris par le très prolifique Service du film de recherche scientifique, fruit d’une collaboration entre deux médecins-chercheurs spécialisés en immuno-pathologie, Raoul Kourilsky et Roger E. Robineaux, établis à l’Hôpital Saint-Antoine, au sein de l’Association Claude-Bernard (l’inventeur de la « méthode expérimentale »), continue de nous montrer que la microcinématographie – et la micro-photographie avant elle – peut alimenter ce surréalisme involontaire du spectacle agrandi et accéléré de la nature. On pense à Auguste Bertsch tirant entre 1853 et 1857 sur papier albuminé des photographies de « pou de pubis », de globules rouges et autres « spermatosoaires (sic) vivants de l’homme », aux films de Comandon, Painlevé, Venance, récemment redécouverts. Et c’est ici, au début de années 1960, il y a plus de 65 ans, que paraît ce bijou étrange de microcinématographie, petit film complètement oublié, sûrement négligeable, retrouvé à la faveur d’une succession incalculable de hasards, qui nous montre qu’on peut toujours s’émerveiller de la violence explosive de l’infiniment petit. 

Copie numérique produite par le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal à partir d’une copie 16mm détenue par le Centre de conservation des bibliothèques de l’Université de Montréal. 

Biographies

Raoul Kourlisky (1899-1977) fut médecin-professeur et chercheur français, fondateur du groupe de recherche en immuno-pathologies à l'hôpital Saint-Antoine de Paris,initiateur de l’Association Claude Bernard. 

Roger E. Robineaux (?), fut chercheur à l'INSERM, Institut national de la santé et de la recherche médicale, Hôpital Saint-Antoine, auteur de films et d’articles sur la biologie cellulaire et l’immunologie.  

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La stéréochimie dynamique (Henri Favre, 1969)

La stéréochimie dynamique

(Conseiller scientifique et concepteur : Henri Favre, Université de Montréal, Centre audio-visuel, juin 1969)

Résumé

Deux étudiants sur cinq en stéréochimie dynamique sont incapables de visualiser ce qui se passe au niveau de la molécule lors d’une réaction chimique. Et vous ? Grâce à la méthode du Dr Henri Favre, tout le monde pourra voir la molécule réagir dans l’espace et dans le temps. Les étudiants qui ont visionné les films préparés pour être utilisés avec la méthode du Dr Favre ont compris, pour la première fois, certains phénomènes de la stéréochimie. Certains enseignants, après avoir visionné ces films, reconsidèrent leurs propres méthodes d’enseignement.     

(Traduction libre d'un extrait de « A New Method of Teaching Dynamic Stereochemistry by Dr. Henri Favre », dans « Département de chimie - Projet Favre 1970-1971 », fonds D0005, Services audiovisuels, Division des archives et de la gestion de l'information, Université de Montréal).

Méthode d’enseignement audiovisuelle novatrice de la chimie développée à l’Université de Montréal par le professeur Henri Favre, La stéréochimie dynamique répondait tout d’abord à un problème pédagogique : comment faire voir et comprendre aux étudiants, à l’aide d’un tableau noir et de plans en deux dimensions sur papier, les transformations moléculaires dans l’espace et le temps ? « La visualisation de ces phénomènes est d’autant plus difficile », dit une brochure qui accompagne le film, « qu’ils se composent toujours de trois éléments : la structure tridimensionnelle de la molécule, son mouvement continu et les variations d’énergie simultanées et concomitantes ».

À propos de La stéréochimie dynamique

À l’aide de modèles de molécules simples – fabriqués en bois ou en plastique – et surtout avec la complicité d’une créative équipe d’animation à laquelle s’est associé le Centre audio-visuel de l’Université de Montréal, le professeur Henri Favre entraîne ses étudiants d’alors – et le spectateur contemporain – dans une danse moléculaire haute en couleur.

À travers ses jeux chromatiques et de mouvement et une terminologie singulière – nous y découvrirons notamment la chaise et le bateau, l’inversion et la pseudo-rotation du cyclohexane, l’attaque par la gauche, la probabilité égale d’attaque dans la réaction de substitution nucléophile et les solvations symétrique et disymétrique de la solvolyse –, La stéréochimie dynamique révèle au néophyte une intrigante poétique de la transformation des molécules.

