DOSSIER MIREILLE DANSEREAU

Puissance des fleurs

On rembobine. C’est le générique de La vie rêvée. « Décor. Michèle Cournoyer »… La Michèle Cournoyer ? La cinéaste d’animation à qui je voue une admiration sans bornes, dans un temps des premières fois. On rembobine. Elles partagent une amitié l’une pour l’autre à Londres vers la fin des années soixante. Mireille Dansereau étudie alors le cinéma au Royal College of Art, et Cournoyer, la lithographie, puis les arts graphiques, au Hornsey College of Art.

C’est à partir de photographies réalisées grâce au concours d’un professeur que Cournoyer complète son premier film d’animation, L’homme et l’enfant (1970), qui allie photographies séquentielles et retouches de peinture. Un nourrisson se voit transmué en une prolifération de fleurs gorgées de soleil, un bouquet qui emplit peu à peu l’ensemble du cadre. Cournoyer complète aussi une série de quatre sculptures au travers desquelles, d’une pièce à l’autre, un bébé se métamorphose en fleurs, étreint par une figure de femme 1 . Nichée au cœur de La vie rêvée (1972), une petite séquence animée à dix images par seconde, une pixilation de ces sculptures peut être repérée par l’œil attentif. « C’est Mireille qui a eu l’idée de filmer mes quatre sculptures en succession rapide. […] C’est elle qui a fait bouger mon travail pour la première fois 2 », confie Cournoyer à Julie Roy lors d’entretiens réalisés dans le cadre de son mémoire de maîtrise. L’homme et l’enfant a lui aussi été intégré à La vie rêvée sous la forme d’images, de photogrammes manipulés par le personnage de Virginie, animatrice et artiste, dans son atelier. Elle peint. C’est d’ailleurs par son regard en champ-contrechamp qu’est médiée la séquence animée des quatre bustes.

La vie rêvée accorde une place des plus singulières au cinéma d’animation des femmes (abondant, mais si peu reconnu ou étudié 3 ), qu’il s’agisse d’allusions enjouées tel le « Yabadabadou ! » des Pierrafeu que se réapproprient les protagonistes Isabelle et Virginie lors de leur balade en voiture, de la scène de projection de diapositives d’œuvres de collage, ou de cette mise en valeur délibérée des œuvres de Michèle Cournoyer, alors aux balbutiements d’une pratique de cinéma expérimental traversée par l’animation. Pour notre plus grand plaisir, Michèle Cournoyer a accepté de se prêter au jeu du souvenir et de la réflexion en nous offrant ce montage de mots et d’images.

Rachel Samson
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La vie rêvée (1972).

La vie rêvée
Londres à l’écran
Libération de la femme l’émancipation de la femme
La révolution sexuelle
Engagement féminin Pas politique mais artistique

Une subvention du Conseil des arts du Canada me mène à Londres au Hornsey College of Art, en Arts graphiques. C’était l’époque de la puissance des fleurs, du Flower Power.

L’HOMME RÊVÉ.

Un jour, j’ai vu un homme qui tenait un bébé dans ses bras. J’ai alors eu ma première vraie vision cinématographique à la manière des dadaïstes et des surréalistes.

Un bébé transformé en bouquet de fleurs.

Un professeur a organisé une séance de photos en noir et blanc de l’homme et son bébé, et j’ai peu à peu peint des fleurs en couleurs sur « La belle excentrique », une musique d’Éric Satie. Mon premier film d’animation est né.

Photographies argentiques peintes à l’acrylique, 8 × 9, 5 cm de L’homme et l’enfant (1970).

De retour à Montréal, je collabore en tant que décoratrice artistique sur le tournage de La vie rêvée de Mireille Dansereau.

Danse

Le film raconte l’histoire de deux filles qui travaillent dans une compagnie de film. Comme l’une d’elles travaille en animation, elle vit dans son atelier et semble retoucher, animer les photos originales en séquences de son film d’animation.

Voici L’homme et l’enfant, dans un décor chargé d’images de publicités.

Le lit de l’animatrice est tout près du bureau. Elle dort sur un collier de perles imprimé en sérigraphie sur un oreiller.

Près d’un mur de briques peint en blanc, il y a quatre sculptures, des bustes d’une femme. Elle tient dans ses bras un bébé sur une et sur l’autre une branche, une fleur et sur la dernière un bouquet de fleurs.

Photogrammes tirés de La vie rêvée (1972).

Notes

  1. Ces quatre statues en plâtre peintes en séquence ont été réalisées à l’École des Beaux-arts de Montréal en 1968. Cournoyer a étudié la sculpture, le moulage avec Henry Saxe.
  2. Michèle Cournoyer, dans un extrait d’entrevues réalisées par Julie Roy en 2006 et 2008, dans le cadre son de son mémoire de maîtrise intitulé Le Corps et l’inconscient comme éléments de création dans le cinéma d’animation de Michèle Cournoyer, Université de Montréal, 2009, p. 9.
  3. « […] j’ai voulu connaître les trajectoires d’animatrices réalisatrices et approfondir ma pratique à travers celle des autres. Mais, il y a un manque dans les ouvrages : l’histoire des animatrices québécoises n’a pas été écrite », constate Marie-Josée Saint-Pierre dans sa thèse de doctorat ayant pour titre Cinéma d’animation, féminismes et conditions de création : les réalisatrices de l’Office national du film du Canada (1970-1979) , Université du Québec à Montréal, 2021, p. 20.