ENTRETIEN AVEC MARC LAMOTHE
De jour, Marc Lamothe occupe le poste de codirecteur général de Fantasia, une bannière reconnue pour son festival incontournable qui, à tous les étés depuis 1996, rassemble la crème de la crème du film fantastique et du cinéma de genre 1 . Mais le soir venu, armé de sa télécommande, il prend d’assaut la salle de projection sous le pseudonyme de DJ XL5. Artiste multimédia, DJ XL5 se définit lui-même comme un collagiste, mais son travail ne saurait se réduire à un simple travail d’assemblage. Les évènements Zapping Party sont des capsules temporelles qui, en s’attardant à un aspect ou à un genre précis du paysage cinématographique, nous font revivre l’histoire de la culture populaire. À travers ces mosaïques culturelles s’articule également une réflexion fascinante sur la relation de promiscuité entre le monde du cinéma et celui de la télévision. Le siège de cinéma se transforme en divan et la foule s’unit l’espace d’un instant comme une famille devant le téléviseur pour sonder la mémoire des images. Derrière lui, une fiche bien remplie : treize programmes de courts métrages, dix-sept évènements thématiques, sept œuvres de commande pour d’autres festivals, trois combats contre Total Crap, la collaboration à cinq courts métrages et quelques projets spéciaux. Il nous a accueillies au quartier général de Fantasia pour nous parler de son tout dernier opus, DJ XL5’s Rock & Roll Zappin’ Party, qui retrace l’histoire du rock and roll dans le cinéma américain et anglais.
Comme vous l’avez mentionné on connaît votre amour pour la musique de par votre métier de chroniqueur au magazine Pop Rock. On se demandait comment votre amour du cinéma a commencé. Est-ce un film particulier qui a provoqué le coup de foudre?
Oui. J’ai toujours été attiré par le cinéma mais, jusqu’à l’âge de 13 ans, c’était juste une source de divertissement. Puis vient un soir de début septembre 1975, à Québec. Je m’apprête à rentrer à l’école secondaire ; mes parents m’ont placé dans un collège privé géré par des pères capucins. Je ne suis vraiment pas de bonne humeur, je ne veux pas y aller ! C’est la rentrée des classes cette semaine-là, donc le dimanche soir, mes parents me laissent aller au cinéma, ce qu’ils ne faisaient pas souvent, et j’ai opté pour un programme double au Cinéma Cartier (Québec), un cinéma de répertoire. À 19h00, on présentait Tommy, de Ken Russell, une comédie musicale déjantée et psychédélique, puis à 21h00, Phantom of the Paradise de Brian De Palma. Les deux films ont eu un impact très fort sur moi. Pour simplifier la chose : j’ai arrêté de collectionner les timbres ce soir-là. [Rires] J’ai vendu ma collection de timbres pour m’acheter des disques et des revues, et je n’ai plus jamais regardé en arrière après. C’est toute une culture qui s’est ouvert à moi après ce soir-là. Évidemment, le sexe, la drogue, le rock ‘n’ roll, les femmes! Tout a explosé d’un coup !
Mais au-delà de ça, je dirais que l’impact de Tommy a été plutôt au niveau musical, parce que c’est un opéra rock écrit par The Who. Puis grâce à The Who, j’ai découvert The Kinks, The Rolling Stones et toute l’invasion anglaise. Donc ç’a été une porte d’entrée à travers laquelle j’ai essentiellement découvert toute l’histoire de la musique anglaise des années 60 et du milieu des années 70. Phantom of the Paradise, lui, a eu un impact plus profond, parce qu’il m’a amené à penser d’une part en termes de réalisateurs, ce que je n’avais pas fait jusqu’à ce moment-là, puis à réaliser que Brian De Palma avait déjà réalisé trois autres films, qui passaient souvent au Cinéma Cartier; un de ceux-là était Sisters, un film dont la finale se passe à Québec, d’ailleurs… Et j’ai tellement aimé ce que De Palma faisait que je me suis mis à lire sur lui et à vite comprendre qu’il était un émule de Alfred Hitchcock, puis que dans tous ses films, il y avait des références hitchcockiennes, qu’il était obsédé par l’oeuvre de Hitchcock.
