John Cassavetes

FACES ET L’ART DE LA SYNCOPE

Vouloir qualifier et étiqueter le cinéma de John Cassavetes c’est s’aventurer sur un terrain glissant : cinéaste de la génération des « vaguistes » français et des avants-gardistes américains, son travail semble se situer dans un tout autre espace cinématographique que ces derniers. Même si son tout premier long-métrage, Shadows (1959), peut s’inscrire au sein d’une école comme la Nouvelle vague américaine (le film est salué par Mekas), Cassavetes s’est rapidement dissocié de tout mouvement et institution cinématographique. Documentariste des affects et des expériences cinématographiques limites (la performance de Gena Rowlands dans Woman under the influence est évocatrice à cet égard), il rejoint tout de même ces artistes de sa génération qui ont émergé à cette époque prolifique en rejetant les conventions cinématographiques et les modes de production traditionnels. Le cinéma de Cassavetes s’est avant tout construit sous le signe d’une liberté totale de création et d’action ; loin des studios américains (après une expérience infructueuse), John Cassavetes a fait du cinéma à l’arraché, en utilisant ses cachets d’acteurs pour financer en partie ses films, en utilisant des acteurs non-professionnels aux côtés d’acteurs professionnels, et en faisant de son cinéma une manière de révéler l’expérience humaine dans toute sa complexité et ses nombreuses contradictions. Cassavetes s’évertue à filmer des portraits authentiques, à nous mettre en plein visage son Amérique déchirée de l’intérieur ; une Amérique 1 fragmentée, au bord de la crise de nerfs et qui tente de survivre au chaos de la vie quotidienne. Son écriture filmique en est une du désenchantement, il met à nu ses personnages afin de les diriger ultimement vers une quête de la révélation : « Dans mes films, on enlève aux personnages certaines illusions. On brise leurs défenses. On les amène à un certain degré de révélation. Ils parviennent à une certaine conscience d’eux-mêmes 2 . » À la manière du cinéaste italien Roberto Rossellini, Cassavetes cherche dans la mise en scène de ses personnages à faire éclore une émotion pure, une certaine conscientisation du monde. La révélation, comme chez Rossellini, apparaît donc au moment où le personnage devient « libre au monde » : «Il est un être tout petit au-dessous de quelque chose qui le domine et qui, d’un seul coup, le frappera effroyablement au moment précis où il se trouve librement dans le monde, sans s’attendre à quoi que ce soit 3 . »

Le cinéma des corps

La particularité du travail de Cassavetes, comme en témoignent les films phares du cinéaste (Shadows, Faces et Woman under the influence), est la construction des récits générés par la dramatisation et la théâtralisation des corps de ses personnages. C’est par le biais des mimiques et des gestes des personnages que se construit l’espace et que le récit se met en scène : « Il ne s’agit plus d’enregistrer la photographie du visible, mais au contraire de capturer l’aura du moment, le mouvement interne des êtres 4 . » C’est ce mouvement qui intéresse Cassavetes et il tente de le saisir non pas dans une dialectique idéalisante, ni illusoire, mais dans une dialectique relevant de l’authenticité. En s’approchant du corps de la vie des personnages, en les épiant, il est à la recherche d’une vérité qui s’est enfouie sous le paraître ; toujours en quête de saisir le déséquilibre et l’insaisissable de l’expérience humaine. Il tente inlassablement d’amener les personnages vers une prise de conscience afin de les libérer des nombreuses contraintes sociales ; un cinéma de l’intérieur qui aboutit presque systématiquement au dévoilement de ses protagonistes (nous pensons, plus spécifiquement à Shadows, Faces, Woman under the influence et Opening night).