La stéréochimie dynamique est composé de trois courts-métrages d’animation : Cyclohexane. Inversion et pseudo-rotation ; Réactions de substitution nucléophile ; Réaction Sn1 : solvation, solvolyse. Muets, ces trois films étaient destinés à des classes allant de 24 à plus de 500 étudiants, où le professeur était libre de faire des commentaires « en direct » en s’adaptant, selon le contexte, au rythme d’apprentissage du public. (Nino Gabrielli)

Copie numérique produite par le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal à partir d’une copie 16mm détenue par le Centre de conservation des bibliothèques de l’Université de Montréal. 

Biographie d'Henri Favre (1926-2013)

Professeur, puis directeur du Département de chimie de l’Université de Montréal avant d’occuper notamment les fonctions d’adjoint au recteur, de doyen de la Faculté des sciences et de doyen de la Faculté des études supérieures, Henri Favre est le conseiller scientifique et le concepteur du film La stéréochimie dynamique.

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Aux sources de la vie (Père Venance, 1953)

Aux sources de la vie

(Père Venance, 1953)

Résumé

« Le nec plus ultra de mon travail est le chapitre intitulé Aux sources de la vie. [...] Il existe dans les plantes une organisation merveilleuse au point de vue reproduction. C'est une merveille d'ingéniosité, c'est spectaculaire au dernier point!  Les secrets de la nature résident dans les infiniment petits, dans les minuscules de la nature 2 . »

À propos de Aux sources de la vie

Capucin converti au cinéma, le père Venance développe au milieu du siècle dernier un cinéma de l’émerveillement mettant l’œil mécanique de la caméra au service de la création divine. À l’instar de ceux de son contemporain Albert Tessier, ses films célèbrent les paysages, forêts et cours d’eau. Les films du père Venance se démarquent toutefois par l’usage de plusieurs techniques héritées du cinéma scientifique, dont la microcinématographie et le time-lapse. Tournés en 16 mm, ils offrent de plus grâce au procédé Kodachrome mis en marché en 1935 de superbes images couleur – cela, à une époque où la vaste majorité des films commerciaux présentés dans les salles de cinéma sont en noir et blanc. Aux sources de la vie présente ainsi de merveilleuses images couleur d’enfants et d’adolescents découvrant les fougères, prêles, lichens et autres mousses poussant en abondance dans les espaces sauvages du Québec. Ce cinéma semble ainsi évoquer le travail d’un autre de ses contemporains, le frère Marie-Victorin. Il est dans les faits plus proche du travail de Marcelle Gauvreau, la collaboratrice de Marie-Victorin ayant fondé l’École de l’éveil en 1935. Aux sources de la vie ne cherche en effet pas, malgré sa structure sérielle, à proposer une taxonomie exhaustive des végétaux et champignons de la province. Le portrait est incomplet et les images défilent trop rapidement pour servir de support à une quelconque démonstration. Le film réussit toutefois à émerveiller et, probablement, à susciter quelques vocations dans une province amorçant alors un important renouveau scientifique et intellectuel. (Louis Pelletier)

Copie numérique produite par le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal à partir d’éléments 16mm inversibles originaux conservés par la Division des archives et de la gestion de l’information de l’Université de Montréal. 

Biographie du Père Venance (1895-1966)

J. Albert Caron est né en 1895 à Cabano, sur les rives du lac Témiscouata, au Québec. D’abord formé aux études classiques au collège séraphique des Capucins à Ottawa, il rejoint le noviciat des Capucins à Limoilou en 1914, adoptant le nom de frère Venance. Ordonné prêtre en 1923, il enseigne les belles lettres, les mathématiques et la philosophie dans divers établissements, tout en nourrissant une passion grandissante pour la science. Influencé par l’encyclique Deus scientarium Dominus du pape Pie XI, qui appelle à l’ouverture des philosophes à la recherche scientifique, il se lance aux débuts des années 1930 dans des études de biologie à l’Université de Montréal où il côtoie notamment le frère Marie Victorin, pionnier de la botanique québécoise.

