Hors Champ présente : les films de Bill Morrison

Le temps décomposé

Le cinéma, disait André Bazin, est une « momie du changement », vouée à conserver le temps et la mémoire des hommes qui l’ont habité. La pellicule cinématographique, toutefois, loin d’être une garantie d’immortalité comme l’ont pensé les premiers critiques, s’est révélée avec le temps aussi fragile que les vies qu’elle recueillait. 80% du cinéma des premiers temps est aujourd’hui perdu, et ce qui demeure souffre de lacunes et de scories, est toujours menacé de disparition, d’autant plus que, pour certains, la pellicule deviendrait sous peu obsolète avec l’arrivée des supports numériques. La pellicule, dénichée dans les archives, dormant dans les voûtes, a ainsi acquis pour plusieurs cinéastes (Peter Delpeut, Jürgen Reble, Angela Ricchi-Lucchi et Yervant Gianikian) une « valeur d’ancienneté » qui, conjuguée avec les vertus plastiques des photogrammes décomposés, donne lieu à une véritable « esthétique des ruines ». Les films de Bill Morrison participent activement de cette esthétique.

Arrivé au cinéma par le détour de la peinture, c’est en plasticien qu’il envisage son travail cinématographique. Depuis le début des années 90, il poursuit, souvent en collaboration avec le Ridge Theater de New York, la Fabrica en Italie, ou avec des compositeurs-musiciens (Michael Gordon, Bill Frisell, Basel Sinfonietta), une œuvre singulière qui exploite, entre autre, les textures et les qualités poétiques de la pellicule détériorée, créant une fusion des images et des sons fantomatique et hypnotique. Morrison propose une recherche troublante sur le sens de l’histoire et de la mémoire des images, et sur l’impact de l’image en mouvement sur nos sens. Ses « films d’archives », tout particulièrement, appellent une réflexion sur la « mémoire de la pellicule » qui, en se décomposant superbement, révèle l’importance de sa préservation… et du temps propre au cinéma.

EN PRÉSENCE DU RÉALISATEUR. LES PROJECTIONS SERONT SUIVIES D’UNE DISCUSSION.

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Les projections seront présentées à la Cinémathèque québécoise, 335 de Maisonneuve E., Montréal (Québec). Pour plus d’informations, contactez le (514) 842-9763.

Decasia, 2002

Mercredi 28 avril 2004, 20h30, Salle Claude Jutra

Les films de Bill Morrison : Programme I

« Les courts-métrages de Bill Morisson sont des fragments de beauté violente, pleins d’images fantomatiques soumises à la solarisation, à la tireuse optique et à d’autres manipulations qui les font ressembler aux images furtives qui peuplent notre imaginaire. Des baleines, des trains, des projecteurs de cinéma et des autoroutes sont ainsi transformés en d’étourdissantes et hypnotiques méditations sur l’histoire et la mémoire, le destin et l’intervention humaine » (Los Angeles Weekly).

The Night Highway [É.-U., 1990, 9 min., sans parole] ;
Avec la musique de John Moran, produit par le Ridge Theater. « L’ouverture tragique d’une avenir prédestiné » (Bill Morrison).

Lost Avenues [É.-U., 1991, 6 min., sans parole]

Photo Op [É.-U., 1992, 5 min, sans parole]
Sur une musique de Conrad Cummings.

Footprints [É.-U., 1992, 6 min.] ;
« L’évolution comparée du cinéma et de l’homme moderne, à partir d’un mariage musical entre Island of Lost Souls et Caravan de Duke Ellington » (Bill Morrison).

The Death Train [É.-U., 1993, 17 min., N/B, sans parole]
« Chaque photogramme est le compartiment d’un train fonçant vers la vision du Passé » (Bill Morrison). Sur une musique de John Moran, produit par le Ridge Theater.

The World is Round [É.-U., 1994, 5 min., N/B]
« Dans une salle de projection avec Howard Hughes » (Bill Morrison). Sur une musique de John Farmer, produit par le Ridge Theater.

Nemo [É.-U., 1995, 6 min, sans parole]
Musique de Zoar, produit par Zoar. « No man. No one. »

Ghost Trip [É.-U., 2000, 23 min.]
« Le chauffeur d’une Cadillac voyage d’un bout à l’autre du film, embarquant puis libérant une âme égarée. Combinant un style de cinéma vérité et un design visuel hautement stylisé, Ghost Trip tisse un portrait hallucinant de la route américaine, suspendue dans les limbes » (Bill Morrison).

The Film of Her [É.-U., 1996, 12 min.]
« The Film of Her raconte l’histoire d’un commis qui redécouvre la collection de “paper prints” dans les voûtes du Library of Congress. Le souvenir d’un morceau de pellicule d’un ancien film pornographique lui servira de muse, tandis qu’il cherche à sauver la collection de l’incinération, et se sauver lui-même, de l’obscurcité » (Bill Morrison). Sur une musique de Bill Frisell et de Henryk Gorecki.

Trinity [É.-U., 2000, 12 min, sans parole].
« Trinity explore la tendance qu’a l’homme de découper le monde en intervalles discrets afin de mieux l’analyser, même s’il n’en devient pas plus compréhensible » (Bill Morrison).

The film of her, 1996   en-tete

Jeudi 29 avril 2004, 20h30, Salle Claude-Jutra

Les films de Bill Morrison : Programme II

Trois films récents de Bill Morrison montés à partir de pellicules nitrate détériorées, avec la collaboration du guitariste Bill Frisell (The Mesmerist) et du compositeur Michael Gordon (Decasia, Light is Calling). « Je ne sais pas quelle histoire je suis en train de faire. Je récupère des vieux films qui ont été usés, abusés et oubliés, parfois très vite après qu’on les a faits. Cela dit combien nous sommes inconscients des rêves que nous faisons et que nous oublions, des livres non lus dans les bibliothèques et des vies humaines aussitôt effacées, alors que les gens sont encore vivants. Je ne sais pas comment mon travail sera mémorisé. Je suis presque sûr qu’il sera oublié. J’espère au moins faire réfléchir à ça, à la mémoire impossible de la pellicule. » (Bill Morrison, Libération, 11 juin 2003).

The Mesmerist [É.-U., 2003, 16 min., sans parole]
« Dans ce remontage du film de James Young The Bells (1926), un aubergiste (Lionel Barrymore) ayant commis un meurtre fait un rêve au cours duquel il visite une fête foraine où il est démasqué par un hypnotiseur (Boris Karloff) » (Bill Morrison).

Light is Calling [É.-U., 2003, 8 min., sans parole]
« Une courte scène du film The Bells (1926) de James Young a été réimprimée et remontée à l’aide d’une tireuse optique sur une pièce de 7 minutes de Michael Gordon. Une méditation sur le caractère aléatoire et fugace de la vie et de l’amour, fixée à partir de l’émulsion bouillonnante d’un film ancien » (Bill Morrison).

Decasia : The State of Decay [É.-U., 2002, 67 min., sans parole]
« Utilisant des éléments de nitrate souffrant d’une détérioration avancée, Decasia est une réflexion sur la lutte de l’homme pour transcender sa finitude, cependant que le tissu de son monde se désintègre devant nos yeux » (Bill Morrison). Le Basel Sinfonietta, dirigé par Kasper de Roo, interprète la symphonie lancinante de Michael Gordon.

Decasia, 2002

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Hors Champ reçoit le soutien du Conseil des Arts du Canada. Les programmes de Hors Champ à la Cinémathèque québécoise sont rendus possibles grâce au soutien du Conseil des Arts de Montréal.