Cassavetes a clamé haut et fort que son cinéma en était un d’affects, d’émotions, ce qui l’intéressait c’était la vie, c’était de la filmer non pas pour la représenter, mais pour l’investiguer : « La caméra cherche à saisir les métamorphoses minuscules et subtiles du comportement humain qui font de nous ce que nous sommes 5 . » Pour filmer cette vie, il prend d’assaut le corps et ses mouvements brusques, subtils ou exagérés afin de construire son film. Les corps sont utilisés comme des fragments narratifs, qui à force de s’entrechoquer et de s’entremêler, comme l’écrit Deleuze, produisent un enchaînement formel qui remplace l’association des images : « C’est la grandeur de l’œuvre de Cassavetes, avoir défait l’histoire, l’intrigue ou l’action, mais même l’espace, pour atteindre aux attitudes comme aux catégories qui mettent le temps dans le corps autant que la pensée dans la vie. Quand Cassavetes dit que les personnages ne doivent pas venir de l’histoire ou de l’intrigue, mais l’histoire être sécrétée par les personnages, il résume l’exigence d’un cinéma des corps 6 L’œuvre de Cassavetes doit être entrevue comme une célébration de la vie où l’homme et la femme, à travers de multiples dons de soi (Lelia dans Shadows, Jeannie dans Faces, Mabel dans Woman under the influence, Myrtle dans Opening night) essaient de trouver une harmonie dans une existence aussi déchirante que débordante d’humanité.

Le visage au cinéma – Faces (1968)

Avec Faces, on se retrouve dans l’univers d’un couple dont le mariage est en crise, présentant une vision critique de l’Amérique bourgeoise contemporaine où les êtres aimés se lassent l’un de l’autre et se complaisent dans leurs rôles respectifs. Le couple de Richard et Maria est mis à nu sous nos yeux ; confrontés à la banalité de la vie commune et aux limites de cette quotidienneté aliénante, ils tentent de se réfugier dans des actes, sabotant leur relation. Dans leur univers, l’adultère demeure le seul événement authentifiant un moyen de communication, c’est par le corps qu’ils inscrivent leur désarroi et leur solitude.

Au niveau formel, Faces, qui est probablement l’œuvre de Cassavetes la plus intéressante à cet égard, comporte une dimension réflexive fort révélatrice. Dès les premières images, le spectateur est plongé au cœur d’une réunion de production où Richard Frost, présenté comme la quintessence du producteur condescendant, et ses acolytes s’apprêtent à visionner une nouvelle production. Le spectateur se retrouve dans le noir, tout comme les personnages du film, cependant il ne dispose pas du même point de vue. Cassavetes le confronte à la matérialité du projecteur en lui montrant l’appareillage cinématographique, on voit la lumière jaillir du projecteur. Cet élément, qui semble anodin et sans importance, prend tout son sens, lorsqu’on se rend compte que le film projeté est nul autre que Faces, et qu’ironie du sort deux des producteurs de la salle se retrouvent sur l’écran. D’emblée, Cassavetes pose ses balises critiques face au système américain de production de films, actualisant la visée moderne de son œuvre.

Plusieurs autres éléments formels appuient la prise de position du cinéaste : changement constant des points de vue rendant difficile, voire impossible l’identification ; peu d’éléments explicatifs sur les motivations des personnages et confusion sur les enjeux narratifs. Le spectateur demeure dans l’ignorance, jamais il ne sait ce que les personnages pensent vraiment, toujours pris en plein centre d’un chaos familial et relationnel. C’est la dialectique des corps et des visages qui permet au spectateur d’interpréter les affects de tous et chacun à travers une esthétique du gros plan. Tout semble flou, fuyant, on ne peut saisir le véritable enjeu narratif, ce n’est que par le biais de l’expérience spectatorielle que nous pourrons soutirer un sens aux attitudes faciales et corporelles.

La problématique du visage se pose d’emblée avec Faces : la surenchère de l’utilisation du gros plan et la présence quasi syncopée des visages et des corps nous forcent à nous questionner sur ce cinéma corporel. La caméra de Cassavetes s’approche nerveusement des visages, comme pour tenter de saisir cet élément fuyant, qui échappe aux personnages et qui les empêche de comprendre l’autre — elle tente de faire jaillir leur intériorité en s’attardant sur le mouvement des corps et sur les nombreuses mimiques de ce visage, qui traduisent leurs affects et indubitablement leur quête de sens. Cette caméra emprisonne les personnages et tente, tant bien que mal, de s’accrocher à leurs mouvements fuyants. Le spectateur devient un témoin privilégié d’un «art de la syncope, de la rupture 7 . » Étant confiné à suivre un récit aux mouvements hystériques, incompréhensibles, le visage devient le seul porteur de sens, mais sous les nombreux traits se cache plus qu’une quelconque signification émotive, le récit lui-même est contenu dans ce visage souffrant.