Au tournant des années 1940, le père Venance se lance dans la microcinématographie, un art qui allie son amour pour la nature et sa vocation religieuse. Ses films, tels Le Monde invisible (1941) ou Voyage dans une goutte d’eau (1940-1949), offrent des vues fascinantes du monde microscopique, révélant la beauté des créatures invisibles et des processus biologiques, dans une démarche scientifique imprégnée de mysticisme. Sa renommée croît progressivement et culmine avec la diffusion, en 1961, de la série télévisée Au-delà des apparences, à Radio-Canada, qui propulse son travail auprès du grand public. Avec plus de 12 000 pieds de film produits en carrière, le père Venance laisse un héritage scientifique et cinématographique unique que nous redécouvrons aujourd’hui grâce aux archives conservées à l’Université de Montréal.
 

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Phobie d'impulsion (Éric Duvivier, 1967)

Phobie d’impulsion

(Eric Duvivier, Sciencefilm, Laboratoires Roche, 1967)

Résumé 

Présentation de cette variété d'obsession caractérisée par la crainte d'une idée, d'un objet ou encore d'un acte déterminé. Ensemble des observations sur l'envahissement du champ de la conscience du malade par une sorte de désir monstrueux, sur l'épouvante consécutive, enfin sur la rareté du passage à l'acte. (Catalogue des bibliothèques de l’Université de Montréal)

À propos de Phobie d’impulsion

Tout ceci débute « en classe », avec un dossier qu’on ouvre, des documents qu’on compulse, un texte narré par la voix froide d’un professeur qui donne sa leçon. Une définition clinique de la phobie d’impulsion est suivie d’une série d’exemples, parmi lesquels celui de cette « jeune mère [souligné en rouge à l’écran] qui a peur de tuer son enfant…» On ajoute que « Devant cette sorte d’envahissement du champ de la conscience par ce désir monstrueux le malade est anxieux, épouvanté. Le passage à l’acte est d’ailleurs le plus souvent, » et cette virgule en suspens fait tomber la voix et le plan dans un fondu au noir. Une musique faussement rassurante (berceuse d’église, un peu désaccordée) accompagne un travelling avant sur une mère (Florence Guerfy)  tenant sur ses genoux un enfant, et le titre du film, dont le désalignement des lettres (on pense à Psycho) présage la dérèglement de la conscience de la protagoniste. On comprend bien vite qu’on assistera à une sorte d’illustration, de plongée in vivo dans cette modalité infernale de la phobie que la définition tracée dans le cahier d’écolier a su auparavant décrire, mais ne peut faire éprouver. C’est, alors, au fil du film, qu’on aura droit au récit de la peur (chez le spectateur comme chez la mère) de voir des épingles de nourrice s’enfoncer dans les chairs du poupon, sa tête se fracasser comme celle d’une poupée brisée, son petit corps se trouver projeté entre les wagons d’un train, au fond de la mer, abandonné dans le creux d’un monument de pierre, lâché du haut d’un escalier, sans que nous sachions — par l’efficace terrible du montage et de la mise en scène — si le passage à l’acte s’est joué ou demeure à l’état de vision fantasmatique.  

La force du film repose sur cette traversée des espaces que la géographie distend mais que le montage raccorde, comme s’il s’agissait de visiter autant de paysages désaccordés d’une maladie elle-même dissociative : on glisse d’une chambre à coucher suffocante à des routes de campagne aux arbres émondés, de bords de mer menaçants à des ruines, des canaux, une gare de train vide, une rue en pierre avec un cocher et son cheval, une cage d’escalier « moderne ».... L’autre force de ce film sur la phobie est d’inventer des « formes phobiques », des opérations dans la matière de la grammaire filmique qui brouillent les lignes entre les faits et les visions, créant un doute panique. Comme cette scène dans la gare où Duvivier se sert habilement de l’obturation provoquée par le passage du train (la femme est aperçue une fraction de seconde dans l’interstice entre les wagons), pour créer une succession d’habiles escamotages (tantôt le bébé est dans ses bras, tantôt il n’y est plus). Le cauchemar du film est alors celui d’une violence produite par la conscience, d’une peur qui dévore jusqu’au langage du cinéma.    

