VISIONS/RÉFLEXIONS

Valse en remous (Adriana Barbosa et Fernanda Pessoa)

Ce texte est présenté dans le cadre de la série RÉFLEXIONS, développée et produite par VISIONS. RÉFLEXIONS met l’oeuvre d’un cinéaste en dialogue avec les pensées, réactions, interprétations, idées libres d‘un·e écrivain·e. Le film Same/Different/Both/Neither de Chica Barbosa and Fernanda Pessoa (2020), sur lequel porte ce texte, est accessible en ligne sur le site de VISIONS.

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De São Paulo à Los Angeles, les jours se ressemblent.
Dans la rue, l’une se berce dans un halo de réverbères, scansions nocturnes en murmure.
Fora ! Fora !
Elle sent une odeur de pourriture, la société est malade, son dirigeant l’a contaminée.
Claque, siffle, tape, claque, frotte, siffle, un cri derrière l’autre, le tapage s’impose comme l’unique manière d’être ensemble.

L’autre, dans le grouillant Los Angeles d’après-midi, pose son regard sur les poings levés, s’imagine le masque comme un motif de l’état du monde.
Vivre la révolte, la fouler pas à pas, avec Tracy, peinées de subir, soulever l’incohérence.
Elle ne lui aura jamais dit.
Get Out.
Une course effrénée pour échapper à ce pas lourd, tout-puissant, sans couleur.

Vexations.

De Los Angeles à São Paulo, les jours diffèrent.
À l’écoute du téléjournal, l’une parcourt, à vol d’oiseau, son jardin intérieur.
Permettre de fleurir alors qu’il laisse mourir, l’insensible, l’insensé.
Terrifiante beauté que de se laisser porter par cette antithèse.
Au fond du tunnel, rues et boulevards et rues en symphonie urbaine par un soleil qui brille.
L’œil à la caméra dans le rétroviseur en signe d’au revoir.
Bye, amiga.

L’autre, au milieu des cartons et des souvenirs, attend à sa fenêtre, rêve au marchand de glace.
Cartons, bordel, souvenirs s’empilent, mais elle confie ne pas avoir le courage de s’y confronter. Home sweet home.
Découvrir les spectres du rêve hollywoodien en apparition devant les commerces. Y lire Beauty Shop.
Soleil de plomb, canevas bleu, palmiers en séries, laisser tomber les masques et laisser mourir.
Vivre, pour le carillon du marchand de glace, rose bonbon, bleu poudre, des photos, encore des photos.
A et B à Los Angeles. D’elle à lui, le regard vide, de lui à elle.

De São Paulo à Los Angeles à São Paulo, de l’une à l’autre, et encore à elle, correspondre.
Plus la distance se creuse, plus c’est pareil.
De sa fenêtre, sucette glacée rouge écarlate, cartons, bordel, souvenirs.
Une boîte à musique parmi les souvenirs éparpillés, impuissance à organiser, le désordre.
De samedi à lundi en passant par mercredi, un, deux, trois mois, confinées.
Les jours s’écoulent, en apnée, récurer la cuvette, poil arraché, ne plus pouvoir respirer.

Du Brésil aux États-Unis, du nord au sud, ni l’un ni l’autre, elles.
How to take a sad song and make it better. GET. OUT.
Le temps est doux, le soleil perce les nuages.
Bouger en demeurant sur place, de l’avant vers l’arrière, et encore vers l’avant, main dans la main, avec toi, amiga.
Rêver de cette danse, à la fenêtre ou sous l’eau dans la baignoire, au milieu des souvenirs, dans un bouchon de circulation.
Un geste à la fois, aussi minimal soit-il, tracer l’émotion, en solo, du bout des doigts.
Répéter, surtout, jusqu’à ne plus en être capable. Get out!
Armées de leur voix, à elles. L’une, Adriana, l’autre, Fernanda.

Polyphonie sanitaire et méditation politique qui font transpirer. Interdictions multipliées.
Chloroquine. Chloroquine. Chloroquine. Chloroquine.
De lundi à samedi, en passant par jeudi, du 24 au 14 avril.
Retours multipliés, les hélicoptères, lumières gênantes, rafales assourdissantes.
Aller et venir dans le jardin, un mercredi de 2020, nécessité de bouger.
Des yeux qui tuent. Spectacle des ténèbres, tout en haut, c’était un dimanche.
Dans le jardin, nécessité de bouger, va-et-vient. Un, deux, trois mois. Aller et venir.

Correspondance entre elles, en hommage ouvert à celles qui les ont inspirées — Menken, Wieland, Nelson, Rainer —, exercice pour amplifier leurs voix, prolonger leurs traits, rejouer leurs gestes, mélanger leurs couleurs, s’imprégner de leurs engagements politiques et identitaires issus de la contre-culture, de leurs sensibilités poétiques. Dans les réalités qui sont les siennes, celles de leur présent brésilien et états-unien, se dire femmes à leurs tours, ironie du sort de milieu en milieu, faire fleurir, valser, abreuver, mixer les inspirations et les émotions, la lumière et la musique, les libérer, enfin, les lancer dans l’univers en espérant qu’on les attrape au vol, de São Paulo à Los Angeles.