Hors champ présente

TEMPS ET LIEUX: LES FILMS D’ERNIE GEHR

Ernie Gehr est, avec Brakhage, Snow, Kubelka, l’un des piliers incontournables du cinéma expérimental. Ses films, ses vidéos et ses installations révèlent une fascination pour les paysages urbains, les lieux de mémoire (Passage, Signal-Germany on the Air), la perspective et les limites de la perception (Serene Velocity), tout autant que pour les jouets optiques (Cotton Candy), les origines du cinéma (Eureka) ou tout simplement les tracés de la lumière sur la pellicule (Wait, Mirage). La rigueur conceptuelle et la force plastique de ses œuvres semblent opérer une réduction du cinéma à ses éléments fondamentaux, repartant à zéro pour retrouver le choc déstabilisant des origines du cinéma et sa radicale puissance de transformation du visible. Ces films, que l’on qualifierait à tort de « minimalistes », sont le lieu au contraire d’une expérience intérieure foisonnante. Faits de lumière, d’espace, de durée, de mouvement, les films de Gehr portent aussi une trame documentaire, en se situant à l’intersection précise d’un temps et d’un lieu, qu’il s’agisse d’une rue de New York en 1971 (Shift), de San Francisco au tournant du XXe siècle (Eureka) ou en 1991 (Side/Walk/Shuttle), de Berlin en 1989, à la veille de la chute du Mur (This Side of Paradise). Malgré qu’elle soit citée dans toutes les anthologies sur le cinéma d’avant-garde, louangée par les critiques et les historiens, l’œuvre de Gehr est proverbialement peu visible. C’est à ce déficit qu’Hors champ a tenté de remédier, en présentant quelques jalons essentiels de sa filmographie. Ernie Gehr présentera les trois séances, et offrira également une classe de maître.


(André Habib, Hors champ – Université de Montréal)

Du 30 octobre au 1er novembre

Ernie Gehr, Eureka, 1974

——

Programme

Jeudi 30 octobre

20h 30 Claude-Jutra
Temps et lieux : les films d’Ernie Gehr

Wait
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1968, 7 min. (18i/s), 16mm., couleur/muet]
« Deux personnes sont assises dans une pièce. En silence. Rien ne semble se passer. Ils se déplacent légèrement, de temps en temps. Fenêtre. Chambre. Meubles. De l’action entre les photogrammes. Et la lumière entre eux, autour d’eux, sur eux. […] Tout se joue à un niveau mental. La lumière, sans doute, est la clé de ce récit : elle ponctue les événements, elle raconte l’histoire, elle donne le ton. » (Jonas Mekas, 1969)

suivi de

Serene Velocity
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1970, 23 min. (18i/s), 16mm., color/muet]
« Pour Gehr, la magie de la camera repose sur sa capacité à nous libérer de nos perceptions courantes, en particulier celles que nous avons développées dans les salles de cinéma. L’histoire du cinéma industriel a appauvri notre vision en redéployant sans cesse un même nombre restreint d’expériences, où chaque moment narratif n’est qu’un moyen pour faire progresser le film vers sa fin. Dans Serene Velocity, Gehr transforme un espace conçu pour permettre à des étudiants d’accéder à leurs salles de cours [un corridor d’université] en une expérience puissamment dynamique et visuellement complexe. » (Scott Macdonald, 1993)

suivi de

Eureka
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1974, 30 min. (24i/s), 16mm., n&b/muet]
« Eureka est le refilmage d’un film remarquable montrant Market Street, à San Francisco, au tournant du XXe siècle. Le film d’origine est un long plan continu enregistré du devant d’un tramway en mouvement. […] J’ai réimprimé chaque photogramme six ou huit fois, j’ai augmenté les contrastes et les fluctuations de lumière. D’une certain façon, le film original a été transformé, mais j’espère que ce léger processus de mutation me permit de créer l’espace nécessaire pour rendre l’œuvre originale “disponible”, sans trop me mettre sur son chemin. Ceci était très important pour moi, dans la mesure où je perçois ce que j’ai fait, en partie, comme le travail d’un archéologue, ressuscitant un vieux film ainsi que les ombres et les puissances d’une autre époque. » (Ernie Gehr)

suivi de

Mirage
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1981, 8 min. (24 i/s), 16mm., couleur/muet]
« Les films de Gehr évoquent souvent le travail pictural. Ses recherches sur la couleur et l’espace partagent certes les interrogations de plusieurs artistes visuels, et Mirage m’a souvent fait pensé aux bandes de couleurs de Kenneth Noland. Mais de telles comparaisons formelles ont quelque chose de superficiel, puisque Gehr explore un processus qui constitue une part intégrale du médium filmique : l’image formée par la lumière et le mouvement, et non de la peinture sur une toile. » (Tom Gunning, 1993)

Vendredi 31 octobre

16h Salle Claude-Jutra
Leçon de cinéma avec Ernie Gehr :
Cinéma des premiers temps et cinéma expérimental

Les films, les installations et les vidéos d’Ernie Gehr entretiennent un dialogue fécond avec le cinéma des premiers temps que ce soit de façon directe (Eureka, Workers leaving the factory (After Lumière)) ou indirecte (les nombreux « films de rues » qui jalonnent sa filmographie, tels Signal – Germany on the Air, Essex Street Market ou encore Side/Walk/Shuttle). Ses films, tout comme les films de Ken Jacobs, Al Razutis ou de Hollis Frampton, ont non seulement permis de voir « sous un jour nouveau le cinéma des débuts » (Tom Gunning), ils permettent de réactiver la puissance de révélation et de perception du réel du premier cinéma. Cette classe de maître, qui sera ponctuée d’extraits de l’œuvre récente de Gehr, permettra de mettre en lumière les origines tout comme les formes contemporaines de ce dialogue du cinéaste avec le passé. La discussion sera animée par André Habib (Hors champ-Université de Montréal). Veuillez noter que la classe de maître se déroulera en anglais. Entrée libre.

Ernie Gehr, Side/Walk/Shuttle, 1991

Vendredi 31 octobre

20h30 Salle Claude-Jutra

Shift
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1972-1974, 9 min., 16mm., couleur/sonore]
« Shift est le premier film de Gehr à utiliser le montage de façon élaborée. Tous les acteurs sont mécanisés : des séries de voitures et de camions filmés à une hauteur de plusieurs étages performent sur une rue à trois voies. […] Ce film de huit minutes est structuré comme une série de sketchs obliquement comiques : des camions écrasent leurs propres ombres ; des voitures changent de direction de façon inattendue, redémarrent et vont nulle part. » (Jim Hoberman, 1982)

suivi de

This side of Paradise
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1991, 14 min., 16mm., couleur/sonore]
« Les images et les sons de ce film furent enregistrées au marché aux puces polonais de la Potsdamer Platz, à Berlin, à l’automne 1989, quelques jours avant la chute du mur de Berlin. Une atmosphère inquiétante, presque carnavalesque envahissait ce lieu et, comme à travers une boule de cristal, reflétait à la fois le passé et le futur. » (Ernie Gehr, 1991)

suivi de

Side/Walk/Shuttle
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1991, 41 min., 16mm., couleur/sonore]
« Le point d’origine pour ce film était un ascenseur externe en verre et les possibilités visuelles, spatiales et gravitationnelles qu’il m’offrait. Cette œuvre était également influencée par mon intérêt pour les panoramas, les paysages urbains, ainsi que la topographie de San Francisco. Au final, la forme et le caractère du film se trouvent également habitées par mes réflexions sur une longue vie de déplacements, de déménagements d’un lieu à l’autre, et sont hantés par des souvenirs récurrents d’autres lieux que j’avais jadis traversés. » (Ernie Gehr, 1991)

Ernie Gehr, This Side of Paradise, 1991

Samedi 1er novembre

21h Salle Claude-Jutra

Rear Window
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1986/1991, 10 min. (24 i/s), 16mm., couleur/muet]
« Peu de films de Gehr sont aussi beaux que celui-ci, ni aussi délicats. […] Gehr pose sa caméra sur l’image la plus quotidienne et banale qui soit et révèle une dramaturgie de lumière et d’espace aussi époustouflante que les paysages urbains de Side/Walk/Shuttle. La lumière est ici un sujet plutôt qu’un médium, chaque objet que nous reconnaissons suspendu sur cette corde à linge émerge à travers un flux de lumière. » (Tom Gunning, 1993)

suivi de

Signal – Germany on the Air
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 1982-1985, 35 min., 16mm., couleur/sonore]
Signal — Germany on the Air est une sorte de journal sur la ville de Berlin en 1982, constitué de plans fixes (souvent filmés à partir de plusieurs angles d’une même intersection de Berlin Ouest) et de sons disparates : une méditation puissante et énigmatique sur l’histoire et la mémoire des lieux et les limites de la représentation. « L’expérience de Signal – Germany on the Air se situe dans les interstices entre ce qui est vu et ce qui ne peut être que ressenti, entre ce qui est saisissable — c’est-à-dire lisible — comme effet d’un passé catastrophique et ce qui ne l’est pas. » (Jeffrey Skoller, 2005)

suivi de

Passage
Réal. : Ernie Gehr [États-Unis, 2003, 15 min., 16mm., couleur/sonore]
« Rien de bien extraordinaire… Un simple trajet sur le S-Banh (train surélevé) qui traverse ce qui fut Berlin Est. Un voyage angoissé, traversé de projections. Un parcours ancré dans le présent, mais en raison de l’histoire et de mon histoire familiale, un trajet dans et en dehors du temps. » (Ernie Gehr, 2003)

Ernie Gehr, Passage, 2003

La revue Hors champ reçoit le soutien du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts de Montréal. Le programme consacré à Ernie Gehr a été rendu possible grâce à une contribution de la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia ainsi que du Département d’Histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.