Phobie d’impulsion est l’un des très nombreux films d’Éric Duvivier portant sur les troubles psychiatriques (Image de la folie, 1950, Le monde du schizophrène, 1961, Un délire hallucinatoire, 1961, Ballet sur un thème paraphrénique, 1962, L’hystérie, langage du corps, 1967, L’art psychotique, 1990), un sujet qui lui fournissait un terrain de jeu propice à des expérimentations esthétiques. Le film est produit par la compagnie pharmaceutique Roche, compagnie basée en Suisse qui a, notamment, en 1963, synthétisé le Valium. Cette heureuse et curieuse entente entre la pharmaceutique (d’autres films seront produits notamment par Sandoz, les laboratoires Delagrange, etc.), le champ médical (le film est réalisé sous la supervision du Dr. Didier-Jacques Duché, psychiatre et professeur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière) et le champ de l’expérimentation cinématographique, se traduit ici en un film avec des forts accents surréalistes (on aperçoit le tombeau du Facteur Cheval), des clins d’oeil cinéphiliques forts (Jules et Jim, Nosferatu) avec un regard sur la violence sans fard de la maladie (on pense tout au long à des scènes de gialli italiens), mais aussi sur les blessures de l’histoire (une séquence semble avoir été tournée à Oradour-Sur-Glane, ville martyr de la Seconde Guerre mondiale). 

Objet inclassable, Phobie d’impulsion devra un de ces jours trouver une place de choix dans l’histoire du cinéma d’après-guerre français. Reste à savoir laquelle. (André Habib)    

Copie numérique produite par le Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal à partir d’une copie 16mm détenue par le Centre de conservation des bibliothèques de l’Université de Montréal. Merci à Christian Bonah, Joël Danet et Image’Est. 

Éric Duvivier (biographie)

Eric Duvivier (1928-2018), neveu de Julien Duvivier, aura réalisé entre 1950 et 1990 autour de 700 courts-métrages, financés pour la plus grande partie par l’industrie pharmaceutique (Sandoz, Roche, LaGrange) et destinés à la profession médicale. Il est connu principalement pour ses très nombreux films portant sur les thématiques psychiatriques (Le monde du schizophrène, Ballet sur un thème paraphrénique, Images de la folie), mais a aussi abordé tous les sujets médicaux, du film endoscopique aux troubles neurologiques, de la dermatologie à l’histoire des pathologies, de l’obstétrique à la traumatologie. Depuis ses sociétés de production (Art et Science, ScienceFilm), il noue des collaborations fructueuses avec l’industrie pharmaceutique, des spécialistes du champ médical, mais aussi des artistes tels que Henri Michaux (Images du monde visionnaire), des acteurs de talent tels Pierre Clementi, et a produit des films de cinéastes comme L’ordre de Jean-Daniel Pollet (1973). Son travail d’expérimentation l’a amené à être engagé comme « conseiller sur la lumière » sur le film inachevé L’Enfer (1964) de Clouzot. L'œuvre colossale de Duvivier, dont les éléments sont conservés dans les voûtes de Image’Est, est en partie disponible sur la plateforme Canal-U grâce au projet Medfilm.

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Délire Atta 

(Roger Tellier-Craig / Michaela Grill, 2025, 5 min)

Délire Atta est le fruit d’une collaboration entre le musicien Roger Tellier-Craig et la vidéaste Michaela Grill. Cette collaboration a pris la forme, en premier lieu, d’une performance qui s’est déroulée le 24 avril 2025, à La lumière collective, dans le cadre de la journée d’étude « L’art du cinéma scientifique ». Les artistes avaient reçu, en amont de leur performance, dix films issus de la collection de films scientifiques de l’Université de Montréal, cinq ayant été davantage choisis pour l’image ; cinq, pour le son. De La biologie des atta (Madeleine Bazire, 1960) à La formation de la cellule L.E. (présente dans ce programme), d’Expérimentation accoustique sur les corbeaux (RG Busnel, 1962) à La Grande oreille (Pierre Guilbert, 1962) et Jekyllum (Claude Schnéegans, 1974), Grill et Tellier-Craig ont extrait, trituré, ralenti, texturé, filtré, empilé, bouclé des fragments de ces films, pour proposer une plongée, hypnotique, clignotante et frétillante, tout en couleurs saturées, dans ces matières palpitantes. Du projet de performance a découlé, en deuxième lieu, le court-métrage de cinq minutes, inclus dans cette escale, et dont la protagoniste principale est une athlétique fourmi champignonniste, affairée à sa besogne, que des cellules L.E. excitées, des coassements de corbeaux et des nuées de rouge, tentent en vain de distraire. (André Habib)  