Au cinéma, le visage « apparaît » avec l’apparition du gros plan, notamment chez Griffith (une des particularités du procédé de l’iris) et l’instauration du star-system : «Le cinéma veut un visage nu […] Le visage devient l’essentiel dans le cinéma que crée Griffith ; le règne de la vedette va donc commencer : le public voudra nommer ce visage qu’il verra si souvent respirer contre le sien 8 . » L’élaboration de l’image-miroir s’est avérée fondamentale, voire essentielle pour rendre opérante l’identification au cinéma. Ishaghpour illustre dans son essai Orson Welles cinéaste que ce rapport malsain, situant l’écran comme le lieu d’existence des stars, a contribué à fonder une aliénation par la fiction, absorbant le spectateur dans une relation spéculaire et imaginative.

Un miroir-écran qui séduit et fascine en reflétant des images mythiques et mensongères. Dans les films de Cassavetes, le visage ne revêt pas cette fonction ; le visage cassavetien, « déterritorialisé », emplissant l’image cinématographique, n’est pas pensé et présenté en fonction d’un processus d’idéalisation et de culte de la célébrité. Il est davantage considéré comme une matière à percevoir, le visage, comme le mentionne Jacques Aumont, qui reprend la thèse de Balazs dans son essai Du visage au cinéma, « a aussi la possibilité d’exprimer le non-montré et, également, entre ses traits, de manifester l’invisible. La physionomie, elle aussi, a ses pauses et ses tirets significatifs 9 . » Cet invisible à l’œil nu pour les personnages se cristallise sous le regard du spectateur, par le biais de la caméra du cinéaste et de ses procédés de gros plans et par le mouvement incessant des corps. Cassavetes s’éloigne du rapport identificatoire traditionnel entre le spectateur et l’image pour instituer un autre type de rapport plus immersif qu’identificatoire, laissant toute la place à une plongée au cœur des situations limites que vivent les personnages. C’est dans cet ordre que vient s’inscrire le visage dans les films de Cassavetes, le caractère d’illusion et d’idéalisation de l’objet vient faire place à la saisie d’un événement quotidien, de l’essence de l’existence, qui est presque imperceptible, conférant ainsi au visage sa dimension abstraite : « Il saisit au vol les corps qui dansent, les visages qui grimacent mais en même temps intègre à cette vision les obstacles qui empêchent de voir, qui masquent l’objectif. Les formes apparaissent et disparaissent en un clignotement permanent et manquent sans cesse de se dissoudre de l’informel. La tension est à son comble. À chaque instant, on se demande si la figure va émerger du chaos ou si elle va disparaître dans le noir et la fumée 10 . »

I dreamed of Jeannie

L’analyse de deux séquences permettra de mettre en lumière ces propos sur la fonction du visage dans ce récit : la perception de l’invisible par le biais de l’esthétique du gros plan et la fonction réflexive du visage. L’observation de Thierry Jousse concernant la disparition de la figure est révélatrice lorsqu’on étudie de plus près les séquences où Jeannie 11 apparaît à l’écran, où elle surgit tel un halo aveuglant, absorbant littéralement les hommes et l’image cinématographique. On ne peut faire fi de ses nombreuses apparitions lumineuses, voire auratiques.

Le spectateur tout comme les personnages du récit est subjugué par sa présence. Tout au long du film, les personnages masculins vont tenter, soit par séduction ou par échange monétaire, de s’approcher et de toucher à cette aura. Jeannie semble représenter une fuite idéale pour ces hommes, ostracisés par leur univers bourgeois.

À l’instar des protagonistes, la caméra tente de capter cette lumière ; toutefois, à force de se rapprocher de ce visage angélique, de vouloir cerner l’indicible, on semble tendre vers un flou figuratif. La séquence du lendemain entre Richard et Jeannie est fort troublante à cet égard. La scène est construite à partir de gros plans : plus elle progresse, plus le jeu de la caméra tente de nous faire apparaître cet élément indiscernable. Les deux protagonistes se retrouvent sur le lit en pleine conversation. Nous sommes témoins d’un moment unique d’authenticité entre les personnages, pour une des premières fois, ils parlent d’eux-mêmes avec franchise et honnêteté. Les cris, les rires, les farces ont fait place à un réel échange révélateur, un échange filmé exclusivement en gros plans. Plus la caméra s’approche, plus les personnages se révèlent, comme si, tout d’un coup, l’intimité était possible grâce à cette esthétique du grossissement.

