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Decay the Earth Stood Still : comprendre le syndrome du vinaigre

C’est à l’été 2024, entre deux projections au Festival international de films Fantasia, que j’ai rencontré Oscar Becher, archiviste chez Vinegar Syndrome. Cette rencontre s’est transformée en longue visite — et discussion — à mon lieu de travail pour parler de cinéma, d’archives, et d’une bobine en mauvais état qui venait d’aboutir entre mes mains. J’étais déjà familière avec les vidéos éducatives amusantes produites par Oscar pour la chaîne YouTube de Vinegar Syndrome 1 dans lesquels il présente des sujets sur la restauration et l’identification de films (qu’est-ce qu’un interpositif, des rouleaux A-B…), il me semblait ainsi tout logiquement un excellent collaborateur pour ce numéro de Hors champ qui s’attarde au travail de terrain fait en conservation et en restauration de films. Oscar a donc entrepris la tâche plutôt complexe de démystifier le syndrome du vinaigre, fameux fléau qui affecte les collections de films triacétates et qui a donné son nom à la compagnie pour laquelle il travaille. (Eva Létourneau)

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Le nitrate brûle, mais le triacétate pue. Alors que les spécialistes de l’archivage photochimique sont bien conscients de cette différence, le public fanatique de films et vinaigre-curieux s’avère souvent en quête d’informations sur ce qu’il advient des films réalisés au cours de l’expansion fulgurante du cinéma indépendant à partir du milieu du XXe siècle. Pour reprendre une histoire connue, le problème de l’explosivité des premières pellicules cellulosiques 35 mm (le nitrate, par exemple) a été résolu en substituant l’acide nitrique — qui n’est pas inflammable en soi, mais devient volatile lorsqu’il associé à des composés organiques comme la cellulose et le camphre — par de l’acide acétique pour acétyler le matériau cellulosique. Le problème de l’explosivité étant résolu, le triacétate est devenu le plastique le plus utilisé pour la pellicule cinématographique pendant la plus grande partie de la seconde moitié du XXe siècle, jusqu’à ce que le matériel pour le tirage des copies de distribution soit principalement remplacé par le polyester, un plastique synthétique (qui lui-même ne subit pas de décomposition cellulosique comme ses prédécesseurs).

En 1993, après cinq années de recherche en association avec Eastman Kodak et Fuji Photo Film, l’Image Permanence Institute de Rochester (New York) a publié son IPI Storage Guide for Acetate Film (Guide d’entreposage pour les films en acétate de l’IPI) 2 . Ce guide est devenu, à juste titre, une sorte de bible pour les conservateurs de films et les professionnels des archives d’aujourd’hui, qui l’utilisent avec les bandelettes de détection d’acidité (A-D Strips) de l’IPI comme outil pour gérer leurs collections et comprendre les problèmes et les complications liés aux films sur support de sécurité triacétate. La thèse du guide est la suivante : conserver les matériaux au sec (mais pas trop), à basse température et dans des conditions aussi stables que possible. En suivant ces conseils, chaque institution chargée de l’entreposage de films s’efforce d’atteindre ces trois « idéaux » afin de repousser les effets du syndrome du vinaigre et son odeur putride.

Le nitrate en décomposition avancée produit également une odeur abrasive, assez proche de celle des « chaussettes mouillées ». Cependant, l’instabilité, la rapidité de transmission et la vitesse à laquelle les films en triacétate de cellulose commencent à dégager des odeurs âcres expliquent pourquoi le nom de « syndrome du vinaigre » est resté si fermement attaché aux processus que ce dernier matériau désigne. L’archiviste du British Film Institute Harold Brown, qui a expliqué les phénomènes sensoriels afférents de dégradation des films dans les années 1980 avant que le terme lui-même ne se répande parmi les archivistes, est souvent cité comme étant à l’origine de l’expression 3 . Aujourd’hui, le terme « syndrome du vinaigre » est devenu encore plus compliqué, car il a également été repris par une société de restauration et de distribution de Blu-Ray, laquelle fait paraître principalement des films d’horreur et d’exploitation indépendants à petit budget 4 .