Donc De Palma m’a amené à Hitchcock, Hitchcock m’a amené à Truffaut, Truffaut m’a amené à la Nouvelle Vague, la Nouvelle Vague m’a amené à la théorie du cinéma d’auteur. Et évidemment Phantom of the Paradise est un vrai film de genre, ce qui a amené en quelque part l’idée que j’étais plus proche du cinéma de genre que du cinéma d’auteur; c’est le film qui est imputable de tout ce qui a suivi. J’étais chanceux, aussi, puisque quand j’étais jeune, Montréal comptait neuf cinémas de répertoire, alors c’était une période où, si quelqu’un voulait voir des films, c’était assez facile. Puis les cinémas de répertoire travaillaient beaucoup les carrières dans leurs rétrospectives, et soulignaient donc le travail de certains réalisateurs. À l’époque, ils ont beaucoup aidé à la promotion de la culture cinéphilique, notamment les cinémas de Roland Smith. Il a ouvert, en 1966, le premier cinéma de répertoire à Montréal, qui s’appelait le Cinéma Verdi. En 1968, c’est le premier cinéma canadien à présenter des “midnight movies”, le premier endroit canadien où on présente des films comme Night of the Living Dead, El Topo, des films subversifs. Roland Smith a tout de suite embrassé cette culture-là et l’a diffusé dans ses trois cinémas. Donc mon entrée arrive aussi dans un mouvement où le cinéma de genre, dans ce qu’il a de plus pur et dans ce qu’il a de plus beau, commence à trouver sa place dans les salles.
Vous travaillez beaucoup autour du cinéma de genre à Fantasia mais aussi dans vos collages. Pourquoi ce style de films est si important pour vous ?
Je pense que c’est important de définir ce qu’on entend par film de genre, puisque ça va informer le reste de la discussion. Si tu enlèves le son et que tu gardes seulement l’image, juste par la codification visuelle, tu devrais être capable d’identifier le genre. C’est un western, c’est des gros plans, c’est des longues focales. Dans les films d’horreur, c’est facile: t’ajoutes un peu de boucane, un peu d’éclairage, tu sais exactement à quoi t’en tenir. Le film noir, c’est une proposition qu’on reconnaît tout de suite, esthétiquement : les ombrages, beaucoup de motifs de rayure. S’il y a une persienne, elle reflète sur le personnage pour vous montrer qu’il est prisonnier de sa situation, des choses comme ça. Puis c’est en ça, pour moi, que le cinéma de genre a une pureté cinématographique : juste avec quelques éléments visuels, tu peux évoquer un genre ou un style.
Je suis autodidacte, je n’ai pas étudié en cinéma. En fait, j’ai fait un an en cinéma à Concordia, mais c’était une autre époque ; on avait Serge Losique comme professeur, qui nous disait que tout ce qui se faisait, c’était de la merde. J’avais lu à ce moment-là une entrevue de Patrice Lecombe qui disait que les écoles de cinéma ne valaient pas grand’chose, dans la mesure où, ça ne ferait pas un réalisateur de toi avant ou après l’école. On peut faire des raccourcis avec les écoles, te sauver du temps, mais le talent n’est pas communiqué à l’école. Il disait : « Si tu veux apprendre le cinéma, prends deux films que tu adores, regarde les vingt fois chacun et ça va être ton école. Puis à chaque nouveau regard sur ton film favori, attarde-toi à un aspect différent de la mise en scène: le son, l’image, l’hors-champ… » Donc j’ai plutôt adopté cette approche-là, puis je suis allé étudier en marketing. Je ne me voyais pas étudier trois ans à Concordia dans cette culture-là du cinéma, et en même temps j’aimais le côté intuitif de la pub. Finalement, je ne suis jamais devenu réalisateur, mais je suis devenu un gars de marketing culturel, puis comme le cinéma et la musique sont deux choses qui me fascinent, j’ai de la chance aujourd’hui de pouvoir faire du marketing, mais dans un contexte de festival.