C’est dans cette intimité cadrée que surgit le drame intérieur ; les deux visages si proches l’un de l’autre se dévoilent et c’est à partir de ce moment que ces visages deviennent soudainement plus flous, on les discerne plus difficilement. Cette perte de netteté apparaît dès que nous apercevons dans le même plan le visage des deux personnages, enfouis l’un dans l’autre comme si la conscience de leur intériorité venait altérer l’image cinématographique et d’une certaine manière traduisait une forme d’abstraction. La surexposition du plan produit cette impression, les visages comprimés dans la même image deviennent plus difficilement perceptibles. De plus, notons que cet échange se termine par un léger travelling arrière, où les visages tendent à se distancer. Le visage assume donc une fonction de révélation, à la possibilité d’être authentique avec l’autre, c’est par lui que peut subvenir le dévoilement.

Ce n’est qu’en s’approchant de cette façon du visage que nous sommes en mesure de saisir cet élément fuyant; le grossissement des traits contribue à cette extériorisation de l’âme.

La dimension écranique du visage

Chez Cassavetes, on retrouve une récurrence des scènes à trois personnages, où l’un d’eux incarne la position de l’observateur ; position venant faire écho à celle prise par le spectateur. Il y a ce besoin viscéral de sentir le regard de l’autre. Dans le film Faces, on est plongé dans cette problématique du regard. La première séquence de ce type est celle où Jeannie, la prostituée, se retrouve avec Richard et Freddie dans une véritable guerre de séduction, où chaque homme tente de gagner le cœur de la femme. Les deux hommes essaient d’attirer l’attention de Jeannie, en chantant, en dansant, en racontant des histoires ; moment d’excès, où chacun veut prendre la parole et scander le plus fort son pouvoir de séduction ; les rires, les cris, les exclamations, les mouvements des corps traduisent bien l’hystérie des personnages. Une hystérie captée par une caméra déstabilisante, nerveuse, qui suit frénétiquement le mouvement des corps, comme si elle voulait confirmer la nature déséquilibrante des personnages (qui ne cessent de sortir du cadre) et de la situation.

Cette caméra qui refuse un regard omniscient change constamment de point de vue : nous passons d’une caméra subjective (qui prend celui des trois personnages à tour de rôle), à une caméra semi-subjective (voir les plans où l’on aperçoit les jambes de Jeannie), à une caméra qui n’adopte aucun point de vue des personnages, mais plus souvent qu’autrement le point de vue adopté est celui du spectateur. Nous nous retrouvons donc témoin à distance de cette scène, car l’écran, de par sa nature, impose cette distanciation. Cette scène est tributaire du reste de l’œuvre filmique de Cassavetes, qui filme les corps toujours de la même manière (plusieurs séquences sont le miroir l’une de l’autre), afin de faire resurgir leur caractère hystérique — nous renvoyant directement au malaise du couple, à ce sentiment de non-communication qui prévaut entre Richard et Maria, et de manière plus globale entre les hommes et les femmes dans le récit. Les cris et les comportements de Freddie et Richard sont symptomatiques de leur solitude et leur vide existentiel.

La fin de la séquence préfigure bien la suite du récit : Fred confronte Jeannie, avant de se faire exclure du jeu de séduction en ramenant cette dernière vers sa véritable fonction dans cette partie à trois : la vente de son corps. Suite à ce rejet, on nous montre Jeannie et Richard à chaque extrémité de la pièce ; le travail du champ/contre-champ nous les présente éloignés, chacun pris dans leur solitude, mais en même temps, le jeu des gros plans entre les personnages affirme le statut paradoxal de leur relation. Autant ils sont loin l’un de l’autre, autant leurs corps veulent s’étreindre et s’interpénétrer. En nous présentant ces deux visages souffrant (Jeannie souffrant de sa propre condition et Richard de son échec marital) en totale fusion lors du baiser, le spectateur commence à saisir, à percevoir cet élément fuyant, cet élément qui semble imperceptible, soit le sentiment de solitude et de vide qui émane, littéralement, des personnages. La surface opaque de l’image cinématographique se dissout avec la présentation de ces visages, en nous livrant au compte-goutte les émotions des personnages. Comme le mentionne Aumont, on peut y lire maintes choses à la fois, parce qu’il ne se bute pas à « la linéarité de l’écriture », ce visage, sous ses traits, exprime aussi bien le désarroi, l’envie, le désir et le vide existentiel. Enfin, ce visage nous montre bien ce que cinématographiquement Cassavetes tente d’illustrer : soit l’essence paradoxale de l’expérience humaine ; éloignement et rapprochement des personnages, désir et refus, apparition et disparition, vie et mort.

