Faiseur de contes
(notes pour une conversation)
Nous reproduisons ici sans les modifier les notes rédigées par Olivier Godin dans le cadre de son intervention au symposium et qu’il nous a aimablement fournies.
1. Remerciements chaleureux à Guillaume Lafleur et à la Cinémathèque québécoise.
2. À propos de la salle Fernand-Séguin. D’une manière toute personnelle et toute simple, c’est ici que j’ai vécu une sorte de délicate consécration. En septembre 2014, une rétrospective de mes œuvres artisanales avait lieu dans cette salle. Émotions.
3. À propos de la consécration, je me permets de citer Jacques Ferron une première fois, pour vous y habituer. Il disait, à tout prix, mais sans rien demander à Ottawa et sans passer par la France.
4. Même si je me risque parfois à la vulgarité, musicale et merveilleuse, j’aimerais proposer une définition du subversif par le biais de la douceur. Dans ce symposium, nous avons parlé du cinéma expérimental comme d’une attitude subversive. Nous avons aussi beaucoup parlé des images, j’aimerais parler des mots, les mots qui imposent leur régime, qui président à l’identité. Cela peut sembler un peu impur, dans un symposium sur les pratiques expérimentales, mais j’assume. Les mots, c’est parfois la base. Les notes qui permettent de faire « l’éloge de la chanson grise. » « De la musique avant toute chose » me disait souvent le professeur Yaroshevsky qui citait Verlaine.
5. Avant, je voulais être conteur, comme mon frère, qui l’est dans la région de Sherbrooke. Mais vous allez vous en rendre compte bientôt, je maîtrise assez mal les arts de la parole. Faute d’être conteur, je suis donc un cinéaste de fiction : si vous réduisez mes films à leur plus simple expression, vous obtiendrez des films d’action fauchés et des comédies romantiques maladroites. Disons des contes.
6. J’aime au cinéma conjurer des puissances qui me dépassent, même au risque d’être sublimé par celles-ci. Par exemple, dans Les brigands de l’hôtel bleu, présenté ce samedi, je conte Wakamatsu… mes désirs de cinéma le digèrent. Je le sors de mon bagage. Pour mon troisième long-métrage que je termine présentement, c’est les fantômes de Jacques Ferron et de Pierre Maheu qui sont venus m’épauler. Voici quelques images des Arts de la parole. Le bel homme, affublé d’un cache-œil en cuir, n’est nul autre que le professeur Yaroshevsky, celui qui aime citer l’Art poétique de Verlaine.
7. Prendre la balle au bond. Hier, Papagena a cité Guy Maddin qui mentionnait notre incapacité, canadienne comme Québécoise, à se donner une mythologie. Je m’identifie beaucoup à cette idée. Ferron voulant écrire le pays incertain, par notre identité multiculturelle, regrettait, la coupure qu’a opéré la Révolution tranquille. Elle nous priverait d’un bagage mythologique important. Pour à mon tour donner de l’élan à cette idée, je rêve d’adapter (ou « adopter » comme disait Ruiz à propos de sa version de La recherche) le roman de Ferron Le ciel de Québec.
(souligner… ou pas… la ressemblance évidente entre Étienne Pilon (acteur dans nombreux de mes films) et Saint-Denys Garneau (figure majeure du roman de Ferron)
8. Je vous présente un extrait du Pays des âmes, premier long métrage. Comme l’extrait est silencieux, je vais vous lire un peu de Jacques Ferron dont j’espère, vous le devinez, faire le modèle d’un art poétique cinématographique. Plaisante lecture.
Jacques Ferron écrit : « Si l’on veut saisir la transformation des contes, on n’y parviendra pas en procédant du présent vers le passé; c’est-à-dire que le mouvement de la mémoire ne va jamais à rebours; il fait partie du mouvement général de la vie dirigé vers l’avenir. Pour s’y comprendre, dans le conte traditionnel et toutes les choses du passé, il faut repartir des commencements et s’en venir se retrouver à l’heure d’aujourd’hui qui court vers demain. »
(illustré par l’extrait)
9. C’est donc pour aujourd’hui que le conteur met à l’exercice son bagage. Raconter son bagage. Victor-Lévy Beaulieu écrit que « dans l’univers du conte, il n’y a pas de présent: [que] par définition même, le conte est quelque chose de passé et qui ne ressuscite que dans l’instant privilégié du langage. »
10. La grammaire du conte peut être cinématographique. Il n’y a pas de folklore dans la grammaire du présent, dans la technique. Un bagage, c’est très imprécis. Un peu comme les impressions de l’enfance. Ce qui préside à mon identité loge probablement dans cet imprécis auquel, par la technique, je joins une certaine précision. Le reste serait ce que Gide appelle la part de Dieu. Cette part se révèle surtout dans les réécritures… particulièrement les réécritures qui s’opèrent par la direction photo ou artistique… exemple du travail admirable d’Alexandre Larose, Miryam Charles, Maxime Brouillet, Renaud Després-Larose, Luc St-Pierre.
11. Michel Faubert, avec qui j’ai récemment travaillé, me disait : il faut faire avec le conte ce qu’Albert Ayler faisait à La Marseillaise.
(anecdote cocasse : incapable de prononcer La Marseillaise, Albert Ayler disait La Mayonnaise)
12. Sur l’art de chercher son équilibre. Ferron écrit : « Si le créateur ne s’en tient qu’à la forme, il ne sera qu’un oiseau, seul. S’il ne s’en tient qu’au fond, il ne ramènera rien d’intéressant à la lumière. »
13. Afin de présenter par le quotidien des possibilités romantiques et merveilleuses qui sembleront dégagées de certaines conventions réalistes, mais qui par leur « biais aigu », seront une façon de surprendre la réalité, je vous invite à aller au fond de ses ambiguïtés pour les révéler et non pour les résoudre. Pour appuyer cette réflexion, je m’en remets pour une première fois à Bresson : « Plus ce qu’on invente décolle, plus on a besoin de le mesurer à du concret. » Une réalité seconde loge à cette adresse imprécise, l’adresse de la chanson grise de Verlaine.
14. Pour créer, je ne demande pas mieux que l’inquiétude. Du doute, parce que les plus belles pensées s’entremêlent au doute. Qualité intuitive. Qui en est une qui peut prendre plusieurs formes et qu’on peut retrouver chez plusieurs cinéastes ici… merveilleux…