Quel est votre rôle à Fantasia ?
Comme Fantasia est une PME et que tout le monde touche un peu à tout, de directeur marketing à directeur général, je m’occupe encore beaucoup de la programmation, dont XL5 et les courts métrages animés. Je suis chanceux, je vide mon comble artistique à titre de programmeur, de DJ, mais en même temps mon travail principal c’est de trouver des commanditaires, de gérer les relations avec les partenaires et d’organiser le show en tant que tel. Je fait autant de l’administration, de la logistique, et de l’artistique, alors je suis comblé dans tous mes intérêts, je suis chanceux.
Est-ce que votre participation à Fantasia, dans la programmation, vous inspire aussi dans vos thèmes pour DJ XL5?
Tout à fait. La carrière de DJ XL5 se divise en deux volets. Il y a un volet où, à chaque année, j’organise un programme de courts-métrages récents pour Fantasia. Entre les films je m’amuse à glisser des extraits de télé, de mauvais films, de vieilles publicités. Regarder un programme de courts métrages devient comme zapper à la télévision, mais où t’es chanceux et à tous les postes sur lesquels tu tombes, il y a un bon court métrage qui commence.
J’adore les programmes de courts métrages [dans les festivals], mais je les trouve généralement mal foutus. Je m’explique : aller voir sept ou huit court métrages, c’est comme aller voir un film: il faut qu’il y ait une montée, une structure, puis une fin satisfaisante. Souvent, j’ai l’impression qu’un programme présente les courts en ordre alphabétique : il n’y a pas d’impression de progression. Je trouve qu’un programme de courts métrages devrait être montré un peu comme un film à sketch, où il y a un sentiment de direction. Alors DJ XL5 est né de ce désir-là de réviser la façon de montrer des courts métrages et de donner du rythme à ça, mais en même temps d’inclure une réflexion, entre autres sur notre rapport avec la télévision, notre rapport avec la culture populaire, puis avec cette idée selon laquelle on a de plus en plus de difficulté à se concentrer plus de cinq minutes sur quelque chose.
Donc finalement j’ai commencé en faisant des programmes de courts métrages avec cette stratégie du zapping. On a tellement aimé la structure qu’on s’est dit qu’on pouvait l’adapter, qu’elle pouvait dépasser les programmes de courts métrages, puis que je pourrais sûrement l’utiliser pour faire des rétrospectives sur des genres, des époques ou des styles cinématographiques. Ultimement ça donne un élément comme ce que vous avez vu avec le Rock & Roll Zappin’ Party, où je place les extraits dans un certain ordre, une certaine structure. Dans ce cas-là j’ai choisi une structure chronologique, où je mets des extraits des principaux films qui ont été faits, des principaux exemples du genre. Mais ce n’est pas un documentaire, je ne prends pas position, je ne me prononce pas pendant le show. Quoi qu’en même temps, ce que je choisis est en soi subjectif. Mais ça devient vraiment l’idée de présenter, d’introduire aux gens un genre, un style ou un pays. Ce qui fait que j’en ai fait sur la télé rétro des années 70…