En tant qu’employé actuel de Vinegar Syndrome, qui se trouve être une société à but lucratif, j’ai été contraint à une étrange obsession pour freiner la détérioration des films, essayant du même coup de trouver des solutions pour moi-même et d’autres personnes travaillant dans des archives de films avec des budgets limités. Après avoir accepté le poste à Vinegar Syndrome, un travail qui impliquait de travailler sur des dizaines de milliers de bobines de film, je me suis retrouvé à répondre à d’innombrables questions relatives au syndrome du vinaigre, questions qui nécessitaient souvent des recherches approfondies. Ce faisant, j’ai rencontré de nombreux cas où il n’y avait que peu d’informations ou de discours publics disponibles sur les aspects plus pratiques de la détérioration des films triacétates. Aujourd’hui, trente ans après la publication du guide sur la détérioration de l’acétate produit par l’Image Permanence Institute, je pense utile d’ajouter un complément pratique issu de ma propre expérience en tant qu’archiviste et responsable des réserves pour une compagnie de distribution et une archive, ayant été chargé d’inventorier, de tester et d’évaluer des films triacétates uniques de tous types, issus des meilleurs environnements d’entreposage tout comme des pires possibles.

Un complément pratique en forme de points

Si la détérioration des films par le « syndrome du vinaigre » est effectivement un problème énorme, le terme a été largement mythifié et élargi à une expression passe-partout censée résumer les raisons pour lesquelles certains films ont été perdus ou ne sont plus accessibles au public. Or, le plus gros enjeu des films de l’ère des triacétates est lié à la propriété. Les problèmes d’espace dans les archives du monde entier ont fait en sorte que le dépôt (la garde sans propriété des éléments matériels), par opposition au don (l’attribution de la propriété), a peu à peu atteint des coûts prohibitifs. Bien que la législation sur le droit d’auteur diffère d’un pays à l’autre, les films de l’époque du nitrate tendent à être plus proches du « domaine public », tandis que les films de l’époque du triacétate sont davantage susceptibles de tomber sous le contrôle légal d’une entité existante quelconque. En tant qu’employé d’une société de distribution, j’ai pris conscience de la place centrale de la propriété après avoir remarqué que les films dont les droits n’étaient pas détenus étaient souvent maintenus hors des réserves froides (où étaient conservés les documents ayant un propriétaire). Cette tendance a été corrigée depuis.

Lequel des trois idéaux — froid, sec, stable — faut-il privilégier si l’on dispose d’un budget limité ? Bien que sacrilège pour certains, la stabilité semble être la voie à suivre pour les institutions à faible budget ou les collectionneurs privés. Un garage où la température est élevée de jour et froide la nuit endommagera rapidement tous les types de supports organiques ou semi-organiques. Si le froid est l’idéal, les raccourcis pour y parvenir ne sont pas une option.

L’un des outils les plus utiles pour comprendre la dégradation est la bandelette de détection d’acidité susmentionnée, une bande de papier tournesol teinte qui réagit aux émanations accumulées à l’intérieur d’une boîte ou d’un boîtier de film et permet ainsi d’estimer le niveau de détérioration d’un film. Après avoir repris l’exploitation de la collection de films de Vinegar Syndrome, j’ai remarqué quelque chose d’assez étrange : rien de ce qui avait déjà été placé dans des boîtiers bleus de qualité archive Tuscan n’avait été classé au niveau 2 (« médiocre — en cours de détérioration », voir figure 1). Après avoir moi-même testé à nouveau plusieurs films en comparant les résultats avec la carte de référence de couleurs des tests d’acidité figurant sur le site de l’IPI, j’ai pourtant découvert de nombreux films de niveau 2, ce qui n’a fait qu’ajouter au mystère. Comment tant de films avaient-ils pu être mal diagnostiqués ? S’agissait-il d’un problème humain ou technique ? Que peut-on faire pour y remédier à l’avenir ? Ce n’est qu’après avoir passé en revue le travail effectué préalablement et être tombé sur une copie papier de la carte de référence des couleurs de tests d’acidité qui accompagnait les bandelettes que j’ai commencé à comprendre le problème. Sur la copie physique de l’échelle de couleurs, chacune des couleurs semblait fausse, le bleu semblait trop clair par rapport au niveau 0, qui est un bleu foncé riche. La couleur du niveau 2 sur la copie papier semblait brunâtre, une couleur vers laquelle les bandelettes ne vireraient jamais. Qu’il s’agisse d’un problème d’impression ou d’instabilité des colorants, je me demande combien d’archives ont mal calibré leurs collections en raison de l’utilisation de cet outil matériel de gradation actuel.

