Sur Há Terra! (Ana Vaz)
Ce texte est présenté dans le cadre de la série RÉFLEXIONS, développée et produite par VISIONS. RÉFLEXIONS met l’oeuvre d’un cinéaste en dialogue avec les pensées, réactions, interprétations, idées libres d‘un·e écrivain·e. Le film Há Terra! d’Ana Vaz (2016), sur lequel porte ce texte, a été diffusé sur le site de VISIONS.
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Dans Poetics of Cinema, Raul Ruiz écrit que « les films sont comme des êtres humains, vous les regardez et ils vous regardent en retour ». Je pense à cette idée tout en regardant Hà Terra!. J’imagine le corps du film tel un animal sauvage qui me guette et j’en fais tout autant.
Sent-il ma honte, ma peur ?
Je fais l’expérience de Hà Terra! comme une chorégraphie de gestes et de regards qui frappent fort. Un cinéma du corps où l’œil se fond à l’oreille, pour finir en forme de bouche. On regarde un animal, quelque chose qui s’y apparente, et on écoute les histoires qui vibrent au sein du paysage tout en le touchant.
Où suis-je dans ce rêve ? Peut-être sous la main, cachée. Dépourvue de conscience de soi, en lévitation. Sans sentiments, il n’y a pas de compréhension possible. Sans poésie, il n’y a pas de justice. Sans perte, il n’y a pas de rencontre. Impossible d’avancer sans pagayer vers un passé fracturé, tel le pied enflé de la jeune femme dans le film, qui change selon les cycles de la lune. Avant le langage, avant le langage. De retour à la terre.
*Un poème qui doit être lu lentement à voix haute, préférablement devant un miroir ou un mur.
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Il y a une main
aussi grande qu’un bateau
retourné.
Une main à cinq flèches
qui vous guette
tout comme vous l’épiez.
Il y a une main
qui n’est pas une ancre
ni un vaisseau
ni un drapeau
mais un murmure mélodieux
une lune rouge sanglante
soulevant une interrogation.
« Qu’est-ce qu’une honnête gens? »
Il y a une main
qui caresse, capture et dévore
une main qui vole votre terre
qui vous nourrit de fruits.
Il y a une main
qui vous offre le futur
un bref regard sur l’infini
qui pointe vers le néant.
« Nous sommes perdus. »
« Continuer ? »
Sous la main
git la moiteur d’un jour
qui est encore celle d’une nuit.
Sous la main
vit un dessin du monde
qu’un carré noir dépeint.
Sous la main
se repose l’ombre pleureuse d’un souvenir
qui appartient à la terre.
Invoquée par une paire de lèvres brunes.
« Sans foi, sans roi, sans loi. »
Sous la main
l’écho de la voix d’un fantôme blanc
ses longs cris, son rire lancinant
nageant à des kilomètres à la ronde.
À toutes les deux minutes, environ.
« Hà terra ! »
« Pagaie ! Pagaie ! »« Suis-je en train de rêver ? »
« Juste un peu. »
Poème et texte originaux : Ralitsa Doncheva
Traduction française : Emma Roufs