Le cinéma d’Atom Egoyan

Cet automne, La Cinémathèque québécoise présente une rétrospective des œuvres du cinéaste canadien Atom Egoyan, qui créera aussi une installation sonore au Musée d’art contemporain de Montréal.

Il n’est pas toujours mal de “faire semblant”, tant qu’on demeure conscient de jouer un rôle. C’est du moins le principe fondamental qui anime Peter, dans le premier long métrage d’Atom Egoyan, le trop peu connu Next of Kin (1984). Jeune homme dans la vingtaine, Peter vit chez ses parents et entretient avec eux des rapports tendus. Il trompe son ennui en jouant différents personnages. À la suite d’une scéance de thérapie avec sa famille où les participants doivent analyser leur comportement capté sur vidéo, il met la main sur la cassette d’une autre famille, immigrants arméniens, jadis forcés par la pauvreté de céder un fils à l’adoption. Peter va se faire passer pour le fils prodigue et transformer leurs vies brisées.

Egoyan donnait donc forme aux préoccupations qui traversent toute son œuvre : les fractures de la cellule familliale, la définition de l’identité, le questionnement de ses origines arméniennes et l’effet des technologies d’enregistrement jusque dans la sphère privée. Devant son habileté à explorer les mêmes grands thèmes tout en repoussant chaque fois l’horizon des possibilités narratives et cinématographiques, avec des films en apparence aussi différents, par exemple, que Calendar et Felicia’s Journey, nous recevons chaque film avec étonnement. Leur forme minutieusement travaillée retient le spectateur dans une lecture attentive : constructions aux temps multiples, images de sources diverses et refus de l’identification émotive simpliste avec les protagonistes.

Le cinéma d’Egoyan démontre aussi sa position lucide par rapport au monde dans lequel nous vivons. En ce sens, sans trop forcer le jeu des comparaisons, son œuvre n’est pas étrangère, dans les thèmes, à celle de l’écrivain Milan Kundera. Tous deux ont mis en scène des personnages qui, face à un monde dont ils perçoivent la folie et la fausseté, préfèrent mentir, faire semblant, puisque le sérieux ou la vérité devant la folie et le mensonge reviendrait à s’y assimiler soi-même. D’autre part, à une époque où l’histoire est devenue si volatile, certains tentent de sauver des fragments du passé et de leur donner du sens. Ils voient les choses “en train de mourir”. Dans Calendar un homme revit sur vidéo la dissolution de son couple lors d’un voyage, comme pour y trouver le moment exact où commence la fin.

Dans les films d’Egoyan, le jeu, la fantaisie ou le mensonge, ne sont donc pas ce qui anéantit la vérité ou sépare les êtres, mais plutôt la médiation qui répare la séparation, dissipe le vide et les illusions que les gens entretiennent comme réalité. Par leur mensonge conscient, Peter et Van (Family Viewing) se chargent d’une responsabilité auprès des autres, y trouvant eux-même un sens à leurs actes, à leur rôle, alors que dans The Sweet Hereafter, la jeune fille comprend qu’elle doit mentir pour désamorcer la supercherie morale où sombrait toute une communauté.

Les images nous entourent, comme une clotûre sans fin, et plus que tout autre cinéaste, Egoyan en sonde inlassablement les conséquences, autant au niveau historique, culturel, que personnel. Mais quand ses personnages visionnent des bandes vidéo, traces du passé ou projection du désir, ils y trouvent aussi une fenêtre par où mieux voir le présent et revenir à la réalité. Comme lorsqu’on croit bien connaître une personne, ou soi-même, et que paradoxalement, c’est en observant ce visage familier sur une photographie qu’on y saisit soudain une vérité nouvelle.