J’en ai fait sur le cinéma indien, enfin dans le cinéma de genre dans le sous-genre qu’on appelle le Bollywood, parce qu’il y a des comédies musicales d’horreur, il y a des comédies musicales d’action… c’est étrange, c’est un autre monde ! Je l’ai fait avec le cinéma de genre mexicain, des années 50 à aujourd’hui. Je l’ai fait avec le cinéma italien. C’était peut être le plus complexe, parce que le cinéma italien excelle dans le cinéma de genre, qu’on pense au western spaghetti, qu’on pense au giallo, qu’on pense aux films de zombies, qu’on pense aux films post-apocalyptiques, c’est un pays qui a beaucoup donné au niveau du cinéma de genre et qui était d’une rare générosité, mais c’est un pays aussi qui compte de nombreux genres dominants pour lesquels il est connu. L’idée c’était de mettre en valeur les différents grands genres ou courants artistiques qui ont existés principalement dans les années 60, 70 et 80. Je l’ai fait sur la culture heavy metal avec Spandex Zappin’ Party. Les Rendez-vous du cinéma québécois m’ont déjà mandaté un exercice sur l’hiver au cinéma québécois. L’idée c’est de se poser la question : “Comment est ce que cette saison là, qui est si importante pour nous, est représentée au cinéma ? Quel est notre rapport cinématographique avec l’hiver ? Qui a le mieux filmé l’hiver au Québec ?” C’est souvent des défis comme ça que je me donne. Dans le cas par exemple du rock’n’roll, je me posais la question : « C’est quoi la première soundtrack qui ai été extrait d’un film rock’n’roll pour être vendu ? C’est quoi le premier grand documentaire rock’n’roll ? Il portait sur qui ? Il portait sur quoi ? Le premier film en spectacle, c’était qui, c’était quoi ? » On trouve peu d’informations sur le sujet. Et donc, c’est aussi ce genre de défi-là qui m’intéresse. Il faut que ce soit un sujet qui m’intéresse, que ce soit une réflexion que j’ai le goût de pousser.
Comment fait-on un collage à la DJ XL5 ?
La clef de DJ XL5, c’est que je suis insomniaque. Donc la nuit, je regarde en moyenne deux films (de 23h à 2h du matin) : C’est des moments XL5. C’est là que je regarde, c’est là que j’absorbe. Parce que faire un truc comme le Rock & Roll Zappin’ Party, ça commence par une liste de 425 films. Évidemment, je ne peux pas tous les voir, ils sont pas tous accessibles. Mais c’est ça l’exercice ; tu pars d’un inventaire, tu regardes ce qui est disponible, ce que tu peux acquérir pour te documenter, parce que je veux pas juste lire sur les genres, il faut que je les vois pour choisir les extraits. Puis avant ça, il faut un peu que je lise sur le pays, sur le genre, alors il faut que ça me tente. À partir du moment où je fais un choix, pendant un an je ne vais regarder que ce genre cinématographique-là.
L’idée consiste à placer chronologiquement des extraits de films ou de bandes annonces, parce que parfois il y a des films pour lesquels tu aimerais mettre quatre extraits, et la bande annonce te donne un peu de ces quatre extraits-là, et puis des fois rend mieux le film. Des fois tu veux attirer l’attention sur un extrait dans le film, des fois tu veux attirer l’attention sur le fait que le film existe, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’est un question de rythme : tu alternes entre des bandes annonces et des extraits de film, puis ça un donne un show qui est plus rythmé.
DJ XL5 est né à Fantasia et à force de connaître le public, je pense que ça permet de savoir dans quelle aventure il nous suivrait. Parfois on prend des chances comme pour l’histoire des zombies.
Nous avons aussi regardé celui sur les super héros, c’était intéressant ! Quelle a été la réflexion pour celui-ci ?