À propos de Délire Atta 

Délire atta utilise des séquences trouvées et des sons provenant de six films d'archives et les transforme par un processus d'abstraction et de recontextualisation. L'approche de Michaela Grill vise à libérer les images de leur patine historique, à les dépouiller de leur nostalgie pour révéler leur potentiel visuel brut. En mettant l'accent sur les textures, les formes et le mouvement, elle laisse le matériau lui-même dicter la composition. La teinte rouge de la copie originale de La biologie des atta, par exemple, est devenue un élément visuel clé - célébré plutôt que corrigé — renforçant la présence physique et le pouvoir expressif du film.  Roger Tellier-Craig a travaillé exclusivement avec le son de quatre de ces films, en sélectionnant des matériaux riches en timbres et en textures. Ce matériel a ensuite été étiré, granulé et remodelé en de nouveaux fragments sonores qui font toujours écho à leur source d'origine - non pas comme des références directes, mais comme une expansion des possibilités infinies au sein de médias souvent considérés comme limités. Ensemble, l'image et le son s'engagent dans un dialogue de texture et de transformation, révélant des résonances inattendues dans les archives et générant de nouvelles possibilités à partir de ce qui pourrait autrement être considéré comme fixe ou obsolète. (Roger Tellier-Craig, Michaella Grill, 2025)

Biographies

Michaela Grill a étudié à Vienne, Glasgow et Londres (Goldsmith College). Diverses œuvres cinématographiques et vidéo, installations et spectacles en direct depuis 1999. Performances et projections sur les cinq continents, notamment au MOMA de New York, à la National Gallery of Art de Washington, au Centre Pompidou de Paris, au Museo Reina Sofia de Madrid, à la Casa Encendida de Barcelone, à l'ICA de Londres et dans de nombreuses cinémathèques. Ses vidéos ont été projetées dans plus de 200 festivals dans le monde entier. Elle a reçu le prix de l'artiste exceptionnel décerné par le ministère autrichien de l'art et de la culture en 2010

Roger Tellier-Craig est un compositeur fasciné par les interstices entre le « réel » et ses simulations. Il est membre fondateur des groupes Fly Pan Am, Et Sans (aux côtés d'Alexandre St-Onge), Set Fire to Flames et Le Révélateur (avec Sabrina Ratté). Ces projets l'ont amené à se produire en tournée au Canada, en Europe, aux États-Unis et au Japon, et son travail a été publié sur une multitude de labels internationaux, dont Constellation, Locust, Alien8, FatCat, Root Strata, Gneiss Things, NNA Tapes, Where To Now?, Dekorder et Second Editions. Il a également composé pour le cinéma, le théâtre et la danse, collaborant notamment avec Denis Côté, Brigitte Haentjens, Karl Lemieux, Albéric Aurtenèche, Zaynê Akyol, Projet EVA, United Visual Artists, Lynda Gaudreau, Dana Gingras et Sabrina Ratté. Il est titulaire d'un certificat en composition électroacoustique du Conservatoire de musique de Montréal. Ses compositions Duelle et Nulle part à trouver ont respectivement remporté les 3e et 2e prix du concours Jeu de Temps / Times Play, organisé par la Communauté électroacoustique canadienne.

Notes

  1. Claude Schnéegans, FILEMON : un langage pour le montage et le tournage de films d'animation par ordinateur, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 1975.
  2. Père Venance, entrevue pour Le Samedi, 20 mai 1961, p. 10.