Dans Faces le visage ne se regarde plus comme une image-miroir, comme une image reflétant notre propre visage ou celle d’un idéal, mais pointe vers un quelconque possible. Le visage devient cette possibilité. La possibilité d’une souffrance, mais également la possibilité d’un événement, qui est proche de notre propre expérience de la vie, relevant davantage de l’authenticité que de l’illusion. Pascal Bonitzer, dans son essai sur le réalisme au cinéma, Le champ aveugle, évoque ce nouveau rapport dans le cinéma moderne et qui se manifeste dans cette œuvre filmique : « Le cinéma moderne casse les plans d’émotion, il invente de nouveaux rapports entre les plans, il décolle le cinéma des émotions communes pour produire des sensations nouvelles, moins identifiables, moins identificatoires 12 . »

Si Cassavetes rejette d’emblée le rapport classique que le spectateur entretient avec l’image cinématographique, il n’en demeure pas moins que sur le plan émotif il crée une forme d’identification. Une qui permet au spectateur de s’identifier non pas à une vie mythifiée et idéalisée, mais à des situations « possibles » et communes de la vie quotidienne : couple à la dérive, infidélité, crise familiale et existentielle, etc. C’est donc de cet ordre que l’identification s’opère chez Cassavetes, dans cette perspective plus réaliste, apportant cette texture si particulière à son cinéma.

Il est important de soulever un élément que pose l’étude du visage chez Cassavetes : le rapport à l’intimité. Comme nous l’avons démontré, le dévoilement de soi et le dévoilement des personnages surviennent seulement lorsque qu’il y a capture d’éléments indicibles — éléments apparaissant lorsque l’image cinématographique est absorbée par le corps des personnages et surtout par les visages. Ce n’est qu’à ce moment que surgit l’événement du possible, dans le cas qui nous anime, ce possible est l’aveu. Un aveu qui fragilise l’être, le place dans une position de vulnérabilité et qui, ultimement, le marque. La conclusion du récit ne suppose pas une clôture, au contraire, on a l’impression que Richard et Maria, à travers leur expérience commune, ne seront plus en mesure de refouler leurs sentiments sous un tissu social. Peut-être le dévoilement de soi coïncidera avec un renouvellement de l’intimité ou, à l’opposé, cette expérience aura fait resurgir la triste réalisation que leur amour n’était qu’un leurre. Cassavetes laisse les portes ouvertes, mais l’expérience de l’intimité demeure essentielle, chez lui, pour faire éclore la vérité.

Notes

  1. On pourrait rajouter le nom de Cassavetes à ces cinéastes qui dépeignent la désillusion de l’Amérique (Samuel Fuller, Robert Altman, Sam Peckinpah, etc.),
  2. Ray Carney et al., John Cassavetes. Autoportraits, Paris, Éditions de l’étoile/Cahiers du cinéma, 1992, p. 18.
  3. Roberto Rossellini Roberto Rossellini – le cinéma révélé, Paris, Cahiers du cinéma, 2005, p. 30.
  4. Jousse, Thierry, « La force de vie », Cahiers du cinéma, no 417 (mars 1989), p. 7.
  5. Ray Carney, Op. cit., p. 8.
  6. Gilles Deleuze, Cinéma II. L’image-temps, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 250.
  7. Thierry Jousse, Op. cit., p. 8.
  8. Pascal Bonitzer, Le champ aveugle. Essai sur le réalisme au cinéma, Paris, Éditions Cahiers du cinéma/Gallimard, 1999, p. 98.
  9. Jacques Aumont, Du visage au cinéma, Paris, Éditions de l’étoile/Cahiers du cinéma , 1992, p. 86.
  10. Thierry JOUSSE, Op. cit., p. 7.
  11. Le nom de Jeannie, personnage interprété par Gena Rowlands, s’avère très proche de celui de Gena, unifiant le caractère double et souvent confondant du visage (actrice et personnage).
  12. Pascal Bonitzer, Op. cit., p. 99.