Ca aussi c’était intéressant, parce qu’il y a aussi une réflexion à avoir sur l’iconographie du super héros, puis en même temps, les films de super héros depuis dix ans se sont imposés tellement fortement comme genre dominant. Après Star Wars, les super héros, c’est la plus grosse shit sur la planète en ce moment ! Tout le monde connaît, comprend ces genres là. Depuis X-men en 1999, il y a un élan de modernité et de sérieux, parce qu’évidemment les films de super héros étaient traités comme de la série B, de la série Z, avec lesquels on veut faire de l’argent rapidement sur une mode. C’est vraiment Tim Burton avec Batman qui a amené cette réflexion typiquement post-moderne, qui consiste à se questionner sur l’homme dans le costume, son conflit. Dans les années 70, on ne voyait pas ça. Mais en même temps, je connaissais tout ce genre là. Ce qui m’intéressait, c’était de trouver qui était le premier super héros au cinéma. C’est qui le premier héro masqué ? Il y en avait-il à l’ère du muet ? Il y en avait-il dans les serials ? Qui a influencé qui en premier ? Est ce que c’est la BD qui a influencé le cinéma ? Comment c’est arrivé, puis dans quel ordre ça s’est fait ? L’idée c’était de faire le pont entre l’histoire, et le mouvement que l’on connaît depuis une dizaine d’années. C’est un peu ça que je cherche à faire. C’est comme ça que je m’inspire de mon travail à Fantasia, c’est qu’il y a des thématiques que je remarque à travers l’actualité cinématographique. Les super héros, ce n’était pas un compromis, c’est un projet qui est plus spécial ; d’une part parce qu’on fêtait notre 20ème anniversaire l’année dernière, et d’autre part deux des membres fondateurs du Festival sont des gros amateurs de films de super héros. Pour le vingtième anniversaire, ça me tentait de faire un évènement et d’inclure les gens de la première génération de Fantasia. Parce qu’en même temps, ce qu’on voulait célébrer avec ce show là, c’est le cinéma de genre des années 60. Ce sont ces films qui nous ont amenés à aimer le cinéma dans sa totalité. J’ai toujours été fasciné et je me pose de drôle de questions sur les super héros : “Où Batman fait son plein d’essence ? Qui a installé la ligne téléphonique qui relie Batman à Gordon ? Quand Batman fait un flat, qui répare son pneu ? C’est surement pas Alfred, il a 90 ans !” C’est une forme d’humour mais c’est aussi une façon cynique de regarder la culture populaire et de comprendre qu’il s’agit d’une métaphore.
Vous aviez cité Super qui effectivement représente les super héros de façon très réaliste, presque cynique et grinçante.
Oui tout à fait. Puis le film parle de la responsabilité aussi ! Il y a beaucoup de sous-questions dans l’univers du super héros, surtout le « vengeur ». Est ce que tu le fais encore pour les bonnes raisons ? Est ce que tu as le droit de prendre la justice entre tes mains ? Est ce que tu as le droit de tuer un tueur ? Il y a toutes sortes de dimensions intéressantes qui dépassent le Batphone et la pression des pneus de Batman.
Est ce que vous pensez à écrire des livres à un moment donné pour partager tout ce savoir ?
Non. Je ne fais pas de contenu éditorial. Je recense certaines des choses que j’aime et je vous laisse vous faire une idée sur le genre et sur l’époque, pour que vous continuiez après ça votre démarche par vous même. Donc écrire un livre, pour le moment, non.
Est ce que c’est important pour vous de faire des Zapping Party un évènement public ?
Oui, c’est pour cette raison que l’on ne trouve aucun de mes shows en ligne, c’est pour ça que j’ai toujours refusé l’idée de produire des DVDs ou des Blu-Rays.Aller au cinéma, c’est une expérience collective. J’ai découvert le cinéma avec 800 personnes dans une salle noire. Et puis c’est des party. C’est toujours plus drôle quand il y a un effet d’entrainement de la foule et que ça devient une expérience. C’est un choix purement subjectif. J’aime mieux aller voir un show de rock que d’écouter un disque chez nous. J’aime beaucoup l’énergie de la foule et c’est pour ça que j’ai appelé ça des party. C’est comme un DJ qui spin, sauf que là je vous spin des images au lieu de vous spinner des disques. Mais c’est la même stratégie, c’est la même démarche. Je me nourris de la réaction du public. C’est sur que les Zapping Party, c’est pas live, mais j’aime l’idée de cette réponse là. Autrement, l’autre considération, qui est un peu plus pratique, c’est que dans les films, je n’ai pas les droits légaux sur les extraits. C’est pour ça que je ne le diffuserais pas de façon plus large. Dans les festivals de films on a comme une entente tacite, concernant les droits d’auteurs qu’on ne vérifie pas. Mais les Zapping Party ne sont pas faits pour faire de l’argent, ils sont fait pour la beauté du geste, pour partager une réflexion sur un sujet ou sur un genre cinématographique, et aussi pour générer une réaction dans la foule. Beaucoup d’extraits sont choisis parce que je sais que ça va faire rire et la structure repose sur le fait que je laisse des pauses pour que les gens puissent rire. Je trouve ça plus sympathique de regarder une comédie au cinéma, que de la voir tout seul.
C’est ça qui est intéressant quand on assiste à un zapping, on a l’impression que c’est la télé qui s’exporte au cinéma. On n’est plus pris dans les mêmes conventions où tout le monde doit être silencieux. C’est comme regarder la télé avec 150 autres personnes.
C’est exactement ça. Je transforme le cinéma en grand divertissement, mais c’est moi qui garde la télécommande. C’est comme un show rock. Quand je l’ai présenté à New York, les gens tapaient des mains, dès qu’un artiste apparaissait à l’écran, ça hurlait. C’est un peu ça que je cherche à faire. Oui j’ai été journaliste mais j’ai été surtout DJ et c’est ça que je cherche à recréer. C’est le même genre de démarche ou de réflexion, les DJs sont axés sur le BPM, moi je suis axé sur une espèce de crescendo.
Vous disiez effectivement dans une entrevue que votre travail comme cinéaste est très inspiré par votre expérience de DJ et que vous travaillez souvent autour d’une pièce centrale qui constitue le noeud du montage.
Je me considère comme un collagiste en fait. Le collage est une forme d’art : tu ne dessines rien, mais en découpant et en prenant des images et en les collant ensemble, tu crées quelque chose de nouveau. Tout ce que je fais c’est du cut & paste. Je n’ai pas de talent. J’ai essayé d’écrire de la musique mais ça sonnait toujours comme quelque chose d’autre. J’ai essayé d’être peintre mais c’était jamais “moi”, ça ressemblait toujours à des hommages. J’ai rapidement réalisé que ma fonction dans la vie c’est d’être quelqu’un qui va faire des citations, du cut & paste parce qu’avec ça, tu es capable de créer quelque chose de nouveau. Tout collage donc, prend un point fort et une construction autour. Tu vas décider que ça, ça va être ta finale, ça se sera ton film du milieu et autour vont se greffer des choses et après ça, toi tu les places, un peu comme quand tu écris un film. La structure s’impose généralement rapidement. Dans le cas de rock’n’roll par exemple, au niveau de la structure, je savais que je voulais finir avec quelque chose de très violent, avec des coups de feu, avec des rock stars qui se font tuer. Ca c’est le générique final. Et en même temps je voulais que ce soit une agression visuelle. Mais pour que ça fonctionne il fallait placer des éléments de violence tout au long du film.
C’est pour ça que je trouvais important de parler du punk. Même si le montage était chronologique, j’ai fait des raccourcis. J’ai tout mis le punk ensemble parce que c’était plus fort de parler de punk en bloc, étant donné que c’était une réaction au cinéma de disco et au cinéma de rock qui était rendu trop corporatif. De la même façon, dans le programme, il y a deux bandes annonces qui se suivent même si il y a 8 ans qui les séparent, parce que ça faisait plus de sens de les coller ensemble.
Je me donne une chronologie à respecter mais à travers chaque bloc je me laisse une certaine liberté. On est passés de 4 heures, à 3 heures à un peu moins de deux heures, le disco a été un des sacrifices que j’ai dû faire. Donc oui, je fonctionne par blocs, c’est ça l’idée du collage. Tu dois avoir une direction, des jalons de construction.
Étant donné que la musique occupait un grand rôle dans le collage, est-ce que le DJ en vous et le cinéaste en vous entraient en conflit?
Au contraire. Par contre dans Rock & Roll Zappin’ Party, j’ai dû faire attention à choisir les extraits plutôt selon leur pertinence cinématographique, et moins en fonction du fait que j’aimais j’aime la chanson. Je ne partageais pas de chansons, je partageais des moments de cinéma qui comprenaient de la bonne musique. L’avantage que me donnait mon expérience de DJ était une bonne connaissance du sujet. Je connaissais chacun des groups, chacun des mouvements et l’histoire de la musique Rock. Les parallèles étaient plus facilement faits avec l’histoire du cinéma.
D’où vient le nom de DJ XL5?
Comme je le disais tout à l’heure, DJ XL5 c’est une réflexion sur notre rapport à la télévision d’abord et avant tout. Mon tout premier souvenir télévisuel c’est une série de marionnettes qui s’appelait Fusée XL-5 (Fireball XL-5). J’ai pris le nom de DJ XL5 dans les années 1990, avant ça je m’appelais DJ Kitsch. Ce qui m’allait bien vu que je faisais beaucoup de sets de musique rétro. J’ai toujours eu un pied dans le rétro et un pied dans le moderne. J’avais besoin d’un nom qui réfère à quelque chose de fondateur. Si aujourd’hui j’aime le cinéma et la science-fiction c’est grâce à cette série. Et après c’était une question de choix personnel. DJ XL5 est ancré dans la nostalgie et c’est cette nostalgie qui définit ce qu’on fait.
Comment est-ce que la dynamique avec votre monteur opère dans la conception d’un Zapping Party?
Personnellement, je n’ai pas de connaissances techniques en montage. Pour moi, un ordinateur c’est une dactylo de luxe. Quand tu passes beaucoup de temps sur un projet, et que tu as vu tous tes extraits plusieurs fois, tu perds en quelque part l’innocence par rapport à cet extrait-là. Et ça devient difficile de mesurer l’impact qu’il va avoir dans un projet. Donc à chaque projet, j’identifie tous mes extraits, que j’envoie à mon monteur dans un fichier Excel avec une pile de DVDs. Je ne prends rien sur l’internet, je ne me donne pas le droit de faire ça, c’est trop facile et de toute façon, c’est pixélisé. Tous mes extraits proviennent de VHS, de DVDs et de Blu-Rays. Mon monteur va commencer par faire un premier montage en fonction de l’ordre que je lui demande, et après je l’invite à me faire des suggestions. Il me permet de créer une distance vis-à-vis mes projets. Je m’attache rapidement à tous mes extraits, j’ai envie de tous les montrer et le travail du monteur c’est de m’aider à garder un pied à terre.
Comment trouvez-vous les films que vous présentez?
Une fois que j’ai décidé d’un sujet, je commence d’abord par faire une liste exhaustive des films que je veux. Ensuite, je fais une recherche pour voir lesquels sont disponibles, en commençant par le marché local, puis j’achète les autres qui ne sont pas disponibles sur internet. Mon métier va commencer à être de plus en plus difficile, vu qu’il y a de moins en moins de clubs vidéo. Dans le temps, j’avais une entente avec la Boîte Noire et j’avais accès à toute leur collection. Je pouvais emprunter tout ce que je voulais, et le garder aussi longtemps que je le voulais. Je fréquentais aussi beaucoup de clubs qui possédaient une culture se rapprochant de mes recherches.
Votre collection de films doit commencer à être imposante !
Oui, ce n’est plus une bibliothèque mais des cartables. Ils contiennent chacun 234 films et sont classés par genre. Je dois avoir au-dessus de 5000 films chez moi. Je me considère un peu comme un archiviste qui trouve des perles rares et qui les conserve.
Avec-vous une idée pour votre prochain thème?
Honnêtement, je suis un peu en vide artistique en ce moment. Je me donne un an pour me trouver un nouveau projet. Faire un zapping party, c’est lourd et très exigeant. J’ai dû regarder 1300 films dans les 6 dernières années. Je suis fatigué. C’est un rythme de vie assez difficile pour ma famille. Je n’ai même pas le temps de voir de nouveaux films comme Trainspotting 2 et La La Land. Je suis en train de manquer le présent au détriment du passé. Je suis en train d’envisager de faire des projets de 10-15 minutes, un peu comme des courts-métrages.
Notes
- Cet entretien a été réalisé dans le cadre du cours « Critique cinématographique », donné à l’hiver 2017, à l’Université de Montréal. ↩