Échelle de couleurs fournie avec les bandelettes de détection d’acidité.

Un autre problème que j’ai constaté, encore ici lié à une échelle de couleurs allant uniquement du bleu foncé au jaune vif, relève d’une lecture très sélective qui ne tient pas compte des pires scénarios au-delà du niveau 3 (« critique — retrait et déformation imminents, risque possible de manipulation »). Après avoir pris conscience de ce problème, j’ai mis en place une solution basée sur la durée des tests, à même de résoudre ce problème de l’échelle limitée et qui peut servir de guide préliminaire pour aider à identifier le potentiel des éléments films qui peuvent être sauvés. À température ambiante, l’IPI recommande d’attendre 24 heures pour déterminer la valeur finale de la pellicule en dégradation. Le film est mesuré en utilisant le pH comme test — un pH neutre est de 7 et, par conséquent, les bandelettes de tests d’acidité commencent à un pH de 6 puisque le film de triacétate est intrinsèquement composé d’acides. Actuellement, la gamme de couleurs des bandelettes s’étend d’un pH de 6 (bleu foncé, niveau 0 sur les tests d’acidité) à un pH de 4 (jaune vif, niveau 3 sur les tests d’acidité), mais peu de discussions existent quant à la manière de traiter les niveaux d’acidité au-delà de ce stade. Pour les besoins de mon travail à Vinegar Syndrome, j’ai fait les ajouts suivants au tableau préexistant de l’IPI (figure 2), selon des données supplémentaires basées sur mon expérience à traiter des films de triacétate hautement décomposés et sur ce qui peut être fait au-delà de ces stades.

Suggestion d’un tableau amélioré pour l’évaluation des résultats des tests d’acidité.

En travaillant au sein d’une société de distribution, il m’est arrivé à d’innombrables reprises de constater qu’au moment où les droits d’un film sont libérés, le meilleur élément qui en relève dépasse le niveau 3 de détérioration. C’est ce qui s’est par exemple produit avec le travail entourant le film James Bande Contre O.S.Sex 69 (1986) de Pierre B. Reinhard, dont le seul élément restant du film, le négatif original, s’est figé en ce qui ressemble à un sirop de couleur vinaigre. Ce qui a pu être perçu lorsqu’une bandelette de test d’acidité placée sur ce négatif a tourné au jaune vif après 30 minutes. Malheureusement pour ce film, il a été déterminé qu’en raison des problèmes d’image lui prévalant, le meilleur espoir de le sortir était d’utiliser une source vidéo, car les détails autrefois contenus dans l’émulsion avaient été complètement éviscérés par les effets du « syndrome du vinaigre ». De fait, la bobine s’était tellement décomposée que l’image était devenue à peine visible et, plus loin, impossible à dérouler. Or, son élément nous était parvenu d’une serre (oui, une serre destinée à abriter des plantes) située en France où ce film, ainsi que beaucoup d’autres, avaient été entreposés pendant plusieurs décennies. Alors qu’une bonne partie des films étaient en bon état, les films qui n’avaient pas été ressortis (et qui, par conséquent, n’avaient pas été rembobinés par le passé pour être numérisés) comportaient presque toujours les éléments les plus gravement touchés.

En outre, j’ai remarqué que certains films de notre archive, bien qu’affichant un taux d’acidité plus élevé, comme c’est le cas avec les négatifs originaux sur pellicule Fuji, ne présentaient pas d’autres signes de détérioration que l’on pourrait normalement retrouver en examinant d’autres marques de pellicules telles que Eastman Kodak. Concernant cette lecture des pellicules Fuji, ma théorie est que le niveau plus élevé d’acidité de base relevé peut être attribué à une solution de développement plus acide ou à une sorte de fongicide acide non corrosif inhérent à la pellicule. Prenons par exemple au film d’exploitation grec Confessions of a Lesbos Honey (Ilias Mylonakos, 1975) qui, malgré un niveau 3 sur l’échelle des bandelettes de tests d’acidité, ne présente que peu ou pas de problèmes de dégradation de l’image de même qu’une odeur qui ressemble davantage à celle d’un révélateur de film concentré qu’à celle du vinaigre. À mon sens, cela signifie donc que les bandelettes de tests d’acidité doivent être utilisées comme un outil de référence et qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives sur la base d’un coup d’œil rapide au film et à son odeur initiale après ouverture du boîtier. Il est important de noter que la première fois que l’on ouvre un boîtier de film à température ambiante, on s’expose potentiellement à des dizaines d’années d’émanations d’acide acétique piégées. Les températures plus chaudes augmentent la volatilité des molécules d’acide acétique et, étant moins denses que l’air froid, elles font en sorte que l’acide acétique se dissémine plus rapidement dans l’air. Par conséquent, une première sensation olfactive après ouverture à température ambiante peut fournir une indication erronée quant à l’état réel des éléments. C’est pourquoi il est important de confier ces éléments à des professionnels compétents en mesure de dérouler les films à l’aide d’équipements professionnels.

Pour illustrer les effets du simple acte de rembobiner un film, j’ai effectué quelques tests d’acidité sur des films de niveau 2, dans lesquels j’ai ajouté une bandelette de test d’acidité pour obtenir un premier résultat. Ensuite, après avoir rembobiné lentement pour laisser le film entrer en contact avec l’air frais, un deuxième test d’acidité a été effectué. Avec les éléments sur pellicule Eastman et Fuji, les résultats des tests se sont toujours soldés par un pH légèrement plus élevé (niveau d’acidité plus faible). Dans certains cas, cela a fait passer le niveau de 2 à 1,5. Bien que cela n’inverse en rien l’effet du syndrome du vinaigre, le simple fait de permettre à l’acidité emprisonnée de s’échapper permet presque certainement aux éléments films de « respirer » un peu plus facilement. Les effets de la ventilation d’air sont bien connus, puisque les deux principaux fabricants de boîtiers de films d’archives, Tuscan Archival et STiL, ont tous deux pris en compte la circulation de l’air dans le design de leurs produits. Outre l’aération, l’utilisation de matériaux inertes ou résistants à la corrosion est désormais et également bien connue, mais ce qui n’est pas encore souligné, c’est l’importance d’éviter les métaux ferriques. Les métaux ferriques, c’est-à-dire ceux qui contiennent du fer, ont tendance à rouiller, ce qui a pour effet d’augmenter rapidement la dégradation acétique.

Au-delà des boîtiers de film, la grande majorité des éléments sonores originaux sont composés d’un revêtement d’oxyde ferrique pour capturer avec précision les informations analogiques. Avant le passage au support en polyester, presque tous les films de l’époque du triacétate utilisaient ce matériau et, à ce jour, presque tous les éléments de ce type que j’ai rencontrés présentent un niveau d’acidité au-delà de 2,5. Ces éléments sont l’équivalent sonore du négatif original image et s’avèrent irremplaçables en termes de fidélité audio, car de tous les types d’éléments film, ce sont ceux qui contiennent la plus grande quantité d’informations sonores. On peut aussi supposer avec un certain degré de certitude que toute œuvre tournée en film à partir de l’époque du triacétate, et dont on peut penser qu’elle date d’avant le milieu des années 1980, possède un élément principal qui souffre déjà d’une forme de « syndrome du vinaigre », si cet élément n’a pas déjà été jeté en raison de sa détérioration avancée. Il est intéressant de noter que la meilleure façon de savoir si une bobine de film est sur pellicule acétate ou sur polyester, pour les éléments sonores magnétiques (fullcoat mag), contredit la méthode la plus courante qui permet distinguer une copie de projection en pellicule polyester d’une copie acétate. Tandis que dans le cas d’un son magnétique (fullcoat mag) en acétate, il est possible de voir au travers de la bobine lorsqu’elle est présentée de côté, une copie de projection en acétate sera, quant à elle, opaque. J’ai rencontré plusieurs cas où des personnes ayant appris que les copies de projection sur pellicule polyester étaient transparentes ont, sans procéder à une inspection minutieuse, identifié à tort un film magnétique acétate comme étant une bobine de film polyester vinaigrée. Encore ici, il est important de noter que dans le cas du 16 mm, les bobines de son magnétique sont généralement entreposées dans les mêmes contenants de film que les éléments de tirage image qu’ils accompagnent. Étant donné ce partage de mêmes contenants pendant des années, il sera assez fréquent que le négatif image souffre également d’une décomposition plus importante en raison de la proximité imposée des deux types de bobines. Bien que cela soit souvent difficile à appliquer pour de nombreuses institutions aux budgets serrés, la séparation dans un autre micro-environnement des éléments vinaigrés et de ceux moins compromis est une nécessité, même si cela demande plus de temps et d’efforts de traitement.

Au sein de chaque bobine, on retrouve un nombre considérable de matériaux dont nous avons constaté qu’ils coïncidaient le plus souvent avec des taux de décomposition élevés. Certains types de rubans de réparation de perforations d’un blanc éclatant utilisent souvent du dioxyde de titane, un agent colorant qui, lorsqu’il adhère à la cellulose sous l’effet de la chaleur et de l’humidité, provoque souvent le rétrécissement et la décomposition plus rapide des sections environnantes à la suite d’une exposition prolongée aux effets de la lumière ultraviolette. C’est regrettable, car ces types de réparations nécessitent souvent un travail considérable pour retirer et remplacer chaque morceau de ruban corrosif par un ruban de renforcement, de qualité archive. L’amorce de film, qui sert à aider l’enfilement de la pellicule dans une tireuse, un projecteur ou un numériseur, peut également être coupable. Aussi, certains types d’amorces de piètre qualité, comme l’amorce Neumade Fiesta que beaucoup reconnaîtront dans les collections de films 16 mm à ses couleurs vives, devraient être retirées et remplacées en raison de leur tendance à se décomposer et à s’abîmer rapidement. Certains types d’amorces plus professionnels peuvent ternir et s’oxyder, ce qui ressemble à une tache métallique réfléchissante. Souvent, le fait d’enlever les amorces de début et de fin de mauvaise qualité d’un film qui a commencé à présenter une odeur de décomposition et/ou des symptômes de détérioration peut réduire considérablement son odeur, l’amorce « ayant tourné » avant que l’acidité n’ait eu le temps de se répandre au film lui-même.

La tendance à croire que la détérioration des films par le « syndrome du vinaigre » serait la goutte d’eau qui fera déborder le vase et obligera le monde de l’image en mouvement à s’arrêter ou à cesser d’exister n’a jamais été aussi répandue qu’aujourd’hui. Le syndrome du vinaigre étant aujourd’hui mieux connu du public et en dehors des professionnels des archives, l’objectif des personnes qui travaillent dans le domaine de la préservation des films triacétates doit être de démystifier et de disséquer ce qui est communément considéré comme signant la fin de toutes nos irremplaçables histoires filmiques Si la numérisation et l’accès sont des solutions qui permettent de rendre disponibles les œuvres, les éléments films, aussi détériorés soient-ils, restent notre passé tangible, ce qui a souvent tendance à être négligé du moment qu’un film souffre de l’« odeur » et n’est dès lors pas considéré comme précieux en-dehors de la qualité de son contenu, de sa notabilité ou de sa valeur économique. Brosser un portrait de la détérioration des films triacétates à grands traits a suscité l’intérêt et l’investissement personnel du grand public du temps de la diffusion de ces films, mais il est important de penser au-delà des cas extrêmes et, parallèlement, d’aller plus loin dans la granularité pour faciliter l’apprentissage à partir des expériences des archivistes qui se sont confrontés directement aux dommages collatéraux et à des problèmes que l’on retrouve en l’occurrence disséminés et présents dans les archives du monde entier. La prise en compte de la dimension granulaire peut servir à rappeler que le film n’est pas seulement un objet, mais bien un matériau impermanent affecté par la réduction des coûts dans l’industrie et par certaines idées fausses autrefois répandues parmi les professionnels du cinéma et les collectionneurs. Aujourd’hui, les éléments affectés doivent être manipulés avec discernement et pragmatisme plutôt qu’en se fiant à des simplifications excessives ; et puisque le syndrome du vinaigre est désormais connu, il est temps d’agir avant qu’il n’ait pris le dessus. Bien que nous ne puissions pas inverser ses effets, nous pouvons nous rappeler que le problème qu’il recouvre est plus vaste que le film qu’il affecte ; la décomposition et la mort sont universelles. Si le film vinaigré est un matériau sur son lit de mort, un bon soignant s’assure toujours que le patient n’est pas abandonné avant qu’il ne soit trop tard.

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Traduction : Eva Létourneau

Références générales

  • Clyde Jeavons, « Obituary—Harold Brown: Inventor of the Art and Science of Film Preservation and Restoration », The Guardian, 12 décembre 2008.
  • James M. Reilly, IPI Storage Guide for Acetate Film, Image Permanence Institute/Rochester Institute of Technology, 1993, https://s3.cad.rit.edu/ipi-assets/publications/acetate_guide.pdf.
  • William T. Murphy, « The Vinegar Syndrome: An Archival Response to the Deterioration of Cellulose Triacetate Motion Picture FIlm », Television and Video Preservation 1997: A Report on the Current State of American Television and Video Preservation, 1997.
  • User’s Guide for A-D Strips: Film Base Deterioration Monitors, Image Permanence Institute/Rochester Institute of Technology, 2001, https://www.kmsym.com/ads/adinstr.pdf.
  • Abeer Al Mohtar, Maria Inês Severino, Pierre Tignol, Luigi Ranza, Artur Neves, Farid Nouar, Vanessa Pimenta, João Lopes, Ana Maria Ramos, Juan Ignacio Lahoz Rodrigo, Maria João Melo, Nadja Wallaszkovits, Moisés L. Pinto, Anne-Laurence Dupont, Christian Serre, Bertrand Lavédrine, « Iron (III) Based Metal-Organic Frameworks in Cellulose Acetate Film Preservation: Fundamental Aspects and First Application », Journal of Cultural Heritage, vol. 66, mars-avril 2024, https://doi.org/10.1016/j.culher.2023.11.013.
  • N.S. Allen, M. Edge, J.H. Appleyard, T.S. Jewitt, C.V. Horie, D. Francis, « Degradation of Historic Cellulose Triacetate Cinematographic Film: The Vinegar Syndrome », Polymer Degradation and Stability, vol. 19, no 4, 1987.
  • Juergen Puls, Steven A. Wilson, Dirk Hölter, « Degradation of Cellulose Acetate-Based Materials: A Review », Journal of Polymers and the Environment, vol. 19, 2010.

Notes

  1. https://www.youtube.com/@vinegarsyndromefilms
  2. James M. Reilly, IPI Storage Guide for Acetate Film, Image Permanence Institute/Rochester Institute of Technology, 1993, https://s3.cad.rit.edu/ipi-assets/publications/acetate_guide.pdf.
  3. Clyde Jeavons, « Obituary—Harold Brown: Inventor of the Art and Science of Film Preservation and Restoration », The Guardian, 12 décembre 2008.
  4. https://vinegarsyndrome.com/.