Sur Senescent Vivarium (Kyath Battie)
Ce texte est présenté dans le cadre de la série RÉFLEXIONS, développée et produite par VISIONS. RÉFLEXIONS met l’oeuvre d’un cinéaste en dialogue avec les pensées, réactions, interprétations, idées libres d‘un·e écrivain·e. Le film Senescent Vivarium de Kyath Battie (2018), sur lequel porte ce texte, est accessible en ligne sur le site de VISIONS.
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Il n’y a que trois saisons. Non, bien sûr, il y en a quatre. Ou peut-être qu’il n’y en a que deux. Autant de saisons qu’on le souhaite, ou non. Comme le cinéma aime la pluie sous toutes ses formes, et les réactions qu’elle provoque, dans son ampleur, sa profondeur et ses sensations. Comme le cinéma aime le temps. Un jardin qui ne peut être ni entretenu, ni oublié. Un jardin qui vous énonce ce dont il a besoin. Le matin, le deuil et la nuit, la lumière. Son sol est celui d’une forêt. Une forêt de détails et de questions, de réflexions, juchée d’encore plus de détails. Développé à la main. La netteté de certaines formes, de certains mécanismes, alors que vous savez et ne savez pas en même temps si elles défilent tout doucement ou si elles font demi-tour pour revenir à leur point de départ. Toutes formes peuvent se répercuter et s’animer. Ces formes, qui balaient l’écran presque trop nettement, font écho à une époque bien antérieure à celle à laquelle elles appartiennent. Il y a quelque chose de chatoyant dans cet écho. Deux saisons. Quatre saisons. Six, douze ou vingt, si l’on compte quelques-unes des différentes façons dont elles stimulent et affectent notre compréhension de chaque nouveau changement. Un certain scintillement et une gradation de lumière. D’ombre. De profondeur. De compulsion. Sous une observation que nous ne pouvons qu’accepter aujourd’hui, une intuition et une impulsion délavées. Les insectes conscients du fait qu’ils nous survivront. Le cinéma aime la lumière, la lumière aime la pluie, la pluie aime tomber tout en sachant (sélectivement) dans quelle direction elle s’abattra. Et ce que les insectes connaissent, ils l’apprennent probablement au travers d’un souvenir d’un temps où ils étaient plus grands que nous. Aujourd’hui, ils regardent vers le haut, mais un temps existe peut-être, futur ou passé, où ils regardent vers le bas. Les insectes qui aiment se précipiter. Un moment où l’ombre scintille à la fois à l’arrière-plan et au premier plan. Alors que les saisons se multiplient, nous pouvons apprendre à mieux les connaître. Pour nous permettre de s’oublier un peu. Le lent balayage panoramique qui nous rapproche les uns des autres. Le lent balayage panoramique qui traverse les saisons et leurs pensées. Des pensées qu’elles connaissent et auxquelles elles font écho. Une nature dont nous devons nous détacher pour apprendre à la connaître à nouveau. Cette nature, nous devons la reconnaître, comme nous reconnaissons le scintillement des saisons qui reviennent cycliquement et qui se tordent en de multiples courbes. Encore et pour la première fois. Il y a deux saisons. Quatre. Neuf. Une seule. Un palimpseste de saisons vives interrogeant nos intentions qui changent selon nos état-d’âme. Des fictions. Des perspectives, petites ou grandes. Une vision frémissante et vacillante d’un monde dans lequel le futur devient le passé. Un jardin qui sait ce qu’il doit nous dire et ce que nous savons déjà, mais que nous n’osons questionner. À nouveau, même avant que nous le sachions. Une certaine concentration et une perspective qui façonnent notre souffle et notre regard à l’image de la pluie. Voyons-nous ce que nous connaissons déjà ou uniquement le point tendre de l’image ? En traversant, de près ou de loin, ce que nous ne savons peut-être pas encore (et ce que nous devons donc réapprendre.). Un écho qui donne la parole à une vision. Développé à la main. Un scintillement contre le grain. Les insectes savent où et comment trouver les fantômes. Le magnétisme d’un moment qui ne cesse de croître. Dans un jardin des possibles. Ces pensées qui nous suivent sous forme d’êtres vivants. À une époque où il y avait davantage de saisons, et à une époque où il y en avait peut-être moins. Comme si l’on faisait une mise au point et que, de la même manière, tout redevenait aussi flou qu’auparavant. Encore. Comme un cycle. Comme si l’on donnait aux saisons de nouveaux noms complètement différents. Comme si l’on décidait d’appeler ces quatre saisons : scintillement. Retrouver des sensations passées. Une forme de transmission qui mêle le jardin à la forêt, et exige de déconstruire cette homogénéité par la suite. Je m’allonge au sol et j’attends que ce qui se doit se produire se produise. Il y a des lieux ou des moments où une rafale de vent se transforme en une intuition, et cette intuition nous rappelle de nous allonger. Je suis là et j’attends. Cette attente est une manière de nommer, et les saisons n’ont plus besoin de noms, ni d’être comptées. Elles existent pour se souvenir, à nouveau.
Traduction : Noa Blanche
Révision: